Suite à la saisine d’un agent de l’Agence malienne de radioprotection (Amarap) afin de vérifier ” l’opacité des opérations de dépenses effectuées par l’Agence malienne de radioprotection “, le Vérificateur Général y a effectué une mission de vérification financière pour les exercices 2016, 2017, 2018 et 2019 (1er semestre). A l’issue de cette vérification, le rapport révèle des irrégularités administratives et financières dont le montant total s’élève à 48 480 042 Fcfa.
Selon le rapport, la politique énergétique du Mali a pour objectif de contribuer au développement durable du pays à travers la fourniture des services énergétiques accessibles au plus grand nombre de la population et favorisant la promotion des activités socio-économiques. Aussi de nos jours, la situation sécuritaire dans la bande africaine sahélo saharienne requiert d’accorder une attention aux questions de sûreté et de sécurité radiologiques et nucléaires. Et de poursuivre que suivant les comptes administratifs de l’Amarap, les dépenses se sont élevées à la somme de 994 141 915 Fcfa sur la période sous revue. Et la structure en question n’a pas encore fait l’objet de vérification par le Vérificateur Général.
Au regard de ce qui précède et des documents fournis à l’appui de la lettre de saisine, le Vérificateur a décidé d’entreprendre une mission de vérification financière à l’effet de contrôler la régularité et la sincérité des opérations de recettes et de dépenses des exercices 2016, 2017, 2018 et 2019 (1er semestre) de l’Amarap.
Evoquant le contexte, le rapport indique qu’en ce qui concerne l’environnement général, la radioprotection ou “la protection radiologique” est la protection contre les rayonnements ionisants, c’est à dire l’ensemble des règles, procédures et moyens de prévention et de surveillance visant à empêcher ou à réduire les effets néfastes des rayonnements ionisants sur les personnes et l’environnement. Afin de prévenir (ou de minimiser) ces effets néfastes, le Mali a adhéré à la convention de l’Agence internationale de l’énergie atomique (Aiea) le 10 août 1961 et a ratifié la convention sur la sûreté nucléaire le 13 mai 1996. Ainsi, l’Agence malienne de radioprotection est un Etablissement public national à caractère administratif (Epa), placée sous la tutelle du ministre en charge de l’Energie. Elle a pour mission d’élaborer les éléments de la politique nationale dans le domaine de la radioprotection et d’assurer le contrôle des sources de rayonnements ionisants et la gestion des déchets radioactifs.
Absence de manuel de procédures administratives, comptables et financières validé par la commission
S’agissant des constatations et des recommandations, le rapport indique qu’elles sont relatives aux irrégularités administratives et financières. Ainsi, les irrégularités administratives relevant des dysfonctionnements du contrôle interne sont de divers ordres et se présentent comme suit : l’Amarap n’a pas de manuel de procédures administratives, comptables et financières validé en violation à l’Instruction n°02-0003/PRIM-CAB du 21 novembre 2002 du Premier ministre, relative à la méthodologie de conception et de mise en place de système de Contrôle interne dans les Services publics qui indique que “…L’institution d’un manuel de procédures administratives, comptables et financières est un élément important du système de contrôle interne des services publics, dont les Epa. A ce titre, elle fait obligation à tous les services publics d’élaborer et de mettre en œuvre un manuel de procédures de contrôle interne … “.
La mission a aussi constaté que l’Amarap ne dispose pas de manuel de procédures administratives, comptables et financières validé par la commission. En effet, le manuel disponible n’a pas été soumis à la validation de la commission de suivi des systèmes de contrôle interne dans les services et organismes publics. La non soumission du Manuel à la validation par la commission peut augmenter le risque d’incohérence et de non-respect des principes du contrôle interne. Le régisseur de l’Amarap certifie des factures à la place du comptable-matières. Alors que l’article 27 du Décret n°10-681/P-RM du 30 décembre 2010 portant réglementation de la comptabilité-matières est très clair : “…Dans tous les cas, la certification de la fourniture faite doit être portée sur le document comptable par le comptable-matières sur la base de l’ordre d’entrée de la matière (OEM)”.
Dans le but de s’assurer du respect des dispositions susmentionnées, la mission a analysé les pièces justificatives fournies par le Régisseur d’avances. Ainsi, elle a constaté que des factures relatives aux dépenses payées sur la régie durant la période sous revue ont été certifiées par le régisseur d’avances en lieu et place du comptable-matières. Et celles-ci concernent essentiellement l’entretien et la réparation des véhicules, des climatiseurs et des produits alimentaires. Cette situation, précise le rapport, ne permet pas de s’assurer de la réalité des dépenses effectuées.
A en croire le rapport, le directeur général de l’Amarap a mis en place une commission irrégulière de réception en violation de l’article 27 du Décret n°10-681/P-RM du 30 décembre 2010 portant réglementation de la comptabilité-matières qui stipule : “Toutes fournitures de matière, travaux ou services d’un montant inférieur à 2 500 000 Fcfa ou qui ne présente aucun caractère complexe fait l’objet d’une réception par un agent désigné à cet effet par l’ordonnateur matière. Toutes fournitures de matière, travaux ou services d’un montant égal ou supérieur à 2 500 000 Fcfa, fait l’objet d’une réception par une commission de (4) membres désignés par une décision de l’Ordonnateur-matières. Cette commission appelée commission de réception est composée ainsi qu’il suit : le chef Division comptabilité- matières de la Direction des Finances et du matériel ou son représentant (président), le représentant du service bénéficiaire, le technicien spécialiste du matériel ou de la matière désignée par l’ordonnateur matières, le représentant du service chargé de l’administration des biens de l’Etat (membres) et un représentant du contrôle financier assiste aux travaux de la commission de réception, en tant qu’observateur pour toutes fournitures de matière, de travaux ou de services atteignant un montant de 10 000 000 Fcfa …”
Pour s’assurer du respect de cette disposition par l’Amarap, la mission a examiné les factures d’achats, les décisions de mise en place des commissions de réception ainsi que les Procès-verbaux (PV) y afférents. Elle a constaté que la composition des commissions de réception n’est pas conforme à la règlementation en vigueur. En effet, en plus de l’absence du comptable-matières, le directeur général ou son représentant préside la commission de réception en lieu et place du comptable-matières. Ces cas sont illustrés par les procès-verbaux n°4/2018 du 07 novembre 2018, n°5/2018 du 05 décembre 2018 et la Décision n°18-716/AMARAP-DG du 03 décembre 2018 de mise en place de la commission de réception. L’absence du comptable-matières à la réception augmente le risque de réception fictive. La commission d’ouverture des plis et d’évaluation des offres ne s’assure pas du respect des critères de qualifications des données particulières de l’Appel d’offres.
Aussi, pour s’assurer du respect des critères de qualification par les candidats ainsi que du respect des procédures de dépouillement par la commission, l’équipe de vérification a examiné les données particulières de l’Appel d’offres (Dpao), les offres des soumissionnaires, les rapports de dépouillement, les notifications et les contrats de marché fournis par l’Amarap pour la période sous revue.
Ainsi, elle a constaté que le titulaire du marché n°00067 du 11 juillet 2017 relatif à la fourniture d’un véhicule tout terrain 4X4 station wagon en lot unique pour le compte de l’Amarap n’a pas fourni des pièces constitutives de l’offre, exigées dans les Dpao, notamment l’Autorisation du fabricant. En effet, le Groupe Motors Leader Africa Sarl (Gml Africa), titulaire dudit marché, a fourni une autorisation d’un fabricant, non conforme au modèle prévu dans les Dpao. Le modèle type de Dpao a subi une modification par le titulaire en remplaçant “sommes fabricant réputé” par le terme “agissant en tant que fabricant réputé”. Et de déplorer que nonobstant l’absence de cette pièce, la commission d’évaluation des offres a jugé son offre conforme et l’a proposé comme attributaire provisoire du marché. En effet, la non fourniture en bonne et due forme des documents requis peut entraîner des défaillances dans l’exécution des marchés.
L’utilisation de 4 803 tickets de carburants de 5 000 Fcfa soit un montant total de 24 015 000 Fcfa non justifiée
Au chapitre des recommandations, le rapport a indiqué que le directeur général de l’Amarap doit faire valider le manuel de procédures administratives, comptables et financières, respecter les règles de mise en place d’une commission de réception, respecter les dispositions réglementaires et celles des Données Particulières de l’Appel d’Offres (Dpao). Quant au Régisseur de l’Amarap, la mission recommande de soumettre les factures de la régie à la certification du comptable-matières.
Pour les irrégularités financières, il ressort que le montant total des irrégularités financières s’élève à 48 480 042 Fcfa. Celles-ci se présentent comme suit : le directeur général de l’Amarap n’a pas justifié l’utilisation des tickets de carburant achetés dont le montant total des tickets de carburant non justifiés pour la période sous revue s’élève à 24 015 000 Fcfa soit 4 803 tickets de 5000 Fcfa. Aussi, le directeur général de l’Amarap a procédé à l’utilisation irrégulière du carburant.
La mission a constaté que le directeur général de l’Amarap a détourné de son objet l’utilisation des tickets de carburant achetés pour un montant total de 3 185 000 Fcfa, notamment en violation du principe de la spécialité budgétaire. En effet, l’utilisation du carburant acheté en date du 08 novembre 2018 par le mandat AD n°18 et la facture n°0237 non datée de Star Oil, a été justifiée par la liste d’émargement du paiement en espèce des jetons de présence, des honoraires et des perdiems du 18ème Conseil d’administration pour un montant de 3 100 000 Fcfa ainsi que le paiement des factures d’achats du petit matériel pour un montant de 85 000 Fcfa. De plus, le montant total des pièces justificatives fournies à l’équipe dépasse d’un montant de 35 611 Fcfa, la somme de 3 185 000 Fcfa ayant servi à l’achat des tickets de carburant.
Il ressort également que le directeur général de l’Amarap a payé des jetons de présence sans fondement légal.
La mission, dans le but de s’assurer que les dépenses effectuées par le Régisseur sont autorisées et soutenues par des pièces justificatives probantes, a analysé les pièces fournies à l’appui du paiement des jetons de présence. Elle a constaté que des jetons de présence sont payés lors des Conseils d’administration (CA) sans fondement légal. En effet, le directeur général n’a pu fournir à la mission ni les délibérations du Conseil d’administration, ni les procès-verbaux (PV) autorisant le paiement desdits jetons lors des 13ème, 14ème, 15ème, 16ème et 17ème sessions du Conseil d’administration. De plus, la mission a également constaté que le taux des jetons de présence varie d’une session à l’autre. Et le montant total des jetons de présence irrégulièrement payés s’élève à 12 035 000 Fcfa.
Selon le rapport, l’Agent-comptable de l’Amarap n’a pas justifié des indemnités de déplacements en violation de l’article 8 du Décret n°2016-0001/P-RM du 15 janvier 2016 fixant les conditions et les modalités d’octroi de l’indemnité de déplacement et de mission dispose : “Les missions sont justifiées par l’ordre de mission dûment visé par les autorités compétentes et par la carte d’embarquement s’il y a lieu. Toute mission non justifiée dans les 15 jours qui suivent la fin de la mission fait l’objet d’un ordre de recette”. Afin de s’assurer du respect de cette disposition, la mission a examiné les pièces justificatives des paiements effectués par l’Agent-comptable au titre des indemnités de déplacement. Et le montant total de ces indemnités de déplacement non justifiées s’élève à 2 431 142 Fcfa.
En moins de deux ans, 83 pneus achetés pour un parc automobile
de sept véhicules pour un montant total de 17 688 200 Fcfa
Pour l’équipe de vérification, l’Agent-comptable de l’Amarap n’a pas reversé des produits issus de la vente des dossiers d’appel d’offres. Alors que l’alinéa 3 de l’article 9 de l’Arrêté n°2015-3721/MEF-SG du 22 octobre 2015, fixant les modalités d’application du Décret n°2015-0604/P-RM du 25 septembre 2015, portant code des marchés publics et des délégations de service public stipule que : ” …Toutefois, 80% des produits de la vente des dossiers des Collectivités Territoriales et des Etablissements publics sont reversés au Trésor Public et 20% à l’Autorité de Régulation des Marchés Publics et de Délégation de Service Public. En ce qui concerne les organismes personnalisés, les produits issus de la vente des dossiers d’appels d’offres sont versés au comptable dudit organisme”.
Afin de s’assurer du respect de cette disposition, la mission a examiné les dossiers d’appel d’offres vendus aux soumissionnaires, les rapports d’ouverture des plis ainsi que les reçus de paiement y afférents. Elle a également vérifié si les produits issus de la vente ont été reversés au Trésor public et à l’Autorité de régulation des marchés publics et des Délégations de service public. La mission a constaté que l’Agent-comptable n’a reversé ni dans le compte bancaire de l’Amarap ni à l’Autorité de régulation des marchés publics et de Délégations de service Public les produits de la vente des dossiers d’appel d’offres. En effet, il n’a pu fournir à l’équipe aucune pièce justifiant le reversement desdits produits dont le montant s’élève à 200 000 Fcfa.
Le directeur général et l’Agent-comptable ont effectué des dépenses irrégulières. En effet, il a été constaté que le directeur général et l’Agent-comptable de l’Agence ont procédé à l’achat des pneus en l’absence de besoins formellement exprimés. Ainsi, à la suite de l’examen des pièces justificatives des dépenses, il ressort qu’ils procèdent, chaque année, à l’achat des pneus sans que le besoin ne soit exprimé par les utilisateurs des véhicules concernés. En moins de deux ans, ils ont acheté 83 pneus pour un parc automobile de sept véhicules, pour un montant total de 17 688 200 Fcfa suivant les mandats n°36 du 10 février 2016, n°220 du 09 novembre 2016 et n°170 du 18 août 2017 et les factures n°0021/ TA/16 du 10 novembre 2016, n°0089/TA/16 du 03 novembre 2016 et n°40 du 15 août 2017. A titre d’illustration, en 2017 l’Agent Comptable a acheté 10 pneus pour le véhicule immatriculé K9567.
De plus, sur les 83 pneus, 50 ont été effectivement utilisés sur des véhicules. En effet, le comptable-matières n’a pas apporté à l’équipe, la preuve de l’utilisation ou de l’existence physique des 33 pneus dans le magasin et le montant total des irrégularités s’élève à 6 613 900 Fcfa.
Pour la transmission et la dénonciation de faits par le Vérificateur général au président de la Section des comptes de la Cour Suprême et au Procureur de la République près le tribunal de grande instance de la commune III du district de Bamako chargé du Pôle économique et financier relativement à la non justification des tickets de carburant achetés pour un montant total de 24 015 000 Fcfa, à l’utilisation irrégulière des dépenses liées au carburant pour un montant total de 3 185 000 Fcfa, au paiement sans base légale des jetons de présence pour un montant total de 12 035 000 Fcfa, au paiement non justifié des indemnités de déplacement pour un montant total de 2 431 142 Fcfa, au non reversement des produits issus de la vente des dossiers d’appels d’offres pour un montant total de 200 000 Fcfa, aux dépenses irrégulières pour un montant total de 6 613 900 Fcfa.
En conclusion, la mission estime que la maitrise du développement socio-économique de nos jours est fortement liée à celle des applications pacifiques de l’énergie atomique et des techniques nucléaires. A cet effet, elles doivent être mises sous contrôle, toutes les sources et pratiques mettant en œuvre les rayonnements ionisants, d’où la nécessité de renforcer la collaboration entre l’Amarap et les structures et institutions partenaires chargées de la protection civile, de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité aux frontières.
Par ailleurs, précise le rapport, dans un contexte marqué par la rareté des ressources financières et les exigences de plus en plus grandes de bonne gouvernance et de transparence, les gestionnaires se doivent d’observer rigoureusement les règles et les principes d’administration et de gestion de leurs ressources. En effet, les travaux de vérification financière de la gestion de l’agence ont permis de relever d’importantes insuffisances dans le dispositif de contrôle interne ainsi que des irrégularités d’ordre financier. La première porte sur le non-respect des procédures d’exécution des dépenses publiques et la seconde porte principalement sur les irrégularités financières liées au non-respect des principes budgétaires.
La mission a aussi relevé le vol et la perte fréquents du matériel roulant (motos Djakarta, voiture) et informatique (ordinateurs) de l’Agence. Bien que justifié par des déclarations de perte et de vol de la police nationale, ceux-ci dénotent d’une absence de rigueur dans la garde, l’entretien et la conservation du patrimoine de l’Agence.