Derrière la grande scène montée au bord de l'eau, la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre: de l'autre côté du fleuve Niger, les jihadistes se préparent à attaquer le plus important festival artistique malien, au moment même de son ouverture.
Sur et devant la scène du festival de Ségou (centre), rien ne transparaît de l'alerte parcourant les forces de sécurité, et les discours officiels se succèdent à la tribune.Mais derrière, le téléphone du commandant Diallo, représentant du ministère de la Sécurité, n'arrête pas de sonner.
"Ségou'Art Festival sur le Niger" est une exception et comme un ilôt de résistance dans cette région du Mali affligée par les attaques jihadistes et les tensions intercommunautaires meurtrières.Plus de 450 civils ont été tués dans le centre du pays en 2019, un record depuis le début en 2012 d'une crise qui va s'aggravant, rapportait cette semaine l'ONG Human Rights Watch.C'est sans compter les soldats et les gendarmes abattus par dizaines.
Le regard fixé sur l'autre rive d'où viendrait la menace, le commandant Diallo se concerte avec les services présents.Rapidement, les deux navettes disponibles sont envoyées en patrouille sur le Niger, sirène retentissante.Une dizaine de soldats se postent au bord de l'eau."C'est pour dissuader ceux qui voudraient venir", lâche un officier.
En 16 ans d'existence, cet évènement pluridisciplinaire, plus grand rendez-vous culturel malien, s'est toujours tenu, même si les touristes étrangers ne viennent plus guère.
Cette année encore des dizaines de milliers de personnes, selon les organisateurs, ont assisté pendant plusieurs jours aux concerts, spectacles, expositions et conférences.
Mais le danger n'a jamais été aussi proche.
- "Partout et nulle part" -
Dix jours avant l'inauguration de Ségou'Art, 20 militaires ont trouvé la mort dans une attaque menée par une centaine de jihadistes à moto à une centaine de km au nord de Ségou.Près de là, trois gendarmes ont péri dans la nuit de samedi à dimanche, alors que des rappeurs enthousiasmaient des milliers de jeunes Maliens sur la grande scène du festival.
Face à un péril grandissant, les autorités assurent veiller au grain.Des plans ont été préparés, "des renforts sont venus de Bamako, le dispositif est suffisant pour sécuriser le festival", assure Biramou Sissoko, gouverneur de la région de Ségou.
Le nombre d'hommes réquisitionnés, les détails du dispositif sont tenus secret.Quelques centaines d'hommes en uniforme sont visibles en ville.La force spéciale antiterroriste a été dépêchée de Bamako.
"La menace est partout autant qu'elle est nulle part", note Malick Doumbia, un festivalier de 26 ans venu de Bamako.De la peur ? "Non!Mais de l'appréhension.Et un soulagement de voir les forces de sécurité mobilisées".
Un officier tenu à l'anonymat relève que chaque année, la question de la sécurité du festival est posée, mais aussi qu'attaquer n'est peut-être pas dans l'intérêt des jihadistes: "Il y a des milliers de Maliens ici.En termes de communication, cela serait difficile à justifier pour des groupes qui cherchent à s'implanter localement".
Les autorités bénéficient d'un appui européen.La mission de soutien aux capacités de sécurité intérieure, Eucap Sahel Mali, accompagne depuis deux ans l'événement.
- Précautions consulaires -
"Ce festival est un symbole et Ségou est la plus grande ville festivalière après Bamako.Alors quand on a vu que le manque de sécurité devenait un frein à la pérennité du festival et qu'il risquait de disparaître, nous nous sommes engagés aux côtés de nos partenaires", explique Philippe Rio, général de gendarmerie français et chef de mission d'Eucap Sahel Mali.
La mission forme les Maliens en amont du festival.Elle a oeuvré à la création d'un centre de gestion de crise dans l'ancienne salle informatique du gouvernorat.Des ordinateurs en réseau, des talkies-walkies ont été remis.
Le lendemain des rumeurs d’infiltration jihadiste, celles-ci ont été abordées durant la synthèse du matin au centre de gestion de crise.Rien n'est venu les corroborer jusqu'à la conclusion du festival dimanche.
Mais entre-temps, un rapport interne des autorités à ce sujet a circulé sur les réseaux sociaux, et plusieurs ambassades occidentales ont demandé à leurs ressortissants de ne pas aller à Ségou.
"C'est dommage, il n'y a déjà plus beaucoup de touristes depuis plusieurs années", se plaint Omar Yaffa, président de l'association des guides et piroguiers de Ségou.