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Au Mali, le refus du «néocolonialisme»
Publié le jeudi 19 decembre 2019  |  liberation
Rassemblement
© aBamako.com par Momo
Rassemblement de l`Imam Mahamoud Dicko
Bamako, le L`imam Mahamoud Dicko a rassemble des dizaine milliers de personnes pour dire non aux massacre contre les civils
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De plus en plus de voix s’élèvent contre la présence des soldats français de l’opération Barkhane, malgré le manque d’alternative.

C’est un jardin sans ombre, tout sec et à peu près désert. Le jardin du Cinquantenaire (de l’indépendance du Mali), adossé à la colline présidentielle rocailleuse de Koulouba, surplombe un échangeur. De l’autre côté de la rocade, la vue sur Bamako s’étale jusqu’à se diluer dans un nuage de poussière et de pollution. Le lieu du rendez-vous a été choisi à cause d’un symbole évident : une sculpture éclairée la nuit au néon représentant les contours du territoire national et rappelant sa superficie : 1 241 238 kilomètres carrés. «Le Mali, uni et indivisible, doit être entièrement libéré, attaque notre interlocuteur. Et tant que la France sera là, elle ne le permettra pas.»

Seydou Sidibé, 35 ans, est membre du Groupe des patriotes du Mali (GPM). Lunettes à montures dorées, mocassins en cuir, il s’est assis en tailleur sous un kiosque du parc. «Notre objectif, c’est que l’armée française se retire du pays, purement et simplement. Vous êtes arrivés en 2013, nous vous remercions, mais maintenant c’est fini, nous n’avons plus besoin de vous.» L’activiste s’échauffe. Son plaidoyer est un condensé des critiques visant l’opération Barkhane qui inondent les réseaux sociaux maliens. Des thèses complotistes les plus farfelues aussi. «La France est capable de payer des rebelles pour affronter l’armée malienne, assène-t-il. Le supposé accident d’hélicoptères [qui a coûté la vie à 13 soldats français le 25 novembre, ndlr] est une manipulation.» Ou bien : «La Mission des Nations unies au Mali [Minusma] est une entreprise française.» Et le classique : «La France est là pour piller les ressources du pays.» Lesquelles ? Sourire entendu. «Notre sous-sol est très, très riche, mais on nous le cache.»

Ces derniers mois, le GPM appelle à des manifestations de rue régulières contre la présence française. Il est rejoint par plusieurs autres associations et des orateurs anti-impérialistes, comme l’infatigable docteur Oumar Mariko, président du parti marxiste panafricaniste Sadi (2,3 % des voix à l’élection présidentielle). «La jeunesse bamakoise est sensible à ces discours, mais cela a peu d’écho dans le reste du pays parce que les populations y sont les premiers bénéficiaires des actions de Barkhane, nuance Boubacar Sangaré, de l’Institut pour la sécurité du Sahel. Ce n’est pas non plus nouveau : quelques mois après Serval, une fois l’euphorie retombée, des militants avaient déjà commencé à crier "A bas la France".»

Le 14 novembre, un live Facebook du chanteur le plus célèbre du Mali, Salif Keïta, s’adressant en bambara à son kôrô («grand frère») Ibrahim Boubacar Keïta, le Président, a alimenté la colère populaire contre l’opération Barkhane. «Tu sais pertinemment qu’il n’y a pas de jihadistes dans le nord du Mali, que la France engage des mercenaires pour tuer des Maliens, élucubre le musicien de 70 ans, bras croisés derrière une table de cuisine. Et malgré ça, tu continues de courir derrière ce Macron, un gamin comme ça ! A serrer cette main qui nous étrangle ?» Des propos « diffamatoires», a dénoncé l’ambassade de France au Mali. La vidéo a été visionnée près d’un million de fois.

Pour ne rien arranger, Paris a multiplié les erreurs de communication en direction du Sahel ces derniers mois. L’annonce par Florence Parly, sur la base de Gao le 5 novembre, du lancement de l’opération Takuba pour 2020 a ulcéré les souverainistes maliens. «La ministre française de la Défense vient déclarer elle-même sur notre sol que des commandos étrangers vont débarquer l’année prochaine [Takuba prévoit le déploiement de forces spéciales européennes en appui de l’armée malienne], s’agace Seydou Sidibé. Quel manque de respect pour les autorités maliennes !» Takuba signifie «sabre» en tamasheq, la langue des Touaregs. «Choisir un terme touareg, et un vocable guerrier qui plus est, qui résonne avec une grande violence pour nous a été une bêtise, juge l’imam Mahmoud Dicko, l’un des religieux les plus influents du pays. Mais il est trop facile de tomber sur les Français. Les problèmes des Maliens, ce sont d’abord les leurs.»

«Nous devons déchirer l’accord de paix d’Alger»
Le religieux, figure de proue de la mouvance salafiste quiétiste au Mali, a déjà prouvé par le passé sa capacité à mobiliser massivement. A la différence des marches organisées par les groupes patriotiques, qui comptent jusqu’à présent quelques centaines de personnes, ses meetings peuvent attirer des dizaines de milliers de Maliens. En juin, Mahmoud Dicko avait dénoncé à la tribune d’un de ces rassemblements «le processus de recolonisation de la France». Il modère aujourd’hui ses propos : «Il faut être responsable dans un moment comme celui-ci, convient-il. Nos dirigeants s’abritent derrière la présence française pour masquer leurs insuffisances. Le citoyen lambda, lui, a l’impression que le gouvernement est totalement passif.»

L’invitation lancée par Emmanuel Macron aux chefs d’Etat sahéliens à Pau, le 16 décembre, pour «qu’ils clarifient et formalisent leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale», a été vécue à Bamako, Ouagadougou ou Niamey comme une humiliation. «Souhaitent-ils notre présence et ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions», a insisté le président français. Après une attaque sans précédent contre un camp de l’armée nigérienne, le 10 décembre, au cours de laquelle 71 soldats ont été tués, le sommet franco-sahélien a finalement été reporté. «Ce n’est pas une invitation, c’est une convocation. Macron veut demander à ses homologues du G5 Sahel de museler leur peuple, mais il ne pourra pas nous empêcher de nous exprimer», s’indigne Ibrahima Tamaguidé Kébé, «commissaire principal» de l’association Faso Kanu, fondée en 2014, année du lancement de l’opération Barkhane.

Tous les mardis, l’activiste, qui aime citer Karl Marx et Modibo Keïta, le premier président du Mali indépendant, anime une émission politique sur une radio bamakoise. Il y dénonce «le complot néocolonial de Paris» et son «projet secret d’un Sahara français, qui date d’une loi de 1957 [l’Organisation commune des régions sahariennes, collectivité territoriale créée à cette époque, a été liquidée en mai 1963]», tout en rappelant, à l’instar du GPM, qu’il n’a rien contre «le peuple français, toujours le bienvenu ici».

Son discours, comme celui de nombreux jeunes Bamakois, repose essentiellement sur deux accusations. La première concerne Kidal, la ville du Nord aux mains des ex-rebelles touaregs depuis 2013. Une obsession pour les «patriotes». D’après eux, la France y protégerait les groupes armés touaregs, proches des jihadistes, et empêcherait le retour de l’Etat malien. Le péché originel de Paris remonte à l’opération Serval (2013-2014) : à l’époque, les militaires français s’étaient en effet appuyés sur le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), à dominante touareg, pour combattre les groupes islamistes dans la région.

«Enclave insupportable au sein du territoire national, Kidal est une brèche dans la souveraineté et une blessure dans le sentiment patriotique causé par la France qui a "trahi" en prenant fait et cause pour le MNLA», analyse un collectif de chercheurs dans une tribune sur les «discours et représentations sur la présence de la France dans un Mali en état d’urgence», parue au début du mois dans le Monde. «Je souhaite redire très clairement que Kidal, c’est le Mali et l’Etat malien», a ainsi dû une nouvelle fois rappeler Macron le 12 novembre. «C’est un comble : aujourd’hui, c’est pourtant nous qui supplions le gouvernement malien de revenir à Kidal, souffle un officier français. On n’attend que ça !»

Au-delà du symbole de Kidal, l’accord de paix d’Alger, signé en 2015 entre les groupes rebelles nordistes et les autorités, n’a jamais été véritablement accepté à Bamako. Il prévoit notamment une décentralisation accrue, renforce les pouvoirs de l’assemblée régionale et assure une «plus grande représentation des populations du Nord au sein des institutions nationales». «Ce papier a été ratifié sous pression de la communauté internationale. Il est dangereux, c’est la porte ouverte au séparatisme des régions du Nord voulu par les Français. Nous devons le déchirer», s’emporte Seydou Sidibé, du GPM.

Les soldats français ne partiront pas de sitôt
Le second argument des Maliens hostiles à l’opération Barkhane est, à leurs yeux, son inefficacité. «Les Français sont là depuis six ans et les jihadistes ont proliféré : ils sont maintenant à Mopti, à Bandiagara, à Djenné [des villes du centre du pays], il y a chaque année davantage de victimes civiles», rappelle le militant qui, au lieu d’en conclure à l’échec ou aux limites de l’opération militaire française, va jusqu’à prétendre que «Barkhane protège les terroristes, les rebelles et les bandits». Seydou Sidibé avoue qu’il n’a pas la moindre «preuve» de ce qu’il avance mais, dit-il, «au Rwanda, l’implication de la France n’a été démontrée que des années après le génocide»… Ibrahima Tamaguidé Kébé abonde : «Les 4 500 soldats suréquipés et bien entraînés de Barkhane, avec leurs satellites et leurs moyens aériens, secondés par les 13 000 Casques bleus de la Minusma, ne peuvent pas venir à bout de quelques centaines de jihadistes depuis six ans ? Ça pose tout de même question.»

De l’avis de tous les militaires interrogés - français, maliens ou onusiens -, un retrait unilatéral de Barkhane aurait pourtant pour conséquence une progression immédiate et massive des groupes islamistes armés sur le terrain. L’armée malienne seule n’est pas en mesure de contenir leurs offensives. Aujourd’hui cantonnés à la brousse, ils pourraient rapidement s’emparer de centres urbains. L’Elysée le sait, Koulouba le sait aussi. Les soldats français ne partiront pas de sitôt du Mali. Condamnés à rester, sans doute, mais aussi à être de plus en plus critiqués. Barkhane sait se défendre contre les jihadistes. Contre les attaques politiques et médiatiques, en revanche, il n’est pas sûr qu’elle remporte le combat.

Célian Macé Envoyé spécial à Bamako

Source liberation
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