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Sahel : «La solution ne peut venir que des Africains»
Publié le lundi 13 janvier 2020  |  liberation
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Pour le chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Paris a assimilé à tort les problèmes du Sahel à un jihadisme global.

«Que fait l’armée française dans cette galère ?» s’interroge ouvertement Marc-Antoine Pérouse de Montclos dans son dernier ouvrage (1), dont le titre sans détour donne tout de suite le ton : Une guerre perdue. La France au Sahel. Le directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) y livre un diagnostic implacable sur sept ans d’intervention française dans cet immense territoire désertique. Opération vouée à l’échec selon lui, faute de prise en compte des facteurs endogènes propres aux pays de la région et à cause d’aveuglements idéologiques cultivés à Paris qui conduisent par ailleurs à de nombreuses compromissions avec des régimes autoritaires. Alors que le président Macron reçoit ce lundi à Pau ses homologues africains du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), retour sur le bilan et les perspectives de cette guerre que la France mène en Afrique depuis près d’une décennie.

La réunion à Pau ce lundi peut-elle offrir un sursaut salutaire alors que l’insécurité s’accroît au Sahel ?
Macron semble d’abord attendre des Etats africains concernés qu’ils réaffirment leur solidarité avec la France et leur volonté de maintenir la présence de l’armée française chez eux. On assiste en effet à une montée du ressentiment contre l’ancienne puissance coloniale qui s’exprime surtout dans les capitales, où le sentiment nationaliste est fort. Alors quand Macron donne l’impression de convoquer de façon un peu brutale les présidents du G5 Sahel, comme ce fut le cas en décembre lors de la première annonce de cette réunion, c’est inévitablement perçu comme du néocolonialisme. Conjugué aux frustrations qu’engendre l’enlisement d’une opération militaire dont on ne voit pas la fin, ce malaise persistant montre aussi que la France n’était peut-être pas le pays le plus indiqué pour s’impliquer dans ce conflit. Son passé colonial la place, malgré elle, dans une position délicate. Quoi qu’elle dise ou fasse, elle sera critiquée, soupçonnée d’avoir des intérêts cachés. On a d’ailleurs entendu toutes sortes de légendes sur les ressources que la France voulait accaparer au Sahel. En réalité, la seule véritable richesse stratégique que la France exploite dans la zone se trouve au Niger et non au Mali, en l’occurrence avec Areva et l’extraction d’un uranium dont les prix ont chuté alors que certaines mines d’Arlit sont en train de fermer. Pour le reste, les marchés des pays du G5 Sahel sont insignifiants à l’échelle globale. Leur perte n’aurait quasiment pas d’effet sur la balance commerciale française.

S’il n’y a pas d’intérêts économiques cachés, c’est donc bien une guerre pour combattre la menace jihadiste dans cette région ?
Dès le départ, on a beaucoup exagéré cette menace. François Hollande a même menti le 8 mars 2013, deux mois après l’intervention au Mali, en déclarant que les jihadistes avaient massacré des femmes et des enfants. Ce qui était complètement faux. Début 2013, la perspective d’une prise de Bamako par les jihadistes n’avait d’ailleurs rien d’une évidence car 300 combattants avaient peu de chances de s’emparer et, surtout, de contrôler une ville d’un million d’habitants où l’on détestait les Touaregs venus du nord. Depuis, on défend une rhétorique de guerre préventive en prétendant que la menace terroriste au Sahel est globale et pourrait un jour toucher l’Europe. Mais il faut rappeler qu’aucun des groupes que la France combat au Sahel n’a jamais commis d’attentat en Europe ou en Amérique du Nord. On affirme que des bandes de va-nu-pieds font partie d’un jihad global alors qu’ils sont à mille lieues des dynamiques conflictuelles en Irak et en Syrie. Et si certains affichent le label de l’Etat islamique ou d’Al-Qaeda, c’est surtout pour gonfler leur importance réelle, sans pour autant qu’il y ait de véritables liens opérationnels entre Moyen-Orient et Sahel.

Il y aurait donc eu dès le départ une erreur d’analyse sur la crise ?
La principale erreur a été de considérer que les problèmes du Sahel venaient du jihadisme et d’un islam radicalisé. Alors que ce qui est réellement en cause, c’est la faiblesse des Etats, leur incapacité à réguler les conflits autrement que par une répression sanglante. Le vrai problème, c’est un sentiment d’injustice sociale, d’inégalité, et aussi de corruption et d’impunité des forces de l’ordre. Au Mali et à Bamako, épicentre de la crise, ce n’est pas le «terrorisme» qui est perçu comme la principale menace sécuritaire du pays, mais le séparatisme touareg. Dans les campagnes, ce sont des enjeux plus terre à terre que l’on voit s’exprimer dans les sondages : crainte du retour de la famine, problèmes d’accès à l’école et à la santé. D’ailleurs dans les langues vernaculaires de la région, le mot «terroriste» n’existe pas. On parle des «gens de la brousse» dans le Macina malien, «des mauvais garçons» dans la région de Diffa au Niger. La deuxième erreur, c’est un péché d’orgueil postcolonial qui consiste à imaginer que la France serait la mieux placée pour refonder et construire des Etats au Sahel.

La guerre au Sahel serait alors un échec complet ?
En sept ans, les groupes jihadistes ont proliféré et se sont enracinés. Le Mali est toujours divisé en deux. Aujourd’hui la présence de l’Etat reste très faible dans le nord, les voies de communication sont souvent bloquées et les habitants de Gao sont obligés de passer par les pays voisins s’ils veulent aller en voiture à Bamako. On peut parler d’échec sur ces deux objectifs définis lors du lancement de l’intervention française en 2013 : empêcher les groupes jihadistes de s’enraciner et réunifier le Mali en l’aidant à restaurer sa souveraineté nationale. On est dans l’impasse et on voit bien qu’il faut passer à autre chose, sinon dans vingt ans on sera toujours dans cette situation. Or aujourd’hui, on ne sait toujours pas à partir de quel seuil l’Elysée considérera que la situation est rétablie et qu’on peut se désengager. Il n’y a aucun calendrier. On a pourtant plus besoin que jamais d’un effet d’annonce, d’un électrochoc qui fasse bouger les lignes. Peut-être faut-il dire à nos alliés de prendre la situation un peu plus en main, et de notre côté amorcer un calendrier de désengagement ? La solution ne peut venir que des Africains. Mais dans l’immédiat ce pacte de la guerre nous lie à des Etats qu’on n’ose critiquer et qu’on doit défendre bien au-delà de la soi-disant offensive contre le jihad mondial.

C’est-à-dire ?
La lutte contre le terrorisme est toujours un test terrible pour les démocraties, car on remet en cause l’Etat de droit. Au Sahel, on est face à des insurrections aux causes multiples, des gens qui se révoltent en faisant référence à des modèles révolutionnaires globaux. Mais dans le cadre d’une lutte contre des groupes déclarés terroristes et non insurrectionnels, on s’affranchit des règles qui encadrent la poursuite des hostilités et on justifie des lois d’exception qui violent le droit de la guerre. La phraséologie du terrorisme et des impératifs sécuritaires de l’état d’urgence permet toutes sortes d’abus. Notamment du côté de nos alliés africains. Au Cameroun, les autorités ont ainsi décrété que l’obstruction de la voie publique pendant une manifestation pacifique de l’opposition relevait du terrorisme et pouvait donc être passible de la peine de mort. On voit bien que la lutte contre le terrorisme sert aussi à renforcer des régimes autoritaires et corrompus. En 2019 au Tchad, par exemple, l’opération Barkhane a ouvertement outrepassé son mandat en pilonnant une colonne armée d’opposants tchadiens, pas du tout jihadistes, venue de Libye dans le nord du pays. Il fallait sauver le président Deby. On justifie ces écarts en expliquant que le Tchad est notre allié le plus solide dans la lutte contre le terrorisme et qu’on ne peut pas se permettre qu’il soit déstabilisé. Mais en réalité, le Tchad est un Etat guerrier très fragile qui, à défaut d’institutions, donne une impression trompeuse de stabilité autour d’un chef d’Etat qui est lui-même arrivé au pouvoir par la force en 1990. Les contribuables français savent-ils que leurs impôts servent à payer les fins de mois des fonctionnaires tchadiens ?


Mais pourquoi les dirigeants français s’obstinent-ils alors dans cette lecture focalisée sur l’islamisme radical ? N’y aurait-il pas quand même un risque, si l’armée française part, que le vide soit comblé par les jihadistes du Moyen-Orient ?
Sur les raisons de cet aveuglement, je suis perplexe. Est-ce une forme d’autoradicalisation républicaine liée au rejet de l’islamisme extrémiste qui conduit finalement à le voir partout ? Ou bien, est-ce qu’on met tout sur le dos d’un islam «radicalisé» pour éviter de critiquer nos alliés africains ? Evidemment c’est plus facile de blâmer le wahhabisme ou l’Etat islamique en Irak ou Syrie que de reconnaître que les Etats de la zone sont largement responsables du prolongement des conflits, incapables de les réguler autrement que par des violences contre les civils qui incitent alors des jeunes à rejoindre les insurgés pour se protéger. Quand vous êtes Peul au Burkina Faso et que vous voyez que les massacres par l’armée ou ses supplétifs miliciens contre votre communauté restent impunis, qu’est-ce qu’il vous reste comme option ? On présente parfois l’aide au développement comme la solution miracle censée accompagner l’opération militaire et permettre de rétablir les services de base de l’Etat. Mais elle est si souvent détournée. Et c’est moins la pauvreté que l’accaparement des ressources et l’accès à la terre qui posent problème. On revient toujours à ce sentiment d’injustice sociale. Quant à ce qui se passerait si les forces françaises quittaient le terrain, il y aurait du chaos dans l’immédiat, c’est certain. Mais ce terrain-là n’intéresse guère les forces jihadistes présentes au Moyen-Orient. Sur le plan opérationnel, celles-ci ont aujourd’hui bien plus intérêt à créer des cellules à Hambourg ou Londres que d’aller patauger dans les marécages du lac Tchad ou du delta intérieur du Niger, dans des zones difficiles d’accès et sans infrastructures pour monter des opérations terroristes à un niveau global. Quand on temporise ce risque, on se heurte cependant à une formidable méconnaissance des ressorts locaux des conflits du Sahel et même de la réalité du monde islamique, à beaucoup de niveaux de responsabilités en France. Et dans l’immédiat, l’obsession d’un jihad global nous conduit à l’échec.
Source liberation.fr
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