Au détour d’une annonce sans tam-tam, on apprend que le gouvernement a décidé d’envoyer 600 militaires de plus au Mali. Pour quoi faire ? Sommes-nous menacés d’être débordés ? Une bataille est-elle engagée où nous manquons d’effectifs ? L’armée sur place a-t-elle demandé du renfort ? Que se passe-t-il ? La nouvelle de ce renfort inattendu est inquiétante.
Elle l’est d’autant plus que les questions sur les buts de guerre au Mali posées ici et dans plusieurs tribunes conjointes avec mon ami le député Bastien Lachaud sont restées sans réponse. Se souvient-on qu’il y a de cela quelques semaines, nous perdions 13 militaires dans un accident d’hélicoptère et que tout le pays s’était uni pour accompagner les morts et réfléchir au problème posé ? Que faisons-nous là-bas ? Quels sont nos objectifs politiques concrets ? Quand repartirons-nous : c’est-à-dire quelles conditions doivent être remplies pour cela ? Poser ces questions est de bon sens : notre pays ne peut avoir pour objectif de rester là-bas indéfiniment. Les Maliens ne le supporteront pas. Le Mali est un État indépendant. Nous ne sommes pas dans un régime de protectorat. Ce point est-il clairement admis par tous ? Ce n’est pas notre place. Nous ne sommes pas chez nous, faut-il le rappeler ?
Le risque de l’enlisement est pointé du doigt depuis le premier jour. Comment l’éviter autrement qu’en annonçant qu’on partira dès que les conditions seront réunies, c’est-à-dire en disant lesquelles. Et si on ne le dit pas, n’est-ce pas un indice particulièrement significatif qu’il y aurait dans cette affaire une « face cachée » ? Les objectifs du maintien de la présence militaire seraient-ils inavouables ?
Trop de signes inquiètent. Notre pays semble engagé dans une fuite en avant comme on en a déjà connu bien des fois avant celle-là : l’illusion que si la force a échoué jusque-là c’est parce qu’elle serait insuffisante. Ici, nous parlons d’un maximum de 1500 adversaires armés si j’en crois les chiffres qui trainent et dont j’ignore comment ils sont établis. Sur place, nous sommes déjà plus de 4500 avec un matériel sans commune mesure avec celui des bandes armées que nos soldats pourchassent. Pourquoi 600 de plus ? À quoi correspond ce chiffre ? À quels objectifs ? En élevant le niveau de l’intervention, nous élevons en même temps le niveau des risques politiques pour notre pays. Et pour les forces politiques locales hostiles à l’ennemi commun.
Il n’y a pas d’issue militaire au Mali. Notre pays va désormais porter tout le poids des revers inéluctables d’un engagement armé de cette ampleur où la disproportion de force rend toujours remarquable le moindre succès de l’ennemi. Qui donne des conseils dans cette affaire ? L’échec de toutes les guerres conventionnelles de contre guérillas n’a-t-il pas encore atteint la conscience des sommets de nos décideurs ? Ce n’est pas possible. Les militaires français ont une bonne école de guerre, bien documentée. Alors qui prend les décisions et sur quelles bases ? Cette affaire d’intervention militaire au Mali commence à sentir le genre d’hubris qui conduit déjà le régime Macroniste à vouloir affronter la société française tout entière dans l’affaire des retraites. À cette différence que les militaires ne sont pas lancés contre des gens sans défense comme le sont les soi-disant « forces de l’ordre » dans les rues du pays. Ils affrontent un ennemi armé, rusé et en partie accueilli dans la population.
Il faut être économe de la vie de nos militaires et ne jamais les engager dans des conditions dont on ne maîtrise pas l’issue. S’il ne fait aucun doute qu’ils obéiront en toutes circonstances et quoiqu’il leur en coûte, il ne faudrait pas croire qu’ils ne sont pas capables d’analyser ce qui se passe autour d’eux et la confusion qu’instaure l’absence d’objectifs de retrait clairement énoncés. Les militaires passent leur vie intellectuelle à analyser et à évaluer les conflits armés. Ils savent quel mythe est l’idée d’une « victoire totale » dans une situation de décomposition générale comme l’est celle de cette zone de l’Afrique où tout s’ajoute pour déstabiliser durablement les rares structures étatiques. Bref, l’armée a des cerveaux et il est vain de lui demander de faire semblant de ne pas savoir ce qu’elle sait au sujet de ce type de guerre et de ce type de situation. Il va de soi que c’est là une composante non négligeable dans le combat. Décidément, cette annonce d’un renfort de six cents militaires au Mali n’est pas une bonne nouvelle.