La situation sociopolitique est plus que jamais confuse au Mali. Depuis des lustres, le gouvernement malien est aux abois. De la même manière, le peuple malien se cherche désespérément et on sait pourquoi. La rébellion qui a resurgi le 17 janvier 2012 a fait les dégâts que nul n’ignore.
A ce jour, le pays coupé en deux parties bien distinctes : le Nord, occupé par des groupuscules militaro-religieux et super armés ; le Sud, dirigé par un gouvernement dont la caractéristique majeure demeure qu’il ne fait pas consensus ; en sus, on n’est pas sûr que le président par intérim, Dioncounda Traoré, bâtonné il y a quelques semaines dans son palais présidentiel et réfugié sanitaire en France, s’empresse de rejoindre la patrie. On le comprend, chat échaudé craint l’eau froide.
Le Premier ministre, l’astrophysicien Cheick Modibo Diarra, semble sous la coupe des putschistes ; la communauté internationale, elle, l’Union Africaine (UA) en tête, réclame ni plus ni moins que la dissolution de l’instance de la bande à Sanogo, qui se trouve, de fait, et paradoxalement être la véritable maîtresse de la situation au Mali à l’heure actuelle. Pire, son statut d’ancien président est rejeté par l’ONU et la CEDEAO. Pendant ce temps, la partie septentrionale du pays est entre les mains du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) et de ses compagnons du moment, qui n’entendent pas céder un pouce du terrain conquis.
C’est dans ce contexte, qui se caractérise par le plus grand flou, que le gouvernement malien a décidé de créer une nouvelle instance, dénommée «Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité» et qui aura pour feuille de route d’équiper et de moderniser l’armée malienne, de redonner le moral aux troupes et ce, dans le but évident de faire barrage aux groupes militaro-religieux, en ce moment maîtres de la partie septentrionale du pays. Un hic demeure cependant : à supposer que l’Assemblée nationale malienne entérine ledit projet de loi, le comité à naître absorbera l’actuel CNRDRE du capitaine putschiste Sanogo.
Autant dire que l’équation de la crise malienne reste entière. Quelle place occupera la nouvelle instance née des cendres de l’ancienne, érigée par des putschistes qui ne recueillent pas l’assentiment de tous les Maliens mais n’en demeurent pas moins les véritables maîtres du jeu politique à Bamako ? Fallait-il absolument placer l’organe à naître sous la coupe militaire ? Quelle en sera la véritable force, puisque, en dépit des textes et résolutions qui régissent la transition, Sanogo est de fait l’un des pôles du bicéphalisme qui tient la barre du bateau Mali.
Le gouvernement malien marche sur des œufs
Pendant que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) chasse les ex-putschistes par la porte, le gouvernement malien les ramène par la fenêtre, s’il n’en fait pas un viatique indispensable pour une sortie de crise. En effet, il a mis en place, le 12 juin dernier, une nouvelle instance dénommée : Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité (CMSRFDS) qui aura pour mission essentielle de redonner le moral aux troupes maliennes pour faire face aux différents groupes armés qui écument le Nord du pays.
Et cela après que ce nouveau comité ait absorbera le CNRDRE (Conseil national pour le redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat) qui a renversé, le 22 mars dernier, le président Amadou Toumani Touré. Qu’est-ce qui se passe donc ? Car, on a tout lieu d’assister à un dialogue de sourds entre les autorités de Bamako et la CEDEAO qui avait clairement demandé, il y a peu seulement, la dissolution pure et simple du CNRDRE. Pourquoi donc le gouvernement de Modibo Diarra en a-t-il décidé autrement ? Tout porte à croire, et il est peu de le dire, que la réalité du pouvoir est jusque-là détenue par le capitaine Sanogo qui, jour après jour, continue d’opérer sereinement des arrestations arbitraires au Mali. Si fait que Kati, si l’on en croit certains témoignages de défenseurs des droits de l’Homme, serait devenu un institut médicolégal à l’instar de la prison d’Abou Ghraib, du nom de ce tristement célèbre centre de détention où les prisonniers subissaient les pires formes d’exactions.
Pour tout dire, Sanogo demeure le seul maître à bord à Bamako. Il y a créé un embrouillamini au point qu’on ne sait plus par quel bout prendre le dossier malien. Et les autorités de Bamako en sont conscientes. C’est sans doute ce qui explique leur prudence. Elles ont coupé la poire en deux en dissolvant le CNRDRE comme l’a souhaité la communauté internationale, et en créant une nouvelle instance pour caser les ex-putschistes, histoire de tempérer leurs ardeurs. Un véritable tour de passe-passe qui, à dire vrai, dénote d’une realpolitik. Preuve qu’entre le discours et la réalité, il y a parfois un écart abyssal qui ne saurait être négligé. Le gouvernement malien marche sur des œufs. Il ne veut exclure aucune force civile ou militaire dans le processus de sortie de crise actuel. Cela d’autant que les Maliens eux-mêmes, on se le rappelle, qui s’étaient offert en 1991 comme chair à canon pour débarquer le sanguinaire Moussa Traoré, du pouvoir, sont aujourd’hui divisés. Le sursaut patriotique qu’on était en droit d’attendre de ce peuple demeure encore une vue de l’esprit.
En clair, le Mali à ce jour est à la croisée des chemins : le Nord du pays est à la merci des rebelles et de leurs alliés d’AQMI qui entendent y faire régner une loi sans merci. Pendant ce temps, le Sud est en proie à des luttes d’influences qui minent ce qu’il leur reste d’autorité et d’unité ; autant dire que la situation malienne risque de s’enliser, et personne à ce jour ne semble en apercevoir le début de la fin.
Jean Pierre James