Magistrat de classe exceptionnelle de son état, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Amadou Ba, se voit trop gros dans sa veste pour vite oublier ses cours de droits. Quelle mouche étrange a piqué ce magistrat chevronné pour le pousser à violer le principe d’impartialité et l’obligation de réserve qui s’imposent à l’organe qu’il dirige.
En effet, dans une interview qu’il a accordée hier mercredi à notre confrère de « Ziré », le président de la Ceni, contesté par certains de ses pairs, est sorti de son rôle et sa mission pour s’en prendre aux partis politiques qui demandent le report de législatives de mars 2019.
Interrogé par le confrère sur l’avis de certains politiques qui annoncent une mascarade électorale, Amadou Ba n’a pas pu contrôler ses nerfs. Il s’est laissé emporter par la passion, foulant aux pieds l’obligation de réserve qui lui incombe. Il est évident qu’en sa qualité de président de la Ceni, un organe sensible et stratégique pour l’organisation des élections, il ne devrait faire de parti pris, tout comme un juge lors d’un procès. A-t-t oublié que le boubou qu’il porte présentement n’est pas une robe de magistrat pour trancher entre les politiques ? En demandant à ces partis de se taire, puisqu’ils avaient, selon lui, l’occasion d’aller au DNI pour exprimer leurs opinions, le magistrat Ba fait le jeu du Gouvernement. Dans une démocratie digne du nom, il n’est pas dévolu au président de la Ceni d’inviter les gens à aller aux urnes ou de défendre la tenue d’une joute électorale. Il appartient à d’autres voix de répondre aux détracteurs du gouvernement et du régime. Il était plus normal que le peuple, qui a engagé le gouvernement à l’issue du DNI d’organiser ces élections, fasse l’avocat de ce processus électoral. D’ailleurs, dans un pays qui se dit démocratique, c’est à la limite irresponsable pour un responsable de cet organe indépendant d’accuser délibérément des acteurs démocratiques sur la base de leurs opinions.
La Ceni n’est pas un arbitre
C’est au gouvernement et à ses démembrements de défendre la faisabilité de ces échéances, et non une structure qui se dit impartiale. Ce rôle est déjà assuré par le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Cela fait à peu près deux semaines que, face à la presse, le ministre Bill a levé toute équivoque sur le report des législatives prochaines. « Personne n’est obligée d’aller à une élection », a maintenu le ministre. Présent à cette occasion, Amadou Ba s’est seulement contenté de rappeler les missions assignées à son organe, sans rentrer dans d’autres détails. Si aujourd’hui c’est lui qui monte sur ses grands chevaux pour plaider la tenue des élections, il y a de quoi s’interroger sur le degré de neutralité du président de la Ceni. Le respect de la date pour la tenue des élections relève du Gouvernement, et non de la Ceni qui rend compte à la Cour constitutionnelle. Pourquoi le magistrat Ba aurait peur d’un quelconque report ? Pense-t-il déjà au milliard 700 millions alloués à la Ceni pour ces élections. Et pourtant, les missions de la Ceni sont claires et précises dans la loi n°2018- 014 du 23 avril 2018 portant modification de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale. Selon l’article 14 de cette loi électorale en vigueur au Mali, « la Ceni et ses démembrements veillent à la régularité du référendum et des élections générales à travers la supervision et le suivi des opérations, notamment : l’établissement et la révision des listes électorales à l’occasion des opérations référendaires et des élections générales ; la préparation et la gestion du fichier électoral ; la confection, l’impression et la remise des cartes d’électeurs biométriques à l’occasion des opérations référendaires et des élections générales ; la mise en place du matériel et des documents électoraux ; le déroulement de la campagne électorale ; les opérations de délivrance des procurations de vote ; les opérations de vote, les opérations de dépouillement des bulletins de vote, de dénombrement des suffrages, de transmission des procès-verbaux, de centralisation et de proclamation des résultats. La Ceni est chargée de la gestion des observateurs nationaux et internationaux ». Nulle part dans ses missions, il n’est écrit que le président de la Ceni peut se permettre de tenir des propos pour expliquer si l’on doit ou ne pas organiser une élection. Il semble que Amadou Ba a la mémoire courte quand il affirmait dans un entretien dans l’Essor du 4 juin 2018, sur les rapports avec les partis politiques : « Nous n’avons pas de rapport très direct avec les partis politiques, car nous sommes non seulement un organe indépendant, mais nous devons surtout rester impartiaux. Nous ne participons pas aux activités des partis politiques même si nous sommes conviés ». Pourquoi, aujourd’hui, seulement le parton de la Ceni fait-il fi de cette équidistance ?
Jean Goïta