Dans les pays du Sahel (Mali, Bukina, Niger, Mauritanie, Tchad) où opèrent de nombreux groupes jihadistes, les enjeux financiers associés à l’exploitation aurifère artisanale sont devenus considérables ces dernières années. Ainsi, profitant de la faiblesse des États, des groupes armés de toutes natures s’autonomisent et exploitent les ressources aurifères pour des fins terroristes. Dans un récent rapport, International Crisis Group sonne l’alarme, indiquant que les sites aurifères deviennent des lieux de recrutement pour les groupes jihadistes. Aussi, peuvent-ils servir de lieu de formation, notamment en matière d’explosifs et de blanchiment de capitaux. La communauté internationale qui cautionne la mise à l’écart de l’État central dans la gestion de Kidal ignore-t-elle l’ensemble de ces risques ?
Au Sahel central (Mali, Burkina Faso et Niger), l’exploitation aurifère s’est intensifiée depuis 2012, portée par un filon particulièrement riche qui traverse le Sahara d’est en ouest, note l’ONG dans son rapport.
1,9 à 4,5 milliards de valeur monétaire
Selon le même rapport, après les premières découvertes au Soudan (Jebel Amir), en 2012, d’autres ont eu lieu au Tchad entre 2013 et 2016 (Batha eu centre, Tibesti au nord du pays), au Niger en 2014 (Djado au nord-est du pays, Tchibarakaten au nord-est d’Arlit, et dans l’Aïr), enfin au Mali (nord de la région de Kidal) et en Mauritanie (Tasiast, à l’ouest du pays) en 2016. L’exploitation artisanale de ces sites est facilitée par la circulation transfrontalière d’orpailleurs expérimentés venus de la sous-région, notamment des Soudanais, des Maliens et des Burkinabè, indique International Crisis Group.
Les quantités extraites chaque année de ces sites atteindraient 20 à 50 tonnes au Mali, 10 à 30 tonnes au Burkina Faso et 10 à 15 tonnes au Niger, soit une valeur monétaire globale située entre 1,9 et 4,5 milliards de dollars par an, si l’on se réfère au cours mondial de l’or, rapporte l’ONG. Aussi, dans ces trois pays, plus de deux millions d’acteurs seraient directement impliqués dans l’orpaillage artisanal : 1 million au Burkina Faso, 700 000 au Mali, et 300 000 au Niger selon des estimations de Crisis Group. Le nombre d’emplois indirects pourrait être trois fois plus élevé.
Enjeux sécuritaires
Les enjeux financiers et les risques sécuritaires associés à l’exploitation aurifère artisanale sont devenus très importants. Ainsi, outre des problématiques sociales, environnementales, l’exploitation aurifère artisanale suscite au Mali, au Burkina Faso et au Niger de nouvelles préoccupations sécuritaires. En ce sens que ces pays constituent l’épicentre de l’insécurité dans la région sahélienne, et la plupart des récentes découvertes aurifères sont survenues dans des zones où les États sont historiquement peu présents ou dont ils se sont retirés en raison de l’insécurité croissante. Ils ne disposent donc pas des ressources humaines et techniques suffisantes pour encadrer une activité de cette envergure.
« Cela profite à divers acteurs armés (groupes d’autodéfense, bandits, trafiquants, groupes rebelles, jihadistes) qui tantôt contestent l’État, tantôt coopèrent avec lui et sont les dépositaires informels de l’autorité publique », déplore le rapport.
Ces enjeux sécuritaires ont pris une nouvelle dimension depuis 2016. Les plus récentes découvertes aurifères au Sahel (comme à Kidal) couplées à l’implantation nouvelle de groupes armés dans des zones où l’or était déjà exploité (nord du Burkina Faso, zone de Torodi au Niger) exposent plus que jamais ces ressources à la prédation de groupes armés rebelles et jihadistes.
Incidents dramatiques
Selon international Crisis Group, « les sites miniers artisanaux deviennent pour eux une source de financement, mais aussi un lieu de recrutement. L’or nourrit aussi les circuits internationaux de blanchiment d’argent. Au nord du Niger et du Mali, un certain nombre de grands entrepreneurs de l’orpaillage artisanal étaient – pour ceux qui se sont reconvertis – ou sont encore, des acteurs majeurs du narcotrafic. Ainsi, les trafiquants achètent fréquemment l’or au-dessus du prix du marché, puis l’exportent via des circuits de contrebande ».
Deux incidents récents témoignent des violences grandissantes qui entourent l’extraction de l’or au Burkina Faso et plus largement au Sahel central, dans un contexte d’affaiblissement des États et de montée en puissance de groupes armés de diverses natures : le 6 novembre 2019, des hommes armés non identifiés ont attaqué un convoi de la Semafo, une entreprise canadienne exploitant la mine d’or de Boungou, dans l’est du Burkina Faso. Au moins une quarantaine de salariés auraient été tués, certains à bout portant, d’après les premiers témoignages.
Si des attaques contre des Gendarmes ou Policiers chargés d’escorter de tels convois logistiques ont déjà été enregistrées dans la région, cette attaque se distingue par le nombre important de victimes civiles. Quelques semaines auparavant, le 4 octobre 2019, un groupe armé a tué une vingtaine d’orpailleurs dans une mine artisanale à Dolmané, près de la ville d’Arbinda au Nord-Ouest du pays.
Source de financement du terrorisme
En prenant le contrôle de mines d’or ou en assurant la sécurité des sites et des routes d’évacuation du minerai, ces groupes (ou certains de leurs membres) peuvent y trouver un moyen de financement. C’est déjà le cas dans la région de Kidal (Mali), selon le rapport où ‘’le bastion de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et à un moindre degré dans le Djado (Niger), où évoluent des groupes armés rebelles et trafiquants circulant entre le Niger, le Tchad et la Libye’’.
« Dans la région de Kidal, au Mali, la plupart des sites d’orpaillage artisanal sont contrôlés par des éléments de la CMA ou, dans une bien moindre mesure, de la Plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d’Alger, une alliance de plusieurs douzaines de groupes armés progouvernementaux », est formel le rapport.
« L’or sert à la fois à l’enrichissement individuel des combattants et au financement des mouvements armés. Le plus souvent, la CMA impose des taxes aux orpailleurs en échange de la sécurisation des sites », déplore l’ONG.
Toutefois, le rapport s’empresse de préciser que le « le boom aurifère à Kidal ne s’est pas accompagné – comme ailleurs – d’une recrudescence des actes de banditisme, ce qui suggère que le dispositif en place est efficace ».
Bien géré, International Crisis Group estime cependant que « l’exploitation aurifère artisanale a également des conséquences positives dans ces zones. Elle offre aux combattants des perspectives d’emplois rémunérateurs, qui peuvent les inciter à déposer les armes ». En Côte d’Ivoire, illustre-t-il, l’intérêt de certains ex-rebelles pour une reconversion dans le secteur aurifère aurait facilité le mécanisme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR).
Les États sahéliens et des organisations internationales, comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), s’alarment du risque d’accaparement par les jihadistes de ressources aurifères dans des zones où les institutions étatiques sont faibles, voire absentes.