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«Si la France part du Mali, elle sera aussitôt remplacée!»
Publié le jeudi 19 decembre 2019  |  sputnik news
IHEM
© aBamako.com par Momo
IHEM : sensibilisation sur la paix et la sécurité.
Bamako, le 08 mai 2015 le promoteur de l’ IHEM a organisé une conférence sur le rôle de la CEDEAO en matière de paix et sécurité.
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Le fondateur du Forum de Bamako, Abdoullah Coulibaly, estime qu’Emmanuel Macron est dans son rôle quand il demande des «clarifications» à ses homologues du G5 Sahel. Mais qu’il se trompe dans sa manière de les demander. La France n’a pas intérêt à se retirer du Sahel et si elle le fait, elle sera aussitôt remplacée, a-t-il affirmé à Sputnik France.

«La population (malienne) est dans un grand désarroi. Alors qu’elle croyait que la force armée à laquelle elle a fait appel pour la libérer de l’obscurantisme était toute puissante –elle sait tout, elle voit tout et à tout instant–, elle ne comprend pas qu’il y ait autant de soldats tués et que l’on n’ait toujours pas pu arrêter les djihadistes. Surtout à une époque où il est possible de distinguer une aiguille par terre depuis le ciel. Du coup, elle s’interroge sur les raisons pour lesquelles la France, qui est perçue comme une grande puissance, ne fait rien pour empêcher cela », a déclaré au micro de Sputnik France le président de la Fondation du Forum de Bamako.
De passage à Paris pour préparer le vingtième anniversaire du Forum de Bamako (20-22 février 2020), le fondateur de l’Institut des hautes études en management (IHEM), Abdoullah Coulibaly, également président de la fondation régissant ce forum depuis 2008, a accepté de s’exprimer sur le sentiment antifrançais qui prévaut actuellement dans son pays. Tout en se déclarant «convaincu» que la France ne retirera pas ses troupes du Mali car elle y est trop engagée, selon lui, et sait, de toute façon, qu’elle serait remplacée illico presto.


Souvent comparé à un «petit Davos africain», le Forum de Bamako réunit chaque année dans la capitale malienne un public «métissé» d’intellectuels et de décideurs africains et européens. Se voulant une «tête de pont entre les deux continents», il permet de débattre de toutes les grandes questions d’actualité hors de l’arène politique. Parmi les sujets sensibles abordés lors de cette vingtième édition, il y a la démographie, l’immigration, l’industrialisation mais aussi la gouvernance et la décentralisation ainsi que l’avenir du franc CFA ou la culture comme levier de développement.

Sous le thème prospectif de «L’Afrique à l’horizon 2040: entre mémoires et avenirs», il s’agira d’analyser, à partir du présent, les forces et les faiblesses du continent et, notamment celles de la région du Sahel dans laquelle le Mali occupe une place centrale. Car, comme le précise son fondateur, qui sera assisté dans cet exercice par le directeur des Futurs africains, Alioune Sall, et le président du Cercle des économistes Jean-Hervé Lorenzi, avec lequel le Forum de Bamako a signé l’an dernier un accord de partenariat: «Le Sahel est notre futur à tous!». D’autant que l’onde de choc de la crise sahélienne a déjà commencé à toucher les autres régions d’Afrique.

Pour cet homme d’influence et de réseau, qui a officié en tant que coordinateur du Comité national ayant organisé le 27e sommet Afrique-France à Bamako en janvier 2017, le désamour avec la France est apparu après l’opération Serval, en janvier 2013, à la suite de laquelle l’armée française avait réussi à stopper la marche des islamistes. Une fois le régime de Mouammar Khadafi tombé en Libye, des groupes terroristes ont envahi le nord du Mali prenant le contrôle de villes comme Tombouctou et Gao. Or, de l’avis de tous les experts militaires, sans cette intervention de la France, la capitale Bamako serait tombée aux mains des djihadistes et le Mali vivrait aujourd’hui sous un califat.

D’abord accueilli en libérateur, le Président François Hollande, dont nombre d’enfants maliens nés à partir de 2013 ont été nommés d’après lui, puis son successeur en tant que chef suprême des armées Emmanuel Macron, à compter de mai 2017, ont fini par devenir la cible de toutes les déceptions. Un revirement de l’opinion publique malienne à l’égard de la France, très mal vécu à Paris compte tenu des 31 morts dans les rangs de Barkhane depuis son déploiement en 2014 (41 soldats français tués au total si on inclut Serval), mais qui s’explique par le fait que les Maliens ont «surestimé les capacités de l’armée française à vaincre les djihadistes», regrette Abdoullah Coulibally.

«Malheureusement, aujourd’hui, au Mali comme ailleurs, tout ce qui se dit sur les réseaux sociaux est pris pour argent comptant. Or, pas tout le monde n’a intérêt à ce que la France reste au Mali. Et si elle partait demain, elle serait aussitôt remplacée par une autre puissance tant les enjeux géostratégiques sont devenus importants au Sahel», confie le président de l’IHEM.
Interrogé sur le fait de savoir si la Russie pourrait, éventuellement, remplacer la France dans sa lutte contre le terrorisme au Sahel, le président de la Fondation du Forum de Bamako répond sans hésiter.

«La Russie en a la capacité. Elle a démontré récemment en Syrie qu’elle est une puissance fiable, capable de faire face à l’une des menaces les plus importantes de l’humanité. Aussi, beaucoup dans le Sahel se disent que la Russie est une alternative possible. Mais je suis convaincu que la France ne partira pas car elle a trop d’intérêts au Mali», affirme-t-il.
Pour lui, les destins de l’Europe et de l’Afrique sont trop liés pour que la France renonce à être présente militairement au Sahel. «Quand la crise a commencé au Mali, tout le monde a pensé que c’était une affaire malo-malienne», rappelle-t-il. Jusqu’à ce que l’onde de choc aille à In Amenas en Algérie où, le 16 janvier 2013, plusieurs centaines d'Algériens et des étrangers de 14 nationalités différentes, «qui n’ont aucune frontière avec le Mali», comme il le souligne, ont été pris en otage sur un immense site gazier situé à Tiguentourine, près de la frontière libyenne (sud-est).

L'attaque est survenue au sixième jour de l'intervention militaire française au Mali. Un groupe islamiste armé, les «Signataires par le sang», avait revendiqué la prise d'otages en réclamant «l'arrêt de l'agression» au Mali par les troupes françaises. Ce groupe a été fondé par l'Algérien Mokhtar Belmokhtar, ancien membre destitué d'Al-Qaïda au Maghreb islamique* (Aqmi) avec lequel les autorités françaises ont souvent eu maille à partir, notamment au moment de la course dans le désert Paris-Dakar qui a ensuite due être déplacée en Amérique latine à cause des problèmes de sécurité.

«In Amenas, c’est aux portes de l’Europe. C’est la raison pour laquelle la France est intervenue avec l’aide de tous les autres. Sauver le Mali, c’est donc sauver l’Europe. Même si l’on sait bien que des dirigeants français et l’ex-Premier ministre Alain Juppé, singulièrement, ont aidé, par le passé, des éléments du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) à prendre Kidal. Toutefois, quand le MNLA s’est fait débouter par les djihadistes à Tombouctou, ces mêmes dirigeants français ont dit qu’ils s’étaient fait avoir. Du coup, ça a créé de la suspicion et des voix ont commencé à se faire entendre pour dire que la France était venue chez nous pour donner le nord du Mali aux indépendantistes. Une majorité de Maliens s’est alors mise à douter de la sincérité de la France avec de la défiance qui s’est instaurée de plus en plus», précise encore Abdoullah Coulibaly.
Pour lui, des interventions comme celle du général François Lecointre (chef d’État-Major des armées depuis le 20 juillet 2017, NDLR) sont salutaires pour rétablir la confiance. En visite au Niger –sur la base arrière de Barkhane par où transite tout le matériel militaire– et au Mali, à Gao, du 11 au 13 décembre, il a notamment déclaré: «Nous avons une dette envers ces pays. Combien d'Africains sont venus se faire tuer en France et en Europe pendant les deux guerres mondiales?»

«Infox» et meilleur partage des renseignements

La diffusion de fausses informations au Sahel, encore appelées «infox», à l’encontre de Barkhane a été invoquée publiquement par le général Thierry Burkhard, le chef d’État-Major de l’armée de Terre (Cemat), lors de sa première audition à l’Assemblée nationale française. Pour y faire face, avait-t-il déclaré devant les députés français, il faut «continuer à investir de nouveaux champs», comme le «cyber, la déception, la résistance à la désinformation», tout en assurant une «meilleure prise en compte de l’influence» pour arriver à lutter contre le sentiment antifrançais.
Lors de la conférence de presse qu’il a donnée à l’issue du dernier sommet de l’Otan, le Président Macron y a également fait allusion. «Je ne peux, ni ne veux avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit à l’heure même que l’ambiguïté persiste à l’égard de mouvements antifrançais, parfois portée par des responsables politiques», avait-il déclaré de façon péremptoire. La réunion annoncée pour le 16 décembre avec les chefs d’État du G5 Sahel, à Pau, a dû être reportée à cause des 71 soldats nigériens tués le 10 décembre dans une attaque djihadiste dans la région des trois frontières. Mais la demande qu’il avait faite à ses homologues du G5 Sahel d’«apporter des réponses précises sur ces points» demeure valable pour la rencontre au sommet fixée au13 janvier. De même que sa mise en garde, selon laquelle «leurs réponses sont aujourd’hui une condition nécessaire à notre maintien».

S’il comprend la posture du chef de l’État français «qui doit tenir compte de son opinion publique après la mort de 13 militaires français dont la moyenne d’âge ne dépassait pas trente ans de surcroît», il n’en reste pas moins que ses homologues du G5 Sahel ont eux aussi des opinions publiques. «C’est quelque chose que le Président français doit admettre car ce discours est très mal passé en Afrique», insiste Abdoullah Coulibaly,

«Lorsqu’on vient sur un territoire étranger, il est important de respecter les façons de faire et ne pas essayer de mettre tout le monde sous tutelle, mais de partager les informations. Or, ce n’est pas ce que fait l’armée française au Mali», a regretté pour sa part le président du Forum de Bamako.
Réuni à Niamey dimanche 15 décembre, les Présidents des cinq pays du G5 Sahel (Roch Marc Christian Kaboré du Burkina Faso, Ibrahim Boubacar Keïta du Mali, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani de la Mauritanie, Mahamadou Issoufou du Niger et Idriss Déby Itno du Tchad) ont, tous, promis d’être présents à Pau, le 13 janvier, afin de discuter de la réévaluation des objectifs de l’engagement français. Cette rencontre était initialement prévue à Ouagadougou puisque le Burkina Faso assure la présidence du G5 Sahel. Elle a été déplacée à Niamey pour permettre au président Issoufou de respecter les trois jours de deuil national décrétés après l’attaque d’Inates et de préparer les cérémonies pour la fête nationale du Niger qui est célébrée le 18 décembre.

De son côté, l’Élysée a précisé dans un communiqué que «ce sommet aura pour objectif de définir et de réévaluer le cadre et les objectifs de l’engagement français au Sahel. Il va par ailleurs permettre de poser les bases d’un soutien international accru aux pays du Sahel». À cette fin, le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, le président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki, le président du Conseil européen Charles Michel, le vice-président de la Commission européenne et haut représentant pour les Affaires étrangères Josep Borrel ont également été conviés.

Depuis plusieurs mois, la France fait des appels du pied à ses alliés européens pour qu’ils s’impliquent davantage dans la crise sahélienne. Si les chefs d’État du G5 Sahel ont convenu de «renforcer davantage leurs alliances et de mieux coordonner leurs actions sur les plans politique et stratégique», grâce notamment à une meilleure coopération entre leurs services de sécurité et de renseignement, ils comptent avant tout sur la communauté internationale pour renforcer son soutien financier aux pays du G5 Sahel, l’exhortant à la mise en place d’un «plan de type Marshall».
Selon le communiqué publié par le secrétariat permanent du G5 Sahel à l’issue des travaux, l’appel au Conseil de sécurité pour «placer le mandat de la force conjointe du G5 Sahel sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies et renforcer celui de la Minusma» a également été réitéré. Enfin, compte tenu de la responsabilité de la communauté internationale dans la situation d’insécurité au Sahel due à la déstabilisation de l’État libyen, les chefs d’État du G5 Sahel souhaitent également que le partenariat international pour la stabilité et la sécurité au Sahel (P3S) adopté au Sommet du G7 à Biarritz se concrétise le plus vite possible.
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