La mort de treize soldats lors d’une opération de combat au Mali relance les interrogations sur les objectifs poursuivis et la stratégie retenue par Paris dans la région.
Il y a bientôt sept ans, en janvier 2013, François Hollande avait pris l’initiative d’envoyer les soldats français afin d’empêcher les groupes islamistes opérant dans le nord du Mali de prendre le contrôle du pays. Il y avait alors des vivats, inattendus, de la foule pour acclamer à Bamako les militaires de l’ancienne puissance coloniale et des applaudissements, un peu honteux, de la part des gouvernants africains. Ces derniers n’avaient pas été capables de chasser des djihadistes venus à l’origine des maquis algériens, enkystés dans le désert du septentrion malien. A Paris, cette intervention extérieure bénéficiait d’un large soutien politique. Le triomphe semblait alors total, tant pour l’armée française que pour l’exécutif.
Le choc provoqué par la mort au combat de treize soldats français, lundi 25 novembre, dans une collision d’hélicoptères au Mali, n’est pas le meilleur moment pour remettre en cause le bien-fondé de l’opération « Barkhane », à laquelle ils participaient, mais il ne peut que susciter des questions sur les objectifs poursuivis par la France et la stratégie retenue pour les atteindre. Si le but de « stabilisation politique et économique » de la région avancé par le premier ministre, Edouard Philippe, n’est pas discutable, force est de constater que la présence de 4 500 soldats français n’a pas permis de l’atteindre seule. Les groupes djihadistes n’ont pas pris le pouvoir à Bamako, mais ils ont essaimé dans la sous-région, du Niger au Burkina Faso, jusqu’aux confins de la Côte d’Ivoire, au cœur de l’Afrique francophone. Par milliers, des civils et des soldats des armées africaines en ont été victimes.
Immenses défis
Face à des gouvernements secoués par de réguliers scandales de corruption, incapables de répondre aux besoins minimaux des populations, dont celui, fondamental, de sécurité, face à des armées inopérantes et peu regardantes sur l’éthique, le discours de pureté tenu par les djihadistes, leur promesse de protection et de financement, reçoivent un réel écho parmi les populations marginalisées. Ainsi, les islamistes armés ont réussi à s’enraciner au Sahel, à y exploiter les vieilles rivalités, notamment celle entre cultivateurs et pasteurs, pour les transformer en haines vengeresses.
La dégradation sécuritaire en dépit de la présence de milliers de militaires étrangers, les promesses de financements internationaux qui n’arrivent pas, l’incapacité des dirigeants à exercer leur autorité sur toute l’étendue du territoire amènent désormais une partie des opinions locales à conspuer ouvertement l’action de la France.
Or, la seule victoire possible passe par la reconstruction d’Etats qui, comme le Mali et le Burkina Faso, se trouvent confrontés à d’immenses défis : l’effondrement de leurs finances, une démocratisation qui a exacerbé les compétitions intercommunautaires, la dissémination des armes de la Libye de Mouammar Kadhafi, consécutive à l’intervention des puissances occidentales, et le réchauffement climatique, qui réduit les espaces cultivables et accroît les tensions foncières.
Aucune stabilisation n’est possible sans retour de la sécurité. Mais les soldats français ne peuvent à eux seuls la rétablir. Non seulement parce qu’ils représentent l’ancien colonisateur aux yeux des populations, mais parce qu’ils ne peuvent indéfiniment suppléer la quasi-absence d’Etats. L’Union européenne, dont la sécurité est en jeu, doit s’impliquer davantage aux côtés de la France, non seulement sur le plan militaire, mais aussi pour faire pression contre la corruption et la mauvaise gouvernance. Rien n’est possible sans les pays de la région. Il s’agit d’appuyer les efforts de ceux des responsables politiques qui s’engagent efficacement contre ces fléaux et se soucient vraiment du sort des populations.
La mort des treize soldats français donne à Emmanuel Macron une tragique occasion de rouvrir le débat sur la politique de Paris au Sahel et d’expliquer clairement, tant aux Français qu’aux populations de cette région, pas si lointaine, quels sont les objectifs poursuivis, les moyens – militaires, mais aussi diplomatiques et économiques – employés et les risques encourus, s’il veut que, sept ans après une intervention en fanfare, l’impasse actuelle ne se transforme en l’un de ces pièges où la France est parfois tombée au cours de sa longue histoire africaine.