Des renforts à la force « Barkhane » dans la région des trois frontières seront décidés prochainement en conseil de défense par Emmanuel Macron.
« Des moyens supplémentaires seront présentés au président de la République dans les jours qui viennent » pour les opérations au Sahel. Le chef d’état-major des armées françaises, François Lecointre, a précisé mercredi 22 janvier devant la presse qu’il s’agit de rendre « permanente l’action sur le terrain, H24 et 7 jours sur 7 », dans la région des trois frontières (Mali, Niger et Burkina Faso) où la force « Barkhane » concentre désormais pleinement ses moyens.
Depuis la Côte d’Ivoire, 220 légionnaires en mission de courte durée ont déjà renforcé les effectifs. D’autres suivront si Emmanuel Macron valide le plan le 29 janvier en conseil de défense. Sont aussi prévus des moyens d’accompagnement « logistiques et de renseignement supplémentaires » nécessaires à cet effort tactique. Les renforts « nous font espérer qu’on va obtenir une bascule », dit le général.
Le repositionnement avait été validé par l’Elysée avant le sommet du G5 Sahel de Pau, qui l’a officialisé, le 13 janvier. La ministre des armées Florence Parly a achevé mardi 21 janvier une tournée de trois jours auprès des « partenaires » africains pour en décliner la mise en œuvre. L’effort vise l’organisation Etat islamique au grand Sahara (EIGS), désignée comme l’ennemi principal.
Les Européens doivent « absolument faire plus »
Les éléments de la force conjointe du G5 se concentreront eux aussi dans la zone des trois frontières. Ils couvraient jusqu’alors une bande de 50 kilomètres de part et d’autre des limites des Etats sahéliens, de la Mauritanie au Tchad. Le général Lecointre confirme la venue d’un bataillon tchadien. Mais il appelle les Européens à équiper d’urgence ces unités africaines, notamment les deux bataillons maliens.
La force « Takuba », des unités spéciales européennes et françaises complémentaires, se joindra pour « accompagner les Maliens au combat ». Sa première capacité militaire sera déclarée « à partir de l’été », pour « être pleinement opérationnelle à partir de l’automne ». Paris espère 500 militaires mais, remarque le chef français : « Là où j’attends l’Europe, je la trouve un peu longue à se mettre en branle. Cela fait maintenant sept mois que j’ai écrit une lettre demandant à l’UE qu’elle fasse un travail plus complet d’accompagnement des armées, et pas seulement leur entraînement. On perd beaucoup de temps. »
Les Européens doivent « absolument faire plus », a lancé le 20 janvier Joseph Borrell, le haut représentant de l’UE, rappelant qu’en 2019 les fragiles pays du Sahel avaient perdu 1 500 militaires et déploré 4 000 morts civils dans des attaques djihadistes. Le chiffre le plus important depuis 2012.
« Un électrochoc »
Le général Lecointre admet qu’il « peut y avoir des ratés », « des erreurs ». « Nous menons un travail de retour d’expérience constant pour voir les erreurs que nous faisons. Mais, ensuite, il y a la fortune de guerre. Je ne prétends pas que les armées françaises sont infaillibles », précise-t-il. Selon lui, cette « guerre civile très complexe » sahélienne « est un engagement long ». Et de répéter : « Elle ne peut être gagnée que si les pouvoirs politiques de ces pays mettent à profit, pour redéployer l’Etat, les gains tactiques que nous avons réalisés. »
Avec la mort de treize soldats français en novembre 2019 et les massacres contre les forces locales, François Lecointre veut croire que se sont produits « un électrochoc » et une « prise de conscience très brutale », parmi les Africains comme les Européens. Autrement dit : « Notre idée, c’est bien aussi de faire passer le singe sur l’épaule de ceux qui ont une part de responsabilité plus importante que nous dans la solution de cette crise. »
Il faudra agir contre les mises en cause de la présence française : le chef d’état-major évoque une « guerre des perceptions ». Mais il dénonce aussi un « “french bashing” un peu facile », alimenté « y compris par le regard exagérément critique » de la presse française sur les résultats de « Barkhane ». « Le fait que les choses n’aient pas plus dégénéré est déjà en soi un succès », assure-t-il.
« Eviter que les Américains s’en aillent »
La stratégie globale ne changera pas, partagée avec les Etats-Unis : elle consiste à cloisonner les théâtres du terrorisme islamiste – Moyen-Orient, Afrique de l’Est, du centre, de l’Ouest, Libye. « Aujourd’hui, Daech se réorganise comme une multinationale avec des appareils de propagande extrêmement efficaces, et revendique des actions de groupes terroristes qui se sont érigés en filiales », précise-t-il. L’état-major assure que « leurs modes d’action en rezzou ne sont pas nouveaux ».
Mais le général Lecointre se dit « frappé par la transmission des savoir-faire ». Les engins explosifs improvisés, généralisés en Afghanistan à partir de 2010, apparus au Sahel en 2012, deviennent plus sophistiqués. Même vigilance devant « l’emploi de drones, assez rustiques mais très efficaces », observé au Levant. « Je crains la transmission de ce savoir-faire à tous les niveaux en Afrique. »
D’ici à deux mois, les Etats-Unis reconfigureront leur présence militaire en Afrique, un enjeu déterminant. Les drones américains sont ainsi les seuls à avoir une capacité d’écoute électromagnétique – la France ne l’aura pas avant fin 2020. Par ailleurs, il faudra solliciter davantage les Européens sur le transport stratégique et le ravitaillement en vol. Dans ce dernier domaine, selon les informations du Monde, les inquiétudes françaises ont été ravivées par un retrait ponctuel des moyens américains, en fin d’année.
« Je m’échine à éviter que les Américains s’en aillent », déclare le général français. Ses homologues américains le rassurent, expliquant que leur engagement africain est « cost effective » (rentable). Mais la Maison Blanche doit en être convaincue, a récemment admis l’Elysée.