Mardi, la capitale de la Mauritanie, Nouakchott, accueillait un G5 Sahel qui réunit, outre la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad dans la lutte contre les groupes djihadistes actifs dans la région. Après la réunion tenue à Pau, le 13 janvier, qui a permis de clarifier la relation entre certains pays et la France et d’annoncer un recentrage des opérations militaires sur la zone des trois frontières entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso, là où se concentrent désormais les attaques, et où treize de nos soldats ont trouvé la mort le 24 novembre dernier, ce sommet de Nouakchott, auxquels assistaient notamment les ministres des Affaires étrangères français et espagnol, a rappelé l’urgence de la situation et le bilan meurtrier de cette guerre : 1.500 soldats de la région et 4.000 civils ont été tués.
Dans un précédent article, je pointais la difficulté, pour nos 5.000 soldats français de l’opération Barkhane, de réussir à contrôler un territoire aussi étendu que l’Europe qui s’étend sur cinq pays : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.
En 2013, les troupes françaises arrivaient au Mali, accueillies par une foule en liesse. L’euphorie laisse, aujourd’hui, place au doute sur l’issue de ce conflit, et même à la suspicion.
Depuis deux ans, la pression des rezzous mécanisés musulmans s’accentue. Actions éclair menées en Toyota ou en motos, par des groupes puissamment armés. Ils frappent, tuent et disparaissent. Terrorisées, les populations commencent à se demander si elles peuvent continuer d’avoir confiance en nous aux côtés de l’armée malienne ou si elles ne doivent pas commencer à composer avec les terroristes.
Attaques djihadistes contre les camps militaires maliens : Dioura en mars 2019, Mondoro et surtout Boulkessi, considéré pourtant comme l’un des plus sécurisés du pays, suivies des massacres d’Arbinda puis de Silgadji au Burkina Faso, puis de Sokolo au Mali…
Autant de revers sévères dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Inexorablement, l’Afrique semble grignotée par ces attaques qui se multiplient trop impunément, faute de pouvoir être contenues par des troupes manifestement insuffisantes et qui apparaissent impuissantes aux yeux des populations. L’attaque de Boulkessi, notamment, fut psychologiquement catastrophique, car Boulkessi était occupé par une centaine de commandos parachutistes placés sous le mandat de la Force conjointe du G5 Sahel. Les morts sont les militaires maliens et les populations sont restées perplexes : comment les djihadistes ont-ils réussi à s’en emparer si facilement ? Comment ont-ils pu échapper aux drones de surveillance de l’armée française ?
Au cœur du Mali, où sont pourtant positionnées nos troupes, ces massacres qui continuent accentuent le doute de la population, lassée par une guerre qui s’éternise. Les critiques contre la présence militaire française se généralisent. À Niamey, au Niger, des manifestants ont scandés des slogans hostiles à la présence des militaires français et américains. « À bas les bases militaires étrangères », « À bas l’armée française ». C’est cependant au Mali que la présence de forces armées étrangères, et singulièrement françaises, rencontre le plus d’hostilité. « La multiplication des attaques et le manque de protection des soldats maliens, malgré la présence de ces forces internationales, engendre une suspicion généralisée de connivence entre Barkhane et les terroristes », explique Issa Ndiaye, politologue et professeur de philosophie à l’université de Bamako. Soupçons que les diplomates et cadres militaires français s’emploient à contrecarrer, notamment Joël Meyer, l’ambassadeur de France au Mali : « Si la France est intervenue militairement au Mali – une intervention encadrée par un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies –, c’est parce qu’il y a eu la menace terroriste et qu’il y a eu une demande d’assistance des autorités maliennes », insistait-il ainsi, en juillet dernier, dans un entretien accordé au journal L’Indépendant. « Nous ne souhaitons pas rester indéfiniment au Mali et n’avons aucun intérêt à le faire, au-delà du devoir accompli. »
Un discours relayé également par le président Ibrahim Boubacar Keïta qui, dans un entretien, en juillet dernier, à Jeune Afrique, dénonçait « les politiciens qui manipulent et exacerbent ce genre de sentiments xénophobes qui ne rendent service ni au Mali ni à la paix ».
Déçues du manque de résultats contre des terroristes qui donnent l’impression de faire ce qu’ils veulent, ces assurances ne convainquent pas les populations attaquées, de plus en plus réceptives au discours affirmant que la force Barkhane est impuissante et qu’elle n’est là que pour défendre des dirigeants corrompus au service des intérêts français.