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Enquête sur la production, le transport et la commercialisation de le viande au Mali : Des pratiques inacceptables
Publié le samedi 22 fevrier 2020  |  Aujourd`hui
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De la poussière, des mouches et des microbes…Voilà ce que la population consomme en achetant de la viande dont les conditions d’abattage, de transport et de commercialisation laissent à désirer. Et c’est compte tenu de l’ampleur des complaintes de la population que nous avons décidé de mener une enquête auprès des agents de santé publique vétérinaire du district de Bamako, des bouchers et de l’Association des consommateurs du Mali (Ascoma). Cette enquête a été réalisée au mois de décembre dernier, pendant que les bouchers faisaient de bonnes affaires en cette période festive de l’année.
Les conditions d’exposition de la viande sur les étals des bouchers dans les marchés, mieux vaut ne pas s’en rendre compte car c’est répugnant et risque de produire la phobie de la viande à jamais.

Pour le transport, n’en parlons pas : les carcasses des animaux abattus gisent sur le plancher de véhicules destinés au transport de personnes, notamment des Sotrama. Imaginez donc la viande directement déposée là où les chaussures des passagers ont trainé durant plusieurs heures. Parfois, la viande est transportée à bord de motos tricycles, sans aucune protection car livrée au vent, à la poussière et aux fumées noires déversées dans la circulation par les vielles guimbardes qui s’alimentent en gasoil.

A Bamako, il y a deux abattoirs, à savoir l’abattoir frigorifique de Bamako qui se trouve au quartier Sans fil et celui de Sabalibougou. Ces deux abattoirs reçoivent les animaux destinés au secteur de la boucherie à Bamako.

L’abattoir du quartier Sans-fil fait l’objet d’un désordre indescriptible. Les engins à deux roues sont garés un peu partout dans la cour, les bovins sont laissés en divagation, en plus de la présence envahissante de personnes, (vendeuses ambulantes, bouchers et autres) et un véritable dépôt d’ordures formé derrière les ateliers de préparation des produits.

Quant à la salle d’abattage conçue comme une triperie, elle sert aujourd’hui de salle de saignée, d’habillage, de découpe, d’inspection et même de lieu de traitement des peaux. Le sang stagne sur le sol, faute d’utilisation du jet d’eau, entrainant une odeur nauséabonde. L’affluence dans cette salle est grande, il n’existe aucun contrôle de l’entrée. On constate également des poubelles dans la salle d’abattage. C’est dans toutes ces conditions que les animaux sont abattus et leur viande proposée à la consommation.

C’est suite à la quantité insuffisante de viande produite par cet abattoir qu’un autre a été conçu en 2003 par l’Etat : celui de Sabalibougou, pour pouvoir assouvir les besoins de la population croissante de la ville de Bamako. C’était dans le but de fermer les aires d’abattage disséminés à travers la ville – dont la plupart étaient clandestins – et que les bouchers soient orientés vers lesdits abattoirs pour qu’il y ait plus de soin dans la production de viande de qualité.

Pourtant, il existe au Mali une règlementation assez contraignante pour protéger le consommateur. Que se passe-t-il alors ?

Dr Mahamadou Kane, chef de la division Santé publique vétérinaire

du district de Bamako rappelle les critères d’abattage

“Au niveau des deux abattoirs, il y a un parc d’attente, les animaux destinés à l’abattage sont parqués là-bas et au maximum 48h avant l’abattage. Nous avons nos agents là-bas, des vétérinaires qui font l’inspection avant leur abattage. C’est pour détecter d’éventuels animaux malades et d’éventuelles femelles gestantes dissimulées pour les empêcher d’être abattus. C’est valable pour les jeunes animaux de moins de 5 ans et les espèces bovines qui ne sont pas acceptées. Après avoir fait le tri de tout ça, les animaux sont acheminés à l’abattoir. Il doit y avoir un couloir qui les conduit du parc jusqu’à l’entrée de l’abattoir. L’un des critères aussi, c’est qu’en principe si un animal entre dans un abattoir, il doit ressortir en viande, selon notre jargon, parce qu’il ne doit plus être en contact avec d’autres animaux de l’extérieur pour ne pas qu’il soit contaminé”.

Quelles techniques d’abattage des animaux ?

Le Dr Kane explique : “Techniquement pour les bovins, il y a un point qu’on appelle étourdissement. Il y a un pistolet automatique qui est là-bas avec des petites boules qu’on frappe sur le chanfrein pour que l’animal soit étourdi. Après on l’égorge et on lui met les chaînes qui le tirent pour faire l’habillement (enlever les cuisses, la peau…). On va faire l’inspection, cela trouve qu’on a déjà fendu la carcasse en deux, les visuels vont d’un côté et la tête de l’autre côté. Le tout doit suivre la carcasse pour donner une parfaite inspection. On ne doit pas inspecter une carcasse d’animal sans la tête, sans les visuels. Le tout doit être accroché.”

Selon les explications du Dr Kane, c’est quand l’inspecteur confirme que cette viande est propre à la consommation, qu’on l’estampille, c’est-à-dire qu’on met le cachet là-dessus. “Il y a un rouleau qu’on met sur tout un côté de la carcasse pour dire que cette viande peut être consommée par la population” précise-t-il.

Quand les animaux sont abattus et inspectés, il devrait avoir une chambre froide dans laquelle on met la viande. “Mais puisque nous sommes au Mali, les gens aiment trop la viande fraiche, la viande rouge avec du sang, alors que dans d’autres pays, on ne touche pas à la viande à moins d’une semaine, d’autres vont même à deux semaines. Cela permet à la viande de se libérer de tout son sang et de l’eau. Ici les gens veulent que la viande soit de l’abattoir aux assiettes. La viande est gardée seulement la nuit et le lendemain matin on fait transporter la viande.” affirme le Dr Kane.

“Tous les bouchers se débrouillent comme ils peuvent

pour transporter leur viande”

Selon toujours le Dr Kane : “Il n’existe plus de moyens de transport de la viande à Bamako. Il y a un seul camion à l’abattoir de Sabalibougou. Tous les bouchers se débrouillent comme ils peuvent pour transporter leur viande à leur point de vente. C’est un problème de distribution qui est là, sinon tout ceci devrait être à la charge de l’Etat, parce que c’est lui le garant de la sécurité sanitaire des aliments de la population. C’est dans les cahiers de charge qu’un abattoir ne peut pas fonctionner sans véhicule de transport de viande. Il y en avait beaucoup avant la privatisation de l’abattoir du quartier Sans-fil qui prenaient les viandes et les acheminaient dans les marchés. Tous ces véhicules ont disparu avec la privatisation de l’abattoir”.

“Maintenant on ne peut même pas parler de bouchers” dixit Dr Kane

“Tous ceux qui ont un peu d’argent cherchent une table et un coin pour faire le commerce, alors que n’est pas boucher qui le veut. Pour l’être, il faut un examen qui consiste à abattre un bovin dans un temps imparti, qui va de 25 à 30 minutes. Quand c’est les gros animaux, on l’aide à égorger l’animal et ensuite tout seul il enlève la peau, fend les carcasses. S’il finit dans le temps, cela veut dire qu’il est confirmé, mais on vérifie la peau pour voir s’il n’y a pas de déchirure. Dans les normes, c’est ce qui est recommandé”.

Concernant l’installation des bouchers au niveau des points de vente de viande, Dr Kane précise qu’en plus des commissions, il y a des services techniques concernés. Ils vont voir si l’endroit est hygiénique et y installent un boucher. A la mairie aussi, on livre une autorisation, mais c’est surtout supervisé par les services techniques concernés dont ceux de l’élevage, de la santé et de l’hygiène. “Présentement, les agents des mairies se lèvent seuls pour installer les bouchers” dit le Docteur.

Il a aussi révélé qu’il y a une équipe de répression des abattages clandestins au niveau de la Direction régionale de la Santé publique vétérinaire du district de Bamako et ils ont pour mission de sortir pour aller vérifier les viandes se trouvant dans les marchés provenant d’animaux qui n’ont pas été pas abattus dans les abattoirs. On les reconnait le plus souvent par le tampon qu’on met sur les viandes. A Bamako, souligne-t-il, il n’y a trop de problèmes parce qu’on sait que les animaux sont fendus avec les scies électriques au niveau des abattoirs, on peut le vérifier. Alors que dans les cas clandestins, c’est avec des haches qu’on coupe les viandes. “Nous contrôlons et on soustrait ces viandes du marché”, déclare le chef de la division santé publique”, affirme-t-il.

Dr Mahamadou Kane sensibilisation les bouchers

La sensibilisation, c’est le meilleur moyen de remédier à la situation, comme le précise Dr Kane : “A chaque fois que je vois les cuisses de viandes trainées par terre par un boucher sur les engins à deux roues ou s’il a les pieds déposés sur la viande en circulation, j’essaie de le sensibiliser. Je pense qu’avec ça, un jour ils comprendront. Tout ce que nous faisons, si ce n’est pas la sensibilisation de ces acteurs, c’est voué à l’échec parce que peut être qu’ils ne savent pas la gravité de ce qu’ils font. Ils ne savent pas qu’ils peuvent contaminer la viande en la touchant. Ils ne savent pas qu’ils doivent faire une visite sanitaire au moins deux fois par an pour pouvoir vendre, même la viande”.

Belco Guindo, chef d’Inspection à l’abattoir frigorifique de

Sabalibougou : “Quand le ravitaillement dans le marché se fait dans des conditions difficiles, nous le sentons au niveau des abattoirs”

Aux dires de Belco Guindo, chef d’Inspection à l’abattoir frigorifique de Sabalibougou, ils ont recommandé un système de transport aux bouchers, “même s’ils transportent à moto, que ces motos soient adaptées. Il y a aussi les tricycles qu’ils peuvent aménager de telle sorte que la viande ne soit pas exposée à la poussière et au soleil”, a-t-il signalé.

Concernant les chiffres, selon le chef l’Inspection, “ils augmentent en fonction des saisons, des jours de fête et du pouvoir d’achat des bouchers. Généralement, c’est en hivernage qu’on a le maximum d’animaux à abattre (200 têtes par jour), mais aussi pendant les fêtes. Les chiffres baissent pendant la saison sèche parce que c’est à cette période qu’il y a une pénurie sur le marché. Quand le ravitaillement dans le marché se fait dans des conditions difficiles, nous le sentons au niveau des abattoirs”, ajoute-t-il.

Précisons que les animaux abattus à l’abattoir de Sabalibougou proviennent principalement du marché à bétail de Niamana et du Dral de Kati.

“Il est très dangereux de consommer une viande

non inspectée…” dixit Belco Guindo

“Il est très dangereux de consommer une viande non inspectée parce que là on est exposé à des maladies comme les zoonoses qui peuvent attaquer l’Homme et les animaux. C’est un conseil à l’endroit de ceux qui font les abattages clandestins. Quand la viande fait l’objet d’une maladie après inspection, c’est la saisie totale de la carcasse pour destruction. On a un four ici pour l’incinération”, conseille-t-il.

Un boucher du marché Dibida : “Les autorités ne font rien pour améliorer la situation…”

Au marché Dibida, les bouchers sont regroupés sous un grand hangar. A entendre certains, ce problème de transport de la viande de l’battoir à leurs étals ne vient pas d’eux. D’ailleurs, un boucher du marché Dibida déclare, sous l’anonymat : “Moi j’exercice ce métier depuis plus de 30 ans. Ce problème n’a pas commencé aujourd’hui. Ici on s’est regroupé en association et grâce à notre cotisation, on a pu acheter un véhicule pour transporter nos viandes et ceux qui ne parviennent pas à mettre pour eux dedans se débrouillent. Actuellement, on est en train de voir si on peut avoir un deuxième véhicule. Concernant les autorités, ils ne font rien depuis tout ce temps pour améliorer notre situation, raison pour laquelle on se débrouille comme on peut, sinon on est conscient de la situation et on fait notre possible pour l’améliorer.”

Quant au marché de Wolofobougou, en commune III, les bouchers sont dispersés un peu partout, les viandes étant étalées sur les tables, exposées à l’air, la poussière et aux microbes.

Mme Coulibaly Salimata Diarra, la présidente de l’Association des consommateurs du Mali (Ascoma) : “Les gens ne respectent pas

les normes en matière de transport et en matière de vente”

Mme Coulibaly Salimata Diarra, la présidente de l’Association des consommateurs du Mali (Ascoma) affirme que ce phénomène existe depuis longtemps. “Nous avons eu même en son temps, avec le Premier ministre d’alors, Ibrahim Boubacar Kéïta, des boucheries-témoins que nous avions mis un peu partout dans chaque commune pour que la qualité de la viande puisse être meilleure en termes de transport et de commercialisation. On a fait cette expérience avec l’Office national de la main d’œuvre qui existait en son temps. Malheureusement, les jeunes qu’on a pris n’ont pas été à la hauteur. Après un certain temps, on a vu toutes ces boucheries-témoins disparaître une à une. Depuis ce temps, plus rien n’a été fait dans ce sens. De nos jours, c’est du n’importe quoi qu’on voit au niveau des deux abattoirs. Les gens ne respectent pas les normes en matière de transport et en matière de vente. Je pense que c’est sur ce plan qu’il s’avère nécessaire de voir comment s’intéresser aux pratiquants mêmes, aux professionnels qui font la viande. Ils ont besoin d’être formés pour mieux comprendre les dangers afin d’accepter de changer de comportement. On a beau faire la sensibilisation, j’ai l’impression que ça ne passe pas. Les gens continuent les mêmes pratiques comme si de rien n’était. Il faut donc profiter des fédérations et d’autres regroupements qui sont là pour faire un travail rapproché afin de les conscientiser. Aussi, quelque part, il faut donner l’appui nécessaire en créant le cadre, comme c’est le cas au Burkina-Faso où les étales pour la viande dans chaque marché sont à part et bien entretenus. Si nous arrivons à faire ça, peut-être qu’on va s’en sortir”, a-t-elle indiqué, tout en précisant qu’ils ne sont pas dans la répression.

“Notre rôle, c’est la sensibilisation, l’information et l’éducation, donc on n’a pas de moyen de coercition. Les services techniques en la matière qui doivent le faire ne le font pas. Moi je trouve qu’ils ne sont pas suffisamment sévères en la matière parce qu’on voit des pratiques inacceptables, alors que c’est eux seuls qui peuvent sanctionner, interdire, saisir. Je crois qu’il faut les interpeller, interpeller les ministres chargés de la question pour les amener à se pencher réellement sur la question”, poursuit-elle.

La présidente de l’Ascoma invite les consommateurs à être exigeants, à ouvrir les yeux et ne pas accepter n’importe quoi soi-disant qu’ils n’ont pas les moyens parce que ça c’est l’argument des consommateurs. A ses dires, il faut essayer de gérer au mieux le peu qu’on a pour l’intérêt de la famille.

Réalisée par Marie DEMBELE



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