Tiens, revoilà le peuple malien aux urnes pour élire un nouveau président. Et après la présidentielle, que faire ? Il ne le sait pas.
Est-il nécessaire de rappeler que, avant tout, l’intérêt de ces élections réside dans le fait qu’elles constituent aussi une sanction. Bien des électeurs, avant même hier, ont déclaré qu’ils feront un vote sanction contre tous ceux qui sont réputés corrompus, tous ces candidats qui ont été les dignitaires des deux régimes démocratiques, à savoir celui d’Alpha Oumar Konaré et celui d’Amadou Toumani Touré, dont la déposition a accéléré la descente du pays dans les dédales d’une crise sécuritaire et institutionnelle, aggravant du même coup une situation qui ne l’était déjà que trop. On peut, bien sûr, voir dans cette attitude des électeurs le signe d’une évolution majeure pour un peuple qui, pendant plus de 50 ans, comme l’a écrit Moussa Konaté – Mali, ils ont assassiné l’espoir (*)- ne s’est contenté que de vivre, dans un pays bien capable de le nourrir mais qui n’est jamais parvenu à lui procurer ce qu’il faut pour renouveler sa force de travail. Et l’on serait bien inspiré de saluer ce changement qui s’est opéré dans la mentalité de l’homme malien, qui veut se dégager de son rôle de spectateur des décisions qui concernent son avenir à lui et qui pourraient l’engager dans un péril.
Il est mal venu de ne pas mettre en exergue, encore une fois, le but de cette présidentielle qui doit permettre de résoudre démocratiquement les problèmes politiques et d’apporter une solution aux difficultés économiques auxquelles le pays est confronté. Ce qui implique que le pays doit s’engager sur une nouvelle voie, celle du changement demandé à cor et à cri par tous et toutes. Même si peu sont-ils à y croire vraiment (**), surtout ceux qui ont poussé le pessimisme jusqu’au désespoir stérile. On veut changer, mais grand paradoxe, on continue dans le même temps à produire les mêmes comportements, à se dire que le changement n’est pas pour demain et qu’il relève de l’impossible. Même si, quelque part, cela n’est pas sans explication si on se fie un peu à l’histoire politique de ce pays de 1960 à nos jours. Le fait est que c’est une histoire parsemée d’erreurs, de trahison et d’incompétences dont le même peuple, qui ne savait même pas ce qu’il voulait, a subi les conséquences. Par exemple, dans le livre de Moussa Konaté, on lit que Modibo Keïta, a d’abord été pour le peuple un homme sans égal, adulé, applaudi partout, devant lequel il s’extasiait, avant de finir par devenir le ‘’diable’’ qui était conspué à son passage. Et l’erreur de Modibo a été d’avoir trop pensé que le peuple était avec lui et de vouloir construire « une société socialiste dans la liberté et la souveraineté nationale (discours du 22 août 1960) » Et un an plus tard, il a été trahi, dépossédé du pouvoir par des militaires qui se proposaient d’établir un ordre nouveau, qui prône le travail, la discipline, la justice, l’ordre et le respect de la hiérarchie, « de sévir contre les paresseux, les fauteurs de troubles, les agents malhonnêtes, les dilapidateurs de fond publics et les citoyens qui ne rempliraient pas correctement leurs obligations civiques, car la liberté ne signifie pas anarchie »(***) Ensuite est venue la démocratie et son cortège de promesses jamais tenues au grand dam, encore une fois, d’un peuple qui a confondu passivité et démocratie…, qui encaisse, consomme, subit et se laisse téléguider comme on conduit un bœuf de labour au champ.
On comprend, sans mal, qu’après les erreurs du premier régime, les trahisons qui ont marqué le second, la démocratie qui est le troisième devait permettre au Mali de modérer l’incommodité économique, sociale et politique dans laquelle patauge le peuple. Mais, elle n’a elle aussi été qu’une somme d’incompétences, de manipulations et de médiocrités. Le plus grave est d’ailleurs la situation que nous connaissons actuellement et à propos de laquelle il faut se demander quand les responsabilités seront situées et punies. Et c’est là que l’on touche à l’un des problèmes de ce pays : ceux qui sont coupables ne sont jamais punis, ceux qui savent se taisent et ceux qui ne savent rien parlent, ceux qui méritent sont mis au placard.
Que faire donc après les élections ? C’est à mon sens la question que le peuple malien doit se poser d’ores et déjà, et s’il oublie de le faire c’est le serpent qui se mord la queue ! On sait qu’il méritait de la part de cette classe politique un zeste de respect, mais ne l’a pas eu : on ne lui a pas demandé pardon. Et aujourd’hui, on sait qui a fait quoi, quand et comment. Cela étant, ce qui reste au peuple est d’exiger la justice. Que ceux qui sont concernés par la corruption, l’incompétence, le pillage de fond publics soient jugés. Au sortir du régime autoritaire de Moussa Traoré, ceux qui se sont rendus coupables de tels actes n’ont eu rien à craindre et se la coulent douce quelque part à Bamako et ailleurs.
Il faut donc la justice. Parce que sans la justice, il n’y aura jamais de pardon.
Moussa Konaté, Mali, ils ont assassiné l’espoir au Mali, L’Harmattan (1990)
Faire le changement avec ceux et celles qui n’y croient pas, Boubacar Sangaré, Le pays