Après les massacres commis dans la zone des trois frontières par l’EI au Grand Sahara, le Jnim, affilié à Al-Qaeda, a revendiqué l’attaque d’un poste de gendarmerie à Sokolo. 20 soldats maliens ont été tués.
Une nouvelle fois, une nuée de motos transportant des combattants enturbannés s’est abattue sur un site militaire malien. L’assaut, qui visait un poste de gendarmerie de la commune de Sokolo, près de la frontière mauritanienne, a eu lieu dimanche à l’aube. Il a duré moins de deux heures. Les assaillants ont tué au moins vingt soldats, ont pillé les véhicules, les armes et les munitions, avant de mettre le feu au camp. «Certains éléments sont toujours portés disparus, précise une source sécuritaire malienne. On ne sait pas s’ils ont réussi à s’échapper ou s’ils ont trouvé la mort à l’extérieur du camp.»
L’attaque a été revendiquée lundi par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim, selon son acronyme arabe) qui reconnaît avoir perdu trois de ses hommes dans les combats. L’organisation jihadiste affirme également avoir fait trois prisonniers. Le mode opératoire, la cible et l’ampleur du bilan humain rappellent les attaques de Boulikessi (le 30 septembre, entre 40 et 85 morts), Indelimane (1er novembre, 49 morts), Tabankort (18 novembre, 43 morts), mais aussi celles qui ont frappé le Niger voisin à Inates (le 10 décembre, 71 morts) et Chinégodar (le 9 janvier, 89 morts). Sokolo vient s’ajouter à cette liste noire.
Branches.
Pourtant, à la différence des précédentes tueries, celle-ci n’a pas été signée par l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) mais par le Jnim, une coalition de groupes jihadistes placés dans le giron d’Al-Qaeda et dirigée par le Touareg malien Iyad Ag Ghaly. L’attaque n’est pas survenue dans la zone dite «des trois frontières» (Mali, Niger, Burkina Faso) où est implanté l’EIGS, mais plus à l’ouest, à proximité de la forêt de Wagadou, sanctuaire historique des combattants d’Al-Qaeda au Maghreb islamique et de la katiba Macina (active dans le centre du Mali), deux des composantes du Jnim.
Les relations entre les deux organisations sahéliennes ont fait l’objet de nombreuses spéculations. Sont-elles des ennemies, comme le furent les branches de l’Etat islamique et d’Al-Qaeda au Proche-Orient ou en Afghanistan ? Ou bien des partenaires, s’échangeant avis religieux, armes et combattants à l’occasion d’une attaque d’envergure ? «Elles peuvent développer des alliances de circonstance, mais aussi rivaliser pour le contrôle des territoires ou de l’économie criminelle, en faisant jouer des logiques tribales, explique Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute. Lorsque leurs intérêts divergent, elles peuvent aller jusqu’à des affrontements directs.» Ces dernières semaines, plusieurs sources ont ainsi rapporté une querelle au sein de la katiba Macina qui a débouché sur des combats avec une faction souhaitant rejoindre l’Etat islamique. La bataille aurait fait plusieurs morts.
Sur le fond, «les gens de l’EIGS accusent Hamadou Kouffa, le leader de la katiba Macina, d’être trop conciliant avec les locaux», précise Boubacar Ba, du Centre d’analyse sur la gouvernance et la sécurité du Sahel : «Dans la région Centre, Kouffa est engagé dans des négociations avec les élus, les chefs traditionnels, les groupes d’autodéfense… L’EI, lui, assume une position beaucoup plus radicale.» Dans le delta du Niger, la question du paiement des redevances pastorales aux élites locales, notamment, est un lourd sujet de contentieux, l’EIGS s’y opposant fermement au nom de l’égalité inscrite dans la loi islamique. «Sa ligne peut séduire des bergers lésés par le système traditionnel», poursuit le chercheur.
L’attaque de Sokolo s’inscrit-elle dans une logique de surenchère du Jnim, après les opérations spectaculaires de l’EIGS ces derniers mois ? Le 19 janvier, Al-Qaeda avait félicité et encouragé sa filiale sahélienne pour ses actions menées contre les armées nationales et les forces françaises. Le communiqué de la «centrale» a été diffusé quelques jours après le sommet de Pau, au cours duquel Emmanuel Macron avait invité ses homologues membres du G5 Sahel à intensifier leurs efforts dans la lutte antiterroriste. A l’issue de la réunion, les participants ont annoncé leur volonté de concentrer leurs opérations militaires sur la zone des trois frontières, devenue la plus préoccupante.
L’assaut de dimanche vient rappeler à quel point l’insurrection jihadiste est désormais étendue, et surtout mobile. Les groupes de combattants s’adaptent, se déplacent, pour frapper les cibles les plus vulnérables du dispositif sécuritaire. Barkhane avait pourtant mené un raid contre un «important campement installé dans une zone densément boisée» - la forêt de Wagadou - un mois plus tôt. Selon le communiqué de l’état-major des armées, «40 terroristes» ont été tués dans l’opération, «réalisée de nuit par plusieurs dizaines de commandos appuyés par des hélicoptères Tigre» et qui avait vu pour la première fois un missile français tiré depuis un drone Reaper. «Un succès considérable», s’était félicité Macron, alors en visite en Côte-d’Ivoire. Encore une fois, dimanche, les jihadistes du Sahel ont prouvé leur résilience.