Le 33ème sommet des chefs d’Etats de l’Union Africaine prend fin aujourd’hui 10 février 2020 dans la capitale éthiopienne. Les questions sécuritaires étant le véritable goulot d’étranglement, domineront les débats, c’est pourquoi le thème de cette année est : « faire taire les armes crée des conditions propices au développement de l’Afrique ». Ce projet serait un vœu pieux s’il n’est pas accompagné de la bonne gouvernance des Etats. C’est pourquoi il est nécessaire d’aborder le sous-thème de la gouvernance et surtout la question du tripatouillage des Constitutions pour vouloir s’éterniser au pouvoir. Pourrait-on réellement résoudre la question sécuritaire si un coup de projecteur n’est pas lancé sur la gestion des Etats qui est à la base de beaucoup de tensions sociales lesquelles tensions ont toujours été le lit aux rebellions, au repli identitaire et aux conflits communautaires ?
De la Libye aux pays du lac Tchad en passant par les pays du sahel, les foyers de tension sont nombreux en Afrique tandis que les solutions pour les endiguer se font très rares. Ce qui annihile tous les efforts de développement et fait du continent africain, un continent de guerre permanente. Le 33ième sommet des chefs d’Etat et de gouvernements va-t-il permettre d’amorcer un début de solution pour une gouvernance vertueuse, gage de stabilité et de paix ? La réponse est sans nul doute non, car le diagnostic posé par le Président égyptien Abdel Fatah al-Sissi, Président en exercice de l’UA et ses pairs, ne semble pas être le bon diagnostic, le thème du sommet est plus sécuritaire que de la gouvernance. Il ne touchera pas au fond, à la cause des conflits, donc la thérapie apportée à la maladie ne sera pas la bonne. La première cause des conflits est sans nul doute l’injustice, l’inégale répartition des richesses, et l’accaparement des biens et des ressources de l’Etat par un groupuscule, soit l’élite ou la communauté du prince du jour. La grande majorité se sentant lésée n’aura d’autres voies de recours que celle des armes. Toutes les rebellions et les révoltes populaires sont dues à la marginalisation de certaines communautés, au sous-développement d’autres, bref à l’abandon de la majeure partie de la population à son triste sort. La majorité des Etats africains sont malheureusement confrontés à cette dure réalité, à commencer par la Libye, d’où est parti l’inondation du sahel par les djihadistes. En effet, après la chute de Mouammar Kadhafi, le regain de tension communautaire a refait surface. Aujourd’hui, il serait difficile d’éteindre ce foyer combien de fois chaud sans résoudre la question de la cohabitation et du vivre ensemble communautaire et surtout de l'équitable répartition des ressources entre les Libyens.
Les chefs d’Etats africains ne doivent pas faire l’économie du débat sur la question de la mal gouvernance dont l’une des conséquences est le tripatouillage des constitutions pour briguer un troisième, voire quatrième ou cinquième mandat. Tous les conflits en Afrique sont nés directement ou indirectement de la mal gouvernance. Elle a été à la base des frustrations, lesquelles frustrations ont donné naissance à des rebellions, aux coups d’Etats ou à des soulèvements populaires. Ne pas évoquer les crises sociopolitiques, mères de tous les conflits sur le continent, au cours de ce forum des chefs d’Etats africains, c’est non seulement fuir ses responsabilités, mais aussi et surtout occulter l’essentiel. Oui la crise en Libye, la guerre contre le terrorisme au sahel et dans les pays du lac Tchad devraient occuper logiquement le devant de l’actualité et auxquelles questions une attention particulière doit être accordée, mais ne pas évoquer aussi les tentatives de tripatouillage des constitutions et la volonté pour certains chefs d’Etats de s’éterniser au pouvoir c’est escamoter un pan important des causes de l’instabilité en Afrique. Pourquoi ne pas se pencher sur la crise politique en Guinée Conakry qui est désormais dans l’œil du cyclone ? Comment pourrait-on fermer les yeux sur les velléités d’Alassane Ouattara à briguer un troisième mandat en Côte d’Ivoire, ce pays qui a connu l’une des crises les plus meurtrières avec plus 3000 morts ? Comment à l’UA, on ne pourrait pas avoir le courage de dire aux chefs d’Etat des pays de l’Afrique centrale comme le Gabon le Congo Brazzaville, le Cameroun, le Tchad, la Guinée Equatoriale, le Burundi, d’appliquer les principes de l’alternance exigés par la démocratie. Comment l’UA peut ne pas exiger des Etats la bonne gouvernance comme c’est le cas à l’Union Européenne ? Voici un certain nombre de questions qui taraudent les esprits des populations africaines.
En somme, le 33ème sommet de l’UA risque d’être comme les précédents sommets, car il ne touchera pas aux questions de fond du sous-développement de l’Afrique.
Youssouf Sissoko