Dans le désert algérien, le 13 février 1960, tout le monde retient son souffle : "Gerboise bleue" est le plus puissant premier essai nucléaire jamais réalisé et il fera de la France la 4e puissance nucléaire mondiale.
La bombe au plutonium d'une puissance de 70 kilotonnes - trois à quatre fois celle d'Hiroshima - est placée au sommet d'une tour de 100 mètres.Quand l'explosion est déclenchée, à 7H04, un gigantesque éclair illumine le ciel et au sol le sable se vitrifie sous l'effet de la chaleur dans un rayon de 300 mètres.
"Hourrah pour la France", s'enthousiasme depuis Paris le Général de Gaulle dans un télégraphe adressé à un ministre présent sur place."Depuis ce matin elle est plus forte et plus fière.Du fond du coeur, merci à vous et à ceux qui ont, pour elle, remporté ce magnifique succès".
Depuis des mois, on sait que l'explosion de la première bombe atomique française aura lieu en février ou mars dans un désert de la région de Reggane, à 1.200 km à vol d'oiseau d'Alger.Mais ce sont les vents, et donc les météorologues, qui décident au dernier moment la date exacte de l'opération baptisée du nom d'un petit rongeur des sables.
Ce 13 février au matin, les conditions sont idéales.Le "voisinage au sol" est calme, ce qui doit limiter la propagation des poussières et retombées les plus lourdes.En altitude, des courants forts soufflant d'est en ouest entraîneront le nuage de l'explosion et disperseront les poussières les plus légères dans toute l'atmosphère supérieure.
- Danger de mort -
Une cité souterraine où travaillent 6.000 à 7.000 personnes a été construite dans les contreforts d'une vallée à côté de Reggane et à 40 km environ du polygone d'expériences de Hamoudia, où est installé le PC atomique d'où la mise à feu sera télécommandée, à 15 km environ de la bombe de type A.
Quiconque s'approche davantage risque la mort car la température s'élève de plusieurs millions de degrés au moment de l'explosion nucléaire.
Les personnels portent des lunettes spéciales pour ne pas être aveuglés et doivent tourner le dos à l'explosion, les bras repliés devant le visage, au moment du déclenchement.
Tous les éléments de la bombe se gazéifient et la pression énorme de ce gaz crée une onde de choc qui produit une destruction mécanique.A cet effet s'ajoutent l'onde lumineuse qui brûle, un rayonnement radioactif et des produits radioactifs disséminés.
Sur place, un commentateur dont le reportage sera diffusé plus tard à la radio décrit la lente montée du champignon dont le sommet est blanchâtre et le bas mauve.Il s'élève en même temps qu'il se développe, son sommet s'élargissant sans cesse.
Par sécurité une zone de 90.000 kilomètres carrés a été interdite à tout survol aérien dès octobre 1959 et les compagnies aériennes savent depuis le 8 janvier 1960 qu'une superficie d'environ trois fois la France sera interdite au survol le jour de l'explosion.
- Plus de 200 essais -
Au sol, les autorités françaises assureront trois jours après l'explosion que la radioactivité est partout très inférieure aux normes de sécurité admises.Des documents déclassifiés en 2013 révèleront toutefois des retombées radioactives beaucoup plus importantes que celles admises à l'époque, s'étendant à toute l'Afrique de l'Ouest et au sud de l'Europe.
Il faudra attendre les années 2000 et le long combat de vétérans des essais ayant développé des cancers pour en savoir plus sur les conséquences.
Juste après la déflagration, une armada de techniciens en combinaison antiradiations n'ont eu que 15 à 20 minutes, avant les retombées radioactives, pour récupérer sur les lieux de l'explosion les précieux appareils de mesure enfouis dans le sable.
Le plutonium utilisé pour la bombe vient de l'usine de Marcoule, dans la vallée du Rhône, la seule matière fissile produite à l'époque en France.
Six ans après "Gerboise bleue", la France fera exploser sa première bombe H (thermonucléaire), beaucoup plus puissante que la bombe à fission, en Polynésie française.
Elle procèdera à plus de 200 essais nucléaires avant que Jacques Chirac n'annonce leur arrêt définitif le 29 janvier 1996, après une dernière série de tirs contestée.