Malgré l’annonce par l’exécutif d’un renfort de 600 hommes, portant le nombre des forces militaires françaises à 5.100 personnes dans la zone du Sahel, la lutte contre les jihadistes est très loin d’être une victoire. Plus que militaire, l’issue serait politique.
Le 25 novembre dernier, la collision en pleine opération de deux hélicoptères des forces armées françaises, au Mali, causait la mort de 13 soldats. Le drame rappelait aux Français l’existence de cette guerre lointaine contre les jihadistes, au Sahel. Il a aussi rappelé les difficultés sur place de l’armée Française. Le sujet occupe peu le débat public hexagonal habituellement. Mais dans la foulée, les députés de la France insoumise soumettent la question de la « sortie » de cette guerre. Face à ce qui ressemble très fortement à un enlisement, le retrait se pose. Au Sénat, il faudra attendre le mois de mai prochain pour aborder en profondeur la situation au Sahel. Un débat sera organisé dans l’hémicycle.
Renfort de 600 hommes annoncé par l’exécutif
Pour l’heure, le ton n’est pas au retrait puisque l’exécutif vient d’annoncer un renfort de Barkhane, l’opération de l’armée française de lutte contre les groupes jihadistes locaux. Les forces vont passer de 4.500 à 5.100 hommes d’ici fin février, soit 600 militaires de plus. A en croire le chef d'état-major des armées, le général François Lecointre, ce n’est pas de trop. « 4 500 hommes, au Sahel, c’est dérisoire ! » a-t-il confié, en novembre dernier, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, rendue publique seulement fin janvier.
« Une fois soustraits les éléments de logistique et de soutien, la capacité de protection de nos emprises, ainsi que les hommes qui étaient déjà en place au Tchad depuis une éternité (…) je me trouve avec 2 000 hommes au maximum, un volant de manœuvre de la taille d’un régiment dans cet immense espace, ce qui est très peu. Ce que fait la France par son intervention dans le Sahel est un miracle d’efficience, il faut ne cesser de le répéter » expliquait le général Lecointre devant les députés.
« Ennemi volatile »
Peut-être. Mais sur le terrain, les résultats ne sont pas miraculeux. Difficile de se battre contre un ennemi qui a, de fait, une meilleure connaissance du terrain, est capable de se noyer dans la population locale, un « ennemi volatile ». D’autant que la pauvreté fait le terreau du terrorisme. On comprend pourquoi les attaques continuent. Et les « mili » français sont aujourd’hui plus proches d’un prolongement de l’opération, peut-être pour plusieurs années, que de la quille. « Les militaires pensent qu’on est là pour longtemps. Ça a toujours été des opérations de long terme » confie un connaisseur du dossier. Un drôle de bourbier qui n’est fait pas vraiment rire les forces françaises. « On est dans une seringue dans laquelle on s’est mis » estime le même.
Quand François Hollande lance l’opération Serval, en 2013, toutes les implications et dimensions du conflit, notamment claniques, n’avaient peut-être pas été anticipées, par méconnaissance du terrain disent certains. Mais au moment où la décision est prise, il n’y a guère le choix : il faut stopper, et vite, la progression de colonnes jihadistes qui contrôlent le Nord du Mali. La capitale Bamako menace de tomber dans leurs mains. En août 2014, Serval est remplacée par l’opération Barkhane. Elle s’étend alors à l’ensemble de la bande sahélo-saharienne.
Aujourd’hui, l’annonce du désengagement des Etats-Unis complique encore davantage la situation. Comme si elle était déjà simple… « Les Américains sont une part de nos yeux et nos oreilles de nos opérations » précise ce spécialiste. Une capacité d’autant plus nécessaire, vue la taille du théâtre d’opération. Barkhane, c’est en quelque sorte se battre au milieu des dunes dans un territoires grand comme l’Europe…
« Nous changeons de méthode »
On comprend pourquoi l’annonce du renfort de 600 hommes n’est pas superflue. Elle s’accompagne d’un recentrage des opérations. Un changement de stratégie en cours, annoncé par Emmanuel Macron à l’issue du sommet du G5 Sahel, à Pau, en janvier. Il s’agit de concentrer les actions sur « la zone « des trois frontières » entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. « Nous changeons de méthode (…) en concentrant nos efforts sur cette zone » avait expliqué le chef de l’Etat.
Mais là encore, les 5.100 militaires Français seront certainement loin d’être suffisants. « La nouvelle zone sur laquelle on se concentre, c’est déjà grand comme la France. Essayez de faire la paix en France avec 5.100 hommes, alors que ça rentre et sort de partout… » résume un élu familier de ces questions.
Emmanuel Macron en appelle à ses partenaires européens, espérant un renfort salutaire. Mais jusqu’ici, ça ne se bouscule pas au portillon. La France souhaite engager les Européens via un groupement de forces spéciales baptisé Takuba, destiné à accompagner les forces locales au combat. Le gouvernement tchèque va ainsi tenter d'obtenir de son parlement d'envoyer 60 soldats pour cette force. On est loin du compte.
« Il n’y a aucune sortie militaire possible dans un conflit pareil. Il n’y a que des solutions politiques »
Au final, on ne s’en sort pas vraiment. Si bien qu’« il n’y a aucune sortie militaire possible dans un conflit pareil. Il n’y a que des solutions politiques » dit-on. Mais entre des Européens, et surtout des Allemands, qui ne suivent pas, et la faiblesse des Etats sur place, l’équation semble pour le moins compliquée à résoudre. « C’est un cycle infernal. Et malheureusement, ça se traduit dans l’armée par des morts et des dizaines de blessés, car ils ont sauté sur des mines, et dont personne ne parle » s’inquiète cet élu. Le bilan depuis le début des opérations s’établit à 41 militaires français morts. Les dommages subis par les armées locales sont plus graves. Le 26 janvier, l’armée malienne a ainsi perdu 20 militaires, tués dans une nouvelle attaque de jihadistes.
Le pire reste pour les populations. Vendredi 31 janvier, deux ONG (Action contre la faim et le Conseil norvégien pour les réfugiés, le NRC) ont lancé un appel à la mobilisation internationale face à la crise humanitaire sur place, se disant « dépassées » face au nombre gigantesque de déplacés dans la zone, avec 600.000 personnes.
« J'ai vu des scènes rappelant l'Ancien Testament de la Bible : un véritable exode de gens montés sur un âne, avec quatre chèvres et le peu qu'il leur reste entassé dans une carriole », a témoigné auprès de l’AFP Jan Egeland, secrétaire général du NRC, au retour de Barsalogho, petite ville du centre-nord du Burkina Faso. 270.000 personnes fuyant les violences se trouvent dans cette seule région. Selon l’ONU, les violences jihadistes, souvent entremêlées à des confits intercommunautaires, ont fait 4.000 morts au Mali, au Burkina Faso et au Niger, pour la seule année 2019.