L’éco, sous la conception annoncée le 21 décembre 2019 à Abidjan, non sans une certaine précipitation, est-il réellement une monnaie africaine, telle que le souhaitent les citoyens africains, quand, au même moment, c’est le Président français qui déclare, en compagnie du Président de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, que “c’est en entendant votre jeunesse que j’ai voulu engager cette réforme”. En plus plusieurs autres questionnements se posent pour les citoyens de ces pays.
Ainsi, en est-il du maintien de la parité fixe de l’éco avec l’euro, avec la faible inflation qui lui sera rattachée comme anciennement dans les pays utilisateurs du F CFA. Cette fixité de la monnaie unique avec l’euro est un aspect très critiqué par les économistes africains. En effet, selon eux, l’arrimage de l’éco avec l’euro, comme cela était le cas entre le F CFA et l’euro, qui reste une monnaie forte, pose problème pour les économies de la zone du F CFA, car selon eux, il sacrifierait la compétitivité et l’emploi. Ces économistes plaident pour la fin de la parité fixe avec l’euro et l’indexation de la monnaie unique sur un panier des principales devises mondiales.
Par ailleurs, les citoyens s’interrogent en ce qui concerne l’avenir de la garantie, que la France était sensée accorder pour assurer la libre convertibilité internationale illimitée du F CFA, quand cette France aura renoncé à partir d’aujourd’hui à la mise à disposition du Trésor français de 50 % des réserves de change des pays utilisateurs de l’éco, la future monnaie unique. De plus, s’agira-t-il de l’éco des 8 pays de l’Uémoa ou bien de celui des 15 pays de la Cédéao qui devra être une monnaie flottante ?
Nous nous proposons aujourd’hui d’édifier les lecteurs sur les questionnements ci-dessus recensés en attendant, dans un prochain article, d’examiner d’autres interrogations.
De l’annonce des changements et de leurs auteurs
Une action de politique publique relève d’un acteur doté de responsabilités, définies par des textes en vigueur, et de moyens associés à la réalisation des activités conduisant à des résultats précis. En ce sens, une bonne action de politique est conduite par l’acteur approprié, avec efficience au moment indiqué dans un calendrier adopté.
Par conséquent, même si les actions annoncées dans la déclaration du 21 décembre 2019 à Abidjan devaient aller unanimement dans le bon sens, l’annonce des changements attendus aurait dû venir d’une instance plus appropriée quant à sa légitimité et à sa compétence.
Cela aurait comme mérite d’éviter de faire planer un doute certain sur l’existence d’une volonté réelle de la France de lâcher prise sur ces pays utilisateurs du F CFA en vue de leur permettre d’amorcer un vrai changement désiré par la majorité des populations, quand il ne s’agirait pas pour cette puissance coloniale de torpiller l’évolution monétaire attendue de la Cédéao.
De la parité fixe de l’éco avec l’euro : ou de la fausse illusion de fixité
Il convient de relever que lorsque les économistes parlent de parité fixe du F CFA, ils ne se réfèrent à aucun concept bien établi dans la théorie économique, alors qu’en la matière, les notions d’étalon et de numéraires connus depuis D. Ricardo nous permettent de caractériser le lien entre le F CFA et l’euro aujourd’hui, et hier avec le FF.
En effet, l’euro constitue pour le F CFA la référence qui lui donne naissance et qui fait de l’euro l’étalon de valeur des pays africains utilisateurs du F CFA et du F CFA un numéraire parmi tant d’autres permettant de fixer les prix. C’est ainsi que le Mali a pu en faire l’expérience en 1983-1984 lorsqu’il a mis en circulation en même temps, le Franc malien (FM) et le F CFA lui-même, le second étant le double du premier. Ces deux numéraires ont été utilisés individuellement et concomitamment lors des transactions pour mesurer les prix des biens et services. Ainsi, un prix de 100 FM était administré pour 50 F CFA, les deux expressions représentant la valeur de 1 FF, soit une unité d’étalon.
Ce faisant, le FF et le F CFA désignent à l’intérieur des pays utilisateurs du F CFA l’étalon et un numéraire. En matière de comparaison des monnaies de deux pays, D. Ricardo indique qu’il ne faut pas comparer l’étalon d’un pays avec le numéraire d’un autre pays, ce que ces économistes africains font en parlant de taux de change fixe ou de parité fixe entre le F CFA avec l’euro (ou hier le FF). Ainsi, ils se placent dans l’impossibilité de comprendre que le FF, (aujourd’hui l’euro), n’est pas l’étalon exclusif de la France, mais également pour les pays africains utilisateurs de cette monnaie qui ne doivent pas oublier que c’est bien la France l’initiatrice de cette monnaie.
Ainsi, il apparait donc inapproprié de parler de taux de change ou de parité entre le F CFA et l’euro aujourd’hui, ou, hier entre le FF et le F CFA, le FCFA ne constitue en réalité qu’un multiple ou sous-multiple de l’euro, c’est-à-dire l’euro en une quantité certaine fixée à l’avance.
En revanche, il est approprié de parler de taux de change entre l’euro et les autres monnaies du monde, comme le dollar US, la Livre sterling, le Yen, un taux de change qui désigne une quantité changeante en permanence d’une seconde à l’autre. L’interdiction de comparer le F CFA avec ces monnaies, exige de passer par le taux de change de l’euro, son support, dans ces monnaies pour connaitre la conversion du F CFA dans ces monnaies.
Par conséquent, l’idée de fixité attachée à la parité du F CFA ou à son taux de change par rapport au FF ou à l’euro est une fausse illusion, car dans la réalité son taux de change n’est jamais fixe, mais en changement permanent, suivant les mouvements dictés par l’euro.
Aussi, l’idée d’arrimage entre du F CFA à l’euro, ou hier par rapport au FF, procède-t-elle d’une illusion et d’une méconnaissance du rôle des monnaies dans l’économie.
Cette méconnaissance amène des économistes à parler du F CFA comme d’une entité distincte de l’euro, un peu comme si on parlait d’un mouton qu’on viendrait attacher à une charrette en mouvement. Ce mouton, entité autonome va subir les mouvements autonomes de la charrette et en souffrir très certainement.
Cependant, à la différence du mouton et de la charrette, le F CFA et l’euro constituent la seule entité qui est l’euro, dont la millième partie (1,052 pour mille) est appelée F CFA, qui aurait pu être désigné par un nom composé du type de millimètre, la millième partie du mètre.
En termes de taux de variation, si l’on pose que le FCFA = µ* Euro, avec µ = 0,00152, alors un simple calcul de dérivée logarithmique montre que le taux de variation relative du F CFA se résume au taux de variation relative de l’euro. Ainsi, c’est l’évolution de l’euro qui dicte l’évolution du F CFA qui ne fait que suivre, comme le fond du pantalon qui suit son porteur.
En conclusion, le F CFA n’est pas arrimé à l’euro. Il est l’euro en une quantité fixée, c’est un sous-multiple de l’euro, comme le centimètre ou le millimètre le sont pour le mètre, l’étalon de mesure. Il est important de corriger cette illusion des économistes qui les amène à proposer des décisions aux conséquences dangereuses et irréversibles.
De l’illusion d’un F CFA à parité fixe à un éco monnaie flottante
En comprenant que la fixité du F CFA relève plutôt d’une illusion, l’idée d’un éco monnaie flottante qui semble être l’alternative envisagée devra pouvoir être mieux analysée.
En effet, l’idée d’un éco flottant suppose, contrairement au F CFA, qu’aucune autre monnaie ne devra constituer un support pour cet éco, et lui servir d’étalon. Or, nous avons établi, que pour mesurer au sein d’une collectivité, il faut avoir une référence, l’étalon que représente l’euro pour le F CFA, et choisir un instrument de mesure, une unité usuelle de mesure qui est une quantité d’étalon, multiple ou sous-multiple de l’étalon, comme dans tout système de mesure, à l’image du système métrique.
Ainsi, contrairement au F CFA, en écartant toute référence pour décider la mise en place d’un éco flottant, alors, un tel éco n’aura aucun lien avec aucune réalité concrète à l’image des autres monnaies des grands pays comme le dollar US, la Livre Sterling, le Yen etc.
C’est donc comme si, dans un domaine qui nous est familier, on décidait de mesurer les distances sans en choisir une unité de longueur conventionnelle. Donc on mesurerait avec une unité de mesure qui s’appellerait par exemple mètre, mais qui n’aura pas été défini dans aucune réalité concrète.
Alors, imaginer l’incohérence que cela représenterait à vouloir mesurer avec un tel mètre, variable du matin au soir au gré de la température ambiante, et imaginer le sens que devraient avoir les mesures effectuées dans de telles conditions !… Ainsi, un éco dit flexible, qui ne peut être une alternative crédible au F CFA,
En effet, cette idée d’un éco flexible est émise pour remplacer le F CFA dans l’ignorance que ce F CFA, à travers l’euro, son support qui lui sert d’étalon, est une monnaie totalement flexible par rapport à toutes les autres monnaies.
C’est ainsi que, l’euro baissant sur les marchés, comme en 2018 et 2019, le F CFA l’était tout autant. Cependant, l’effet de cette baisse se fera fait d’autant moins sentir que les pays utilisateurs du F CFA, de fait intégrés dans la zone euro malgré l’appellation de zone franc, échangent peu avec l’extérieur de cette zone. Cependant, du fait que ces pays utilisateurs de l’éco échangent également peu entre eux, cette monnaie commune éco sera peu demandée sur le marché international… est un choix perdant d’office…
De plus, en perdant l’avantage d’être doté d’une référence de valeur et du choix d’une dimension, l’éco flexible, cet instrument de mesure, qui n’aura aucun lien avec aucune réalité concrète, finira par devenir comme les autres monnaies faibles africaines, une monnaie au cours erratique au gré des incertitudes qui ne manqueront jamais.… livrant les populations de ces pays à une inflation appauvrissante.
Par conséquent, l’évolution de cette monnaie flexible commune par rapport aux autres monnaies ne pourra être guidée que par le hasard. De plus, elle aura une forte chance d’être moins connue que les autres monnaies, tout étant de moins en moins utilisée y compris par les pays qui l’auront mise en circulation et dont les économies sont toutes orientées vers l’extérieur lointain.
Il apparaît donc que les économies de ces pays de la Cédéao, à travers une monnaie commune fondante sur le marché, sans aucune référence, vont être plongées dans une déstabilisation prononcée avec une inflation incontrôlable du fait d’un instrument de mesure dont on ignore tout, faisant regretter l’ancienne zone de stabilité et de croissance qu’aura représenté dans les souvenirs, une zone franc aujourd’hui décriée.
En conclusion, il est donc important de pouvoir tirer profit de l’expérience du F CFA qui, bien qu’ayant été héritée d’une colonisation de plus en plus décriée et insupportable, pourrait bien nous permettre de comprendre et d’expliquer comment cette colonisation a pu bien abuser des pays colonisés et de leurs populations, en enfreignant, aussi bien par abus que par ignorance, toutes les règles de bonne conduite dans la gestion de la monnaie, instrument de mesure.
Ainsi, dans un prochain article, nous allons montrer l’illusion que représente la garantie de convertibilité internationale illimitée supposée être accordée par la France, et que, bien compris, le F CFA est un excellent instrument de mesure en économie.
Cependant, pour avoir été mal utilisé en ayant été soumis à des manipulations frauduleuses, ce F CFA est devenu l’instrument monétaire spécifiquement injuste et inhumain, provoquant la décadence des pays et l’appauvrissement des populations, même si elles sont assises sur l’or, le pétrole et l’uranium comme cela est bien le cas de ces pays utilisateurs du F CFA, ainsi que l’avait déjà écrit N. Copernic, plusieurs siècles avant nous, ce que nous confirmons avec plus de précision aujourd’hui dans le cadre de l’Economie scientifique, c’est-à-dire l’économie dotée de la théorie de la mesure.
En effet, dans cette économie scientifique, il est maintenant désormais possible de faire la différence entre la diminution des poids et mesures, une fraude, commise par un pouvoir injuste au détriment des populations laborieuses, et la dévaluation, une mesure de politique publique. La première est une pratique qui porte sur le numéraire, et la seconde sur l’étalon.