Face au désert médical qui ronge l’Afrique de plus en plus, la télémédecine serait le remède. L’expert-Uémoa en télémédecine, Dr. Sayave Gnoumou, président du comité médical expert-télémédecine et cyber-santé et président du Global Médical Nazouki international, nous a accordé un entretien dans lequel il explique comment et pourquoi l’Afrique a besoin de la télémédecine. C’était en marge du salon international de la santé « Keneya-Expo« qui s’est déroulé au Mali en mi-janvier. Lisez…
Mali Tribune : C’est quoi la télémédecine ?
Dr. Sayave Gnoumou : La télémédecine, c’est le traitement des patients à distance. Le patient est à distance. Il utilise des moyens comme le téléphone, souvent très sophistiqué jusqu’à récolter des images, le fonctionnement des organes et à les transmettre au médecin, qui à son tour, traite le patient par prescription. C’est le diagnostic, le traitement et l’expertise à distance. Dans la télémédecine, il y’ a la téléconsultation, je peux être en France et faire votre consultation. Il y’ a aussi la télé-expertise. Par un médecin qui consulte un autre médecin pour expertise. Le médecin fait l’examen pose le diagnostic. Il y a aussi la chirurgie robotique, où un médecin étant à New-York opère quelqu’un qui est à Bamako.
Mali Tribune : Le contact physique n’est il pas obligatoire dans un traitement ?
Dr. S. G. : Normalement, la télémédecine ne remplace pas le contact physique. Juste là où c’est possible, on doit le faire. Quand on fait recours à la télémédecine, la qualité de service qu’on rend doit être au minimum égale au même service que si on le rendait avec le patient en face de soi. La télémédecine est assez spécifique et assez réglementée.
Mali Tribune : La télémédecine a-t-elle des avantages ?
Dr. S. G. : Oui sur plusieurs plans. Par exemple, vous, vous êtes à Bamako. Si vous voulez mon avis à Paris, il faudrait que vous veniez à Paris. Donc il y’a un billet d’avion, l’hôtel et autres. Parfois, tu trouves que ce n’est pas nécessaire. On peut utiliser la télémédecine pour régler un problème qui ne nécessite pas toutes ces dépenses. Autrement il aurait fallu vous transporter. Vous pouvez être dans un village. Une femme est enceinte. Elle doit accoucher. Pour l’aider en cela, il faut la mettre dans une charrette pour l’amener à Bamako. Avec les moyens de la télémédecine, on peut surveiller et l’aider à accoucher avec une infirmière sur place. On ne dit pas qu’il ne faut plus faire la rencontre face à face, cela est indispensable, mais il y’a des situations qu’on pourrait décanter étant à distance.
Mali Tribune : Quels outils la télémédecine utilise ?
Dr. S. G. : Les outils sont nombreux. Si vous voulez la voix, il faut la téléphonie. Si vous voulez l’image, il vous faudrait une caméra. En médecine, il y’a tout, la voix, l’image, le son, le mouvement, l’écriture, les figures etc. Un examen de laboratoire sortirait des données dans un format particulier. Donc c’est multi-format, multistandard. Il faut juste que l’appareil avec lequel tu fais l’examen, qui récupère l’image, la voix ou le son du cœur puisse mettre tout cela dans un format qu’on pourrait envoyer. Il y’ a énormément d’outils. Ce sont des dispositifs médicaux et c’est la technologie qui a permis de le faire. Avant si tu faisais l’électrocardiographie, vous devez la regarder sur un papier, il faut être là en face, mais aujourd’hui, on peut te l’envoyer partout. Si vous prenez votre photo puis vous m’envoyez des photos pour consultation ou conseil, votre téléphone devient un dispositif médical.
Mali Tribune : Quel pourrait être l’apport de la télémédecine pour une grande couverture médicale sur le continent ?
Dr. S. G. : Le désert médical c’est partout. Il faut voir aujourd’hui, en France, la télémédecine est l’un des challenges. Ils sont en train d’utiliser la télémédecine pour rembourser, payer le médecin ou l’infirmier qui pratique la télémédecine. Leurs actes vont être payés par la sécurité sociale. Parce que la télémédecine permet de couvrir les déserts médicaux.
En Afrique, la télémédecine nous permet de faire un raccourci et d’avoir un niveau de médecine acceptable et un système de santé accessible aux populations avec des soins de bonne qualité.
Mali Tribune : Estimez-vous que la télémédecine pourrait jouer un rôle dans la lutte contre les faux médicaments ?
Dr. S. G. : Les faux médicaments sont un gros problème. Justement si on rentre dans la télémédecine, c’est là où on pourra le régler. Tout médicament a une carte d’identité qui le décrit en tout. En utilisant la technologie, on récupère les cartes d’identités de tous les médicaments et le tracer partout. C’est-à-dire l’identifier. En télémédecine, on peut mettre un système de code. Je prends un médicament, avant de l’avaler, je fais clic et le laboratoire me répond si oui ou non le médicament est le leur. Et les laboratoires, ils aiment cela car c’est une concurrence déloyale. On copie leur médicament, on détruit leur médicament. Donc ils sont même prêts à soutenir cela. On peut croire prendre un antibiotique alors qu’en fait je ne prends rien. Parfois ce n’est pas le médicament qui est faux, mais il est en surdose. Dans le cadre de la protection de la population, c’est presque obligatoire. On a la chance de pouvoir le faire avec la télémédecine.
Mali Tribune : L’Afrique peut-elle être leader dans la télémédecine ?
Dr. S. G. : Oui c’est pour ça que j’ai dit que c’est une chance. Dans le cadre du téléphone, vous avez vu que l’Afrique a pris un raccourci. Elle n’est pas passée par tous ce que les pays développés ont utilisé comme téléphonie. Les grands hôpitaux en France ont des équipements lourds, implantés fixés au sol par contre aujourd’hui le même appareil, on l’a dans une valise. Donc ne prenons pas les lourds même si on nous donne. On prend le petit qui est même plus performent. Et de la même manière, rapidement devenir les leaders. Ce que vous faites ici avec vos téléphones portables, je ne peux pas le faire avec le mien en France (envoie d’argent, payement de facture etc.). Donc on est en avance et on peut être aussi en avance dans la télémédecine.
Mali Tribune : Quel serait le bilan aujourd’hui de la télémédecine en Afrique ? Évolue-t-elle suffisamment ?
Dr. S. G. : Oui, l’Afrique aime beaucoup la télémédecine. Par exemple les gens sont plus réticents en Europe qu’en Afrique dû à leur accès facile à la santé, leur confort entre autres. Mais en Afrique les gens sont de plus en plus attirés. La réticence en Afrique la plupart des temps, c’est du personnel un peu âgé qui a peur de la technologie, qui a peur de perdre la face par manque de formation continue avec la technologie ou le pouvoir chez les chefs de service ou l’argent. Je pense qu’il faut rassurer les personnels sur ces différents points. Parce que s’ils ne le font pas, ils perdront la face. Si les médecins ne s’intéressent pas aujourd’hui à la technologie, à la télémédecine, ils perdront la face devant le malade. Aujourd’hui tout est sur l’internet.