En évoquant la semaine dernière un retrait des réserves de change du franc CFA déposées en France, le président béninois Patrice Talon a relancé le débat sur une réforme de cette devise, un chantier compliqué tant sur le plan économique que diplomatique.
Pour l'heure, les 14 Etats africains qui utilisent le franc CFA doivent déposer 50% de leurs réserves en France, obtenant en contrepartie une convertibilité illimitée avec l'euro, ce qui leur donne une certaine crédibilité internationale.
Par exemple, si un Etat de la zone franc ne peut pas assurer le paiement en devises de ses importations, la France garantit le versement des sommes correspondantes en euros.
"Nous sommes tous d'accord là-dessus, à l'unanimité, pour mettre fin à ce modèle", a déclaré M. Talon dans une interview le 7 novembre à la radio RFI et à la chaîne France 24, assurant que ce modèle était avant tout un "problème psychologique" et non "technique".
Ce n'est pas l'avis de Ruben Nizard, économiste spécialiste de l'Afrique chez l'assureur Coface, pour qui "un retrait des réserves de change signifierait une remise en cause d'un des piliers de fonctionnement de la zone franc", et in fine de ce mécanisme de garantie de convertibilité par le Trésor français.
Pour l'heure, en revanche, pas question a priori de revenir sur la parité fixe de la devise avec l'euro (1 euro = 655,96 francs CFA).
"La fixité des parités réduit le risque de change pour des investisseurs, pour des exportateurs, c'est un luxe formidable", explique Ruben Nizard à l'AFP.
Mais la dépendance à la politique monétaire européenne des pays de la zone franc est régulièrement critiquée par les adversaires du franc CFA.
"Changer de place les réserves de change, c'est surtout une question politique et symbolique.Pourquoi ne pas déposer ces réserves auprès d'une Banque centrale africaine ? Nous sommes au XXIe siècle, l'Afrique doit assumer la gestion de sa Banque centrale et de sa monnaie", plaide Noël Magloire Ndoba, économiste congolais, consultant et ancien doyen de la Faculté des sciences économiques de Brazzaville.
"Le FCFA a un taux de change fixe avec l'euro, la monnaie de pays très développés, qui ont fixé comme priorité à la Banque centrale européenne la lutte contre l'inflation.Cela oblige nos Banques centrales (africaines) à mener des politiques monétaires très restrictives", critique de son côté Demba Moussa Dembélé, économiste sénégalais et directeur du Forum africain des alternatives.
"Or la priorité des économies africaines n'est pas la lutte contre l'inflation, elles ont besoin d'investissements et d'emplois", poursuit-il, interrogé par l'AFP.
- Peu d'écho pour l'"eco" -
L'annonce de Patrice Talon, sans calendrier précis, n'a pas encore trouvé un énorme écho.
En Côte d'Ivoire, la principale économie de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le gouvernement s'est refusé à tout commentaire sur ce sujet ultra sensible.
Et en France, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno le Maire a réaffirmé vendredi que ce n'était pas à Bercy de "faire des propositions ou d'imposer quoi que ce soit".
"Si une majorité d'Etats-membres de la zone franc veulent avancer vers une réforme ambitieuse nous répondrons oui", s'est-il contenté de déclarer, sans réagir directement à la proposition du président béninois.
"Le débat autour du franc CFA se cristallise beaucoup autour de la question de la souveraineté, donc si la réforme venait de la France ça passerait mal", décrypte M. Nizard.
L'avenir du franc CFA s'écrit toujours en pointillés, puisque quinze pays d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) se sont mis d'accord fin juin pour l'adoption de l'"eco", une monnaie unique pour les huit pays de la zone qui utilisent le franc CFA mais aussi pour sept autres pays dont le géant régional, le Nigeria.
Les déclarations de Patrice Talon "sont peut-être un moyen de remettre le sujet sur la table", estime Ruben Nizard.
Sujet récurrent depuis des décennies dans la région, la question d'une devise unique a longtemps suscité les réticences du Nigeria, qui exigeait que l'éventuelle monnaie commune soit déconnectée du Trésor français.
"Sur le plan économique, la question de la parité avec l'euro pose problème.Il faudrait évoluer vers une parité avec un panier de devises, l'euro, le dollar et le yuan, correspondant aux principaux partenaires commerciaux de l'Afrique, l'UE, les Etats-Unis et la Chine", suggère Noël Magloire Ndoba.
Les pays de la Cédéao espèrent lancer l'eco dès 2020.