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Conquêtes coloniales du Soudan français : L’alliance entre Archinard et Koumi Diocé du Bélédougou
Publié le samedi 18 janvier 2020  |  L’Essor
Moussa
© AFP par FRANCOIS ROJON
Moussa Traoré
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Koumi Diocé et le colonel Archinard avaient été des alliés solides, dans un front de lutte commun contre la suprématie toucouleurs, celle héritiers de Alhaj Omar Tall. Pourquoi, cette alliance s’est-elle disloquée ? Comment comprendre l’engagement de Diocé, un bambara, contre Bandiougou Diarra de Ouessébougou, un autre bambara ?




Les historiens de la pénétration coloniale insisteront pendant longtemps sur le rôle joué par le colonel Archinard dans la mainmise de la France sur notre territoire. Brutal, parce que sûr de sa force militaire, les canons et les tirailleurs, il s’est aussi illustré comme un habile chef qui a su tirer une grande partie de ses arguments dans la bonne lecture de la carte sociale et politique de son champ de bataille. Avec lui, la politique du « diviser pour régner » prend tout son sens.
Diocé ou Diocé Dian Traoré est un bambara du Bélédougou. Il fait partie des pièces de fierté de notre patrimoine historique dont la seule évocation bombe encore nos torses. Il est mort le 15 février 1915, à Kodialan. Avec lui, beaucoup de vaillants combattants, quand la canonnade coloniale est venue à bout de leur résistance. La figure de Diocé a suscité une production historique, littérature et artistique. En 1962, Issa Baba Traoré a écrit « Un héros, Koumi Diossé » aux éditions de la Librairie Populaire du Mali. Le « Ciwara Band » de Kati a réalisé à la même époque « Lahidou », une composition musicale, sous la forme d’un récital. C’est dans cette même veine que Mariam Bagayoko, diva typique du Bélédougou, a chanté « Diocé », au son de son « N’Goussoun bala » et de sa voix perçante.
Auparavant, en 1917, soit deux ans seulement après la bataille de Kodialan, Jules Brévié, chef des affaires politiques au Cercle de Bamako a écrit « Diocé », un poème publié dans « l’Annuaire et Mémoires du Comité d’études historiques et scientifiques de l’Afrique Occidentale ». Pour l’administrateur colonial, féru d’ethnologie, Diocé et ses compagnons n’étaient que des insurgés qu’il a fallu réduire. Il reconnaît cependant leur bravoure et leur détermination.
Vu sous cet angle, Diocé est sans doute un héros. Avec le recul, il est possible de revenir sur le parcours « militaire » ou plutôt « l’activité guerrière » de Diocé, en tant qu’auxiliaire des troupes coloniales. Son nom apparait très tôt dans les écritures des officiers coloniaux : il a notamment connu Borgnis Des Bordes, Galliéni et Archinard. En 1889, Diocé est déporté à Tombouctou, avec d’autres combattants. Ils y resteront jusqu’en 1904 avant d’être réhabilités. Ils ont eu beaucoup de chance, car à l’époque déportation rimait avec mort. On imagine que la fin de cet internement administratif a dû être négociée car Diocé deviendra désormais un « collaborateur », un « ami » de Louis Archinard. Cette collaboration, loin d’avoir été perçue comme un acte de reniement ou une trahison a été présentée comme un coup de stratégie militaire et politique. Militaire, car Diocé aurait nourri l’ambition de percer le secret de la fabrication des armes des toubabs, notamment le fameux canon. On peut entendre encore cette version dans la zone concernée. Politique, car Diocé et Archinard avaient un ennemi commun à savoir les toucouleurs qui, après le Kaarta ont conquis le Bélédougou avec une kyrielle d’abus et d’exactions, au nom de l’islam. Cette explication parait la plus logique.

La doctrine française
Diocé comptait sur l’appui de son « ami », un envahisseur, pour l’aider à libérer son peuple du joug d’un autre envahisseur. Il faut juste prendre une carte pour voir que Ouessébougou était une place stratégique dans la lecture géopolitique du moment. La ville était entre le Bélédougou et le Kaarta. Les toucouleurs pouvaient de là, s’attaquer au Bélédougou. Le Bélédougou a pris conscience de sa vulnérabilité face aux toucouleurs en se mettant sous la protection des Français. Voilà, le contenu du contrat de dupes. Il faut reconnaître cependant que les Français dans ce qu’ils ont retenu de la lecture sociale sont parvenus à des constats opérationnels. Ils ont quasiment élaboré une doctrine dont G. Valbert Valère nous donne la substance dans « « le Sultan Ahmadou et la Campagne du Colonel Archinard dans le Soudan français » (Revue des Deux Mondes, 1890, 3ème période, Tome 102, pages 675 à 686). Il traite du rapport entre Français et Africains. Des toucouleurs, il retient l’intelligence et l’humanité, ce qui le place au-dessus des bambaras fétichistes. Il ajoute : « Orgueilleux, insolents, fanfarons autant que perfides, plus durs pour leurs captifs que tous les autres noirs qu’ils méprisent comme une vermine, les Toucouleurs constituent une sorte d’aristocratie africaine, qui n’admet que personne ose s’égaler à elle ou prétende entrer en partage de ses privilèges. Tous les efforts que nous avons faits pour nous les rendre favorables, pour nous concilier leurs bonnes grâces ou leur tolérance, ont été vains ; nous ne pouvons conclure avec eux que des trêves ».
Qu’ont-ils retenu des bambaras ? Que ces derniers ne parviennent pas à mettre fin à leurs « « divisions intérieures, aux zizanies, aux rivalités ». Valère ajoute : « les Bambaras ne disaient pas non : un fétichiste ne dit jamais non ; mais ils n’en pensaient pas moins. Ils sont fermement persuadés que les promesses sont des femelles, que les effets sont des mâles, et ils attendaient, pour nous croire, de nous avoir vus à l’œuvre ».
Les Français se sont également fait une idée de leur adversaire, le plus coriace, du moment, notamment Ahmadou, le fils de El Hadj Oumar Tall : « un guerrier prudent et un politique habile, un infatigable ourdisseur de trames, ayant partout des espions et des émissaires, travaillant sans cesse contre nous, artificieux et opiniâtre, ne se laissant rebuter par aucun échec ». Des qualités qui lui ont permis de comprendre très tôt, et définitivement, que la paix n’est pas possible entre lui et les Français. En effet, la progression des Français a coupé l’empire dont il a hérité en trois morceaux : au nord-est, le Kaarta avec Nioro pour capitale, au sud-est, sur la rive droite du Niger, le Royaume de Ségou, au sud Dinguiraye. La présence des Français le coupait de Dinguiraye. Entre le Kaarta et Ségou, il y a le Bélédougou.

Un contrat stratégique
Archinard a bien exploité cette donne communautaire en jouant la carte des uns contre les autres. Il demande aux bambaras de l’aider contre les toucouleurs. En échange, il leur promet le trône et le pouvoir qu’ils ont perdu. à Ségou, il a promis aux bambaras d’installer un des leurs quand il aura mis en déroule Ahmadou Tall. Il tiendra parole sur le fil, dans un premier temps en installant un représentant potiche de la famille Diarra, en la personne de Mari Diarra. Celui-ci n’acceptant pas l’érosion de son territoire ne tarde pas à manifester contre l’autorité Underberg, le résident de Archinard. Mari Diarra est abattu le 29 mai 1890. Il sera remplacé par Bodian Coulibaly, un bambara massassi du Kaarta. Les bambaras de Ségou ont pris cette imposition comme un affront et ne l’ont jamais accepté, car eux aussi comptaient récupérer « leur » pouvoir. L’histoire est complexe et le débat autour de sa statue y prend ses racines, il est d’autant plus pertinent que les faits sont encore frais dans la mémoire des descendants des acteurs du moment.
Archinard a pris Ségou le 6 avril 1890 avec une relative aisance, au bout d’une canonnade qui a duré seulement trois heures. Il sait cependant que son œuvre ne sera pas complète tant qu’il ne « soumettait » pas Ouessébougou, la place forte des toucouleurs qui avait à sa tête Bandiougou Diarra. Bandiougou Diarra en plus d’être d’un guerrier intrépide et méthodique avait deux chapeaux : il était musulman et ami des peul. Du coup, il devenait l’ennemi des bambaras restés animistes dont le Bélédougou. Le 25 avril 1890, voilà le colonel Archinard devant le Tata de Ouessébougou. Il était à la tête d’une colonne de 292 soldats dont 27 Français. Cette troupe pouvait s’appuyer sur deux pièces d’artillerie de 80 mm de montagne. Il avait surtout à ses côtés Koumi Diocé qui avait mobilisé une troupe conséquente de Massantola et de Mourdia. La présence de Diocé à Ouessébougou est attestée et documentée. G. Valbert en parle, avec force détails, dans son article « le Sultan Ahmadou et la Campagne du Colonel Archinard dans le Soudan français » (Revue des Deux Mondes, 1890, 3ème période, Tome 102, pages 675 à 686).
Cet article est un témoignage de première main sur la bataille de Ouessébougou qui a duré deux jours, du 25 au 26 avril 1890. La résistance a été forte et l’auteur reconnaît que c’était là, le seul risque pris par Archinard au cours de ses campagnes. Il donne aussi la motivation des bambaras du Bélédougou qui avaient fait de la prise de Ouessébougou, le gage de la sincérité de leur amitié avec les Français : « Nous ne croirons à l’amitié des Français que quand ils auront cassé Ouessébougou ». Il décrit aussi les combats : une première brèche, une deuxième brèche, un coup de canon toutes les dix minutes, l’assaut décisif au lendemain, le Tabala qui tonne toujours. Archinard est surpris par la résistance. Il est même déboussolé. à un moment, il pense même avoir perdu la partie. Il se ravisa. Dans un sursaut ultime, il se mit à haranguer les chefs et les notables bambaras qui étaient avec lui. Il va leur dire que lui Archinard n’avait aucun intérêt à venir se battre à Ouessébougou.
Valbert rapporte les propos de cette harangue : « C’est pour vous, leur dit-il, pour vous seuls que je suis venu ici. Vous m’avez dit que je n’aurais qu’un trou à faire et que vous passeriez tous ; j’en ai fait cinquante. Les Blancs ont couché cette nuit dans le village, qui est à moitié démoli. Voulez-vous en finir ? Vous m’aviez assuré que je pouvais compter sur vous. Tout le monde dit que les Bambaras sont braves et ne mentent pas ; je l’ai cru, autrement j’aurais amené cent tirailleurs de plus. Êtes-vous des femmes ou des captifs ? Je croyais que vous aimiez la bataille. Cette fois, je vais vous laisser aller seuls. Je veux savoir au juste ce que vous valez ».
Ces propos de Archinard, repris par les griots et les interprètes, ont fait de l’effet. Il annonce la sortie en première ligne « des deux grands cantons de Mourdia et Damfa ». « Mourdia marche toujours en tête à l’assaut, je marcherai le premier », annonce le chef de Mourdia. Il reçoit les félicitations de Archinard. La place est finalement investie. Valbert nous décrit la scène : « Les Bambaras sont entrés dans le village ; on les aperçoit à travers la fumée, escaladant les toits des maisons pour s’avancer de proche en proche vers le réduit où s’est concentrée la résistance et dont ils couronnent bientôt les murs ». En face, il y a la détermination des assiégés qui refusent de se rendre : « leur Tabala bat toujours ».

La résistance de Ouessébougou
Les faits d’armes sont cruellement décrits sous la plume de l’auteur : « Un esclave qu’on emmène prisonnier se fait sauter la cervelle avec un pistolet tromblon. Les femmes mêmes sont héroïques ; les unes combattent, le sabre en main ; d’autres apportent dans les cases de gros paillassons, appelés seccos, y mettent le feu, s’enferment et périssent dans les flammes ». Ouessébougou a été saccagé. Bandiougou Diarra qui a résisté pendant deux jours ne sera pas pris. Il va se faire sauter avec sa poudrière, préférant de loin, « la mort à la honte », le même chemin que prendront Babemba de Sikasso, et Koumi Diocé, lui-même bien après. Les pertes sont énormes pour les hommes de Archinard. Sur un effectif de 292 hommes engagés, il en a perdu 99. Mais, il est heureux à la fin. Outre la victoire militaire, il reçoit deux cadeaux de Diocé. Valbert est plus précis dans son récit : « Diocé, le généralissime des Bambaras, « offrit gracieusement à Archinard deux petites filles dont il était le père, le priant d’en choisir une pour lui et de remettre l’autre au général Borgnis-Desbordes ». Il ajoute que « c’était la plus grande marque d’attachement et de reconnaissance qu’il pût lui donner et un de ces présents qu’on ne refuse pas ». Archinard, rapporte Valbert, obtint que Diocé « gardât provisoirement ces deux demoiselles auprès de lui ». Il explique ce choix car « on prétend que lorsqu’une jeune Bambara entre dans la maison d’un Blanc, si humble qu’y soit sa situation, elle ne tarde pas à y commander. On n’en peut faire sa cuisinière, et il est peut-être dangereux d’en faire autre chose. Le mieux est de la laisser à Diocé », conclut-il.
Archinard lui-même parle de la présence de Diossé à ses côtés. Il a accordé un entretien au conservateur du muséum d’Histoire naturelle du Havre comment il est entré en possession du tam-tam de guerre attribué à Ahmadou. (A. Loir, Bulletin du muséum 1934, reproduit dans « Les grandes enquêtes du journal Le Havre »). Il rappelle les circonstances des combats fréquents entre le Bélédougou et les toucouleurs avant de confirmer l’âpreté de la bataille de Ouessébougou. Plus explicite, Archinard explique que quand Bandiougou s’est fait sauter avec sa poudrière, le tam-tam a cessé de battre : « Il est retrouvé quelques instants après par les guerriers de Dampas. Ils le portent à Diocé, le chef de guerre élu par tous les pays bambaras, qui vient me l’offrir. Le voici ». Le doute n’est pas permis.
Diocé, lui-même, ne retourne pas les mains vides. Il s’empare de Flakoro, la fille de Bandiougou qui devient son épouse. Ce point d’histoire, comme d’autres faits de guerre, est encore brûlant au sein des communautés. La partie est bien finie. Archinard continuera ses campagnes à l’intérieur du pays avant de retourner en France où il prendra part à la grande guerre. Il n’a cependant pas honoré ses engagements vis-à-vis de son « ami » Diocé. Celui-ci, dépité retourne dans son Bélédougou désormais directement piloté depuis le Cercle de Bamako. Les ordres sont drus, les abus coloniaux sont incessants. S’y ajoute la question du recrutement des soldats pour l’armée. Tout ceci a fini par pousser le bouchon dans le Bélédougou.
En mai 1915, les chefs de cantons ont décidé de ne plus donner suite aux demandes du Commandant de Cercle. Ils sont hors d’eux-mêmes, ils tuent deux gardes coloniaux. Rien ne pouvait désormais empêcher l’affrontement. Le Commandant de Cercle de Bamako met en mouvement le chef de Bataillon Caillet pour aller mâter ce qui pour lui relevait d’une insurrection. Il mènera une campagne qui va durer quasiment un mois à travers des combats à Zambougou d’abord, à Wolodo ensuite à Kodialan enfin, le jour fatidique.
Voilà pour les faits consignés. Mais il y a aussi les faits qui continuent de vivre dans l’imaginaire, à travers la tradition. Qu’en était-il de la position réelle de Diossé par rapport à la levée des hommes contre les colonisateurs, dans le Bélédougou ? Il se rapporte que Diossé aurait été mis en minorité. Il avait une connaissance parfaite des capacités de destruction des canons français et savait tout aussi la portée des armes du Bélédougou. Il a été contraint de suivre le mouvement, à son corps et à son honneur défendant.
Il s’agit-là, de notre histoire, dans sa douleur et sa grandeur. Cette histoire ne semble pas résister à l’appétit des prédateurs fonciers qui ont une convoitise pour l’exploitation mercantile du site de Kodialan, cette rivière qui a vu mourir Diocé et les héros du Bélédougou.
Le colonisateur avait pris soin de nous étudier dans l’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie… pour nous connaître et nous combattre. Savons-nous seulement aujourd’hui qui sommes-nous et quelle est la cartographie de nos rapports sociaux dans la guerre injuste qui nous est imposée ? Avons-nous une doctrine sur cette cartographie ? Connaître les ressorts de notre passé peut déjà nous permettre de trouver des solutions aux défis actuels.

Source : L’Essor
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