Alors que le chef d’état-major affirme que Paris n’a eu aucune connivence avec des groupes armés, d’ex-rebelles rappellent avoir fait « beaucoup de belles choses ensemble ».
« La France, quand elle a lancé l’opération “Serval”, n’est entrée en connivence avec personne. Elle a conduit une opération militaire extrêmement audacieuse, vigoureuse, seule avec ses alliés européens, qui assuraient une partie importante de la logistique, et des alliés américains. Mais au sol, c’était les soldats français, seuls », a assuré le général François Lecointre, vendredi 29 novembre, sur Radio France internationale (RFI).
Alors que l’action de Paris est contestée par une opinion grandissante au Mali, le chef d’état-major des armées françaises tenait à contredire le sentiment, très développé sur place, que les soldats qu’il dirige bloquent la remontée de l’armée malienne sur Kidal en vertu d’un accord tacite avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Celui-ci aurait été passé au début de l’intervention française, en janvier 2013, avec ces rebelles à majorité touareg.
A Bamako et dans une bonne partie des régions méridionales du Mali, le MNLA demeure le mouvement politico-militaire honni, coupable d’avoir lancé les hostilités dans le nord, en janvier 2012, puis proclamé l’indépendance de l’Azawad, les régions qu’il avait conquises, trois mois plus tard. La colère populaire le vise souvent bien davantage que les groupes djihadistes avec lesquels il s’est un temps associé. Une colère qui s’accentue alors que, près de sept ans après l’entrée en guerre de la France, l’Etat malien n’a toujours pas repris pied dans les fiefs des ex-rebelles. Le pouvoir et les insurgés sont tenus par un accord de paix signé à Alger en 2015 mais qui peine à entrer en application.
« Victoires secrètes »
En affirmant que la France n’a eu aucune connivence « avec des groupes armés particuliers », le général Lecointre oublie manifestement certains pans de l’histoire récente. Un cadre du MNLA, en contact début 2013 avec les services de renseignements extérieurs français, la DGSE, ne peut retenir un rire à l’écoute des mots du général. « Le MNLA et l’armée française travaillaient ensemble. On communiquait. On partageait les informations », dit-il sous couvert d’anonymat. Lorsque l’armée française est arrivée en reconquête dans le nord du Mali, en janvier 2013, les rebelles du MNLA ont souvent été des guides précieux dans la traque des différents groupes djihadistes qui avaient pris le contrôle de cette partie du territoire.
« Nous n’avons pas signé d’accord officiellement, mais nous avons fait beaucoup de belles choses ensemble. Des victoires secrètes dont j’ai conservé les photos », relate un combattant qui préfère taire son nom, avant d’égrainer une liste incomplète des actions militaires menées aux côtés des soldats français et des morts au combat… « Nous les avons aidés à chasser la katiba de Mokthar Belmokhtar dans le Timétrine en 2013, où nous avons perdu douze hommes. Dans la zone de Ménaka, nous avons contribué à l’arrestation de l’adjoint d’Abou Walid al-Sahraoui. Notre action consistait à fournir du renseignement et à pousser les djihadistes dans un endroit restreint avant que l’armée française les attaque », dit-il.
Les unités du MNLA qui étaient les plus proches des soldats français, principalement les agents du service action de la DGSE et les forces spéciales réunies dans l’opération « Sabre », étaient celles consacrées à l’action antiterroriste. Quelques années plus tard, la désillusion prédomine chez leurs combattants, qui refusent d’être considérés comme des supplétifs.
« Notre objectif était de montrer que nous étions des alliés fiables dans la lutte contre le terrorisme, pour que nous puissions obtenir un meilleur accord pour notre région. Mais nous avons été traités comme une agence de tourisme à qui on donnait quelques barriques d’essence en mission. Pas d’armes, pas de munitions, et si tu meurs sur une mine ou au combat : rien. Sans parler des représailles qui visent chaque jour ceux qui sont accusés d’avoir collaboré avec la France », poursuit le combattant précédemment cité, qui situe la fin de cette collaboration fin 2015-début 2016.
Des milices rivales
Un autre interlocuteur pourrait démentir les propos du général Lecointre sur le contexte de l’intervention française en janvier 2013. L’ambassadeur de France de l’époque, Christian Rouyer, avait été rappelé à Paris en mars, puis remplacé par Gilles Huberson, un ancien de la DGSE, après avoir fait part de son opposition à cette stratégie d’alliance non reconnue.
Si cette proximité pouvait se justifier au nom de l’efficacité de l’action antiterroriste, de la recherche des otages français détenus dans la région, ou même pour empêcher des actions de représailles de l’armée malienne contre les populations touareg, cette logique d’appui sur des groupes armés locaux a été reconduite avec d’autres milices, rivales du MNLA, dans la région de Ménaka. En l’occurrence, le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) et le Groupe d’autodéfense Imghad et alliés (Gatia).
« Cela a duré quelques mois, fin 2017-début 2018. Ils nous donnaient de l’essence lorsqu’on patrouillait ensemble. Mais à la différence du MNLA, nous n’avons reçu ni armes, ni formations. Pas même un “Salam aleikum” à la fin pour nous remercier », dit avec amertume un cadre de l’un de ces mouvements. Avant de poursuivre : « Depuis que les Français ont arrêté de travailler avec nous, ils n’ont plus aucun résultat et c’est pour ça que l’opinion se retourne contre eux. »
Son « ennemi » du MNLA conclut avec ces mots : « Les terroristes sont plus riches que nous, ils sont mieux organisés et ont un objectif plus clair. Aujourd’hui, la lutte antiterroriste est un échec et tout le monde fait profil bas pour ne pas les agacer. De notre côté, nous prônons l’alliance tribale et laissons la question du terrorisme à la communauté internationale, car personne ne s’est soucié de notre sort après que nous avons mené le combat. »