SociétéUn appel de Maye Niaré aux maliennes à l’occasion du 8 mars : “Acceptons de nous remettre en cause et faisons naître une nouvelle version de nous-mêmes”
Dans une interview qu’elle nous a accordée à la veille de la Journée internationale de la femme, Maye Niaré, ancienne membre du conseil consultatif de l’ONU-Femme, dresse un tableau sans complaisance de la condition féminine au Mali. Tout en dénonçant le caractère festif du 8 mars, qui occulterait l’essentiel, le département de la Promotion de la femme, de l’Enfant et de la Famille, qui ne répondrait pas aux aspirations de la gent féminine dans sa configuration actuelle, etc., elle propose des voies et moyens permettant un épanouissement réel et rapide de la femme et, partant, de la société. Entretien.
Aujourd’hui-Mali : Pourriez-vous vous présentez ?
Maye Niaré : Je m’appelle Maye Niaré, je suis la directrice du groupe YES, la vice-présidente de Rifel’s Mali (un réseau internationale des femmes leaders), ancienne membre du conseil consultatif d’ONU-Femmes et présidente de la Fédération des Soninkés (Feso-Mali).
Quel sens donnez à la Journée internationale des droits de la femme ?
Une journée internationale consacrée aux droits de la femme est une très bonne opportunité pour faire le bilan de la lutte des femmes. Cette journée, au-delà de son aspect festif mis en avant au Mali, aurait dû servir de tremplin aux femmes pour prendre leur destinée en main. En tant que femme, jouons-nous pleinement notre rôle ? Faisons-nous exactement ce que nous devons faire ? Sommes-nous dans une dynamique de solidarité face à nos multiples défis ? D’ailleurs, sommes-nous suffisamment éduquées pour faire face à ces défis ?
Autant de questions que toutes les femmes devraient se poser pour contribuer à la recherche de solutions. Pour moi, le 8 mars doit être le prétexte pour dégager une vraie vision face à nos défis, analyser nos éventuels freins et définir une bonne stratégie pour l’atteinte des objectifs personnels et collectifs.
Si nous les femmes aspirons à une société plus juste, plus égalitaire, nous devrons nous remettre en cause et accepter le changement qui fera naître “une nouvelle version de nous-mêmes”.
Actualité oblige, l’édition 2020 est placée sous le thème : “Soutien aux Forces armées et de sécurité”, quel est votre point de vue ?
Sans la paix, aucune œuvre humaine n’est durable. Dans un pays en conflit c’est encore et toujours les femmes qui payent le plus lourd tribut. La guerre augmente le niveau de précarité des femmes, avec son corollaire de maux (augmentation des veuves, impossibilité de protéger des femmes, augmentation des cas de viols et du nombre de déplacés, interruption de l’éducation des filles dans un système conventionnel)…
Cette édition, placée sous le thème de soutien aux FAMa, est une initiative bien noble. Certaines mesures d’accompagnement auraient pu contribuer à donner un contenu plus percutant au thème, comme la mise en place d’un système de collecte, d’analyse et de définition d’un plan d’action sur les difficultés que rencontrent les femmes qui sont dans les camps, les veuves, les enfants qui ne partent plus à l’école.
Qu’avez-vous à répondre aux voix qui s’élèvent pour demander de surseoir aux festivités de cette année, compte tenu de la recrudescence des attaques au nord et au centre ?
Le 8 mars n’est pas un anniversaire, et souvent j’ai l’impression au Mali que les dames n’ont pas compris le sens de cette activité. Nous n’entendons parler que de festivités toute la Journée. Bien sûr que nous devons arrêter les festivités pas seulement pour le 8 mars mais de façon générale dans notre pays. Nous devons arrêter parce que nous sommes solidaires avec nos militaires sur le champ de l’honneur, parce que nous nous devons de soutenir leurs familles. Nous devons arrêter tout simplement par amour pour notre pays. Ayons le courage de nous arrêter tous et toutes, juste un petit moment, pour prier, réfléchir, décider et rentrer en action rien que pour le Mali.
Selon vous, quelle est la situation réelle de la femme malienne ?
Nous assistons depuis plusieurs années à la recrudescence de la violence jusque dans nos foyers. Il n’y a pas un seul mois qui passe sans que nous ne voyions sur les réseaux sociaux que les jeunes s’entretuent. Au-delà de l’émotion, nous devons agir. Nous femmes, avons-nous dit à nos fils qu’il n’est plus acceptable qu’un homme tue une femme ? Et à nos neveux ? Nos cousins ? Nos frères ?
Au final, les hommes qui tuent sont aussi les mêmes que nous avons mis au monde. Avons-nous réellement joué notre rôle de mère ? Quelle éducation donnons-nous aujourd’hui à nos fils ? J’invite toutes les femmes du Mali, à se rassurer que tous les hommes se trouvant dans leurs entourages ont compris l’importance de la protection de femme et de l’enfant.
Quels peuvent être le rôle et la responsabilité des femmes dans la gestion des conflits ?
Dans notre culture et notre histoire, les femmes ont toujours joué un rôle d’apaisement, de cohésion sociale, dans le maintien d’une paix durable.
Parlons de la discrimination et la violence faites aux femmes. Quel message avez-vous à lancer aux autorités ?
Les femmes constituent la frange la plus importante de la population. Accepter de les soutenir, c’est accepter d’écrire une nouvelle page de l’Histoire de notre pays. Les autorités doivent porter le message le plus haut possible afin d’insuffler une nouvelle dynamique et contribuer à une culture de la paix et du développement.
Eduquer et protéger une femme c’est éduquer et protéger toute une nation. Nous demandons aux autorités d’accepter de porter le visage de la lutte et d’être des ambassadeurs de la cause des femmes.
Avez-vous été victime ?
Deux tiers des femmes du Mali, ont déjà été victimes au moins une fois dans leur vie. La violence n’est pas que physique, c’est aussi moral et social. Vivre dans une société fortement “patriarcale”, c’est accepter de se faire discriminer de diverses manières. C’est pouvoir effectuer le même travail qu’un homme et percevoir beaucoup moins que lui. C’est de se retrouver pratiquement à 100 % “responsable” de la réussite d’un mariage, quand nous savons tous qu’un contrat engage toujours deux parties. C’est d’essuyer parfois le refus du conjoint à jouir du droit du travail. C’est le refus subtil de la société d’accepter que tu occupes certaines fonctions parce que tu es une femme, pour permettre à quelqu’un d’autre de moins qualifié, mois responsable et moins intègre. C’est également être contraint de faire plus d’enfants malgré une volonté contraire. C’est enfin se retrouver de façon fréquente devant un tribunal social qui juge plus en fonction du sexe que d’autres critères.
Selon une étude, plus d’une femme sur trois a été violée ou victime d’abus sexuel ou de mauvais traitement au moins une fois durant sa vie.
Je ne pourrais ni confirmer ni infirmer ces statistiques en la matière, mais je sais que si notre société veut se développer davantage, nous devons être prêts à donner plus de place aux femmes et prôner une société plus égalitaire à certains niveaux. Le concept d’égalité ne signifie pas forcément un partage à 50/50 avec les hommes mais plutôt une société plus juste.
En Afrique, sur les 55 Etats, il y a peu de femmes présidentes de République, qu’est-ce qu’il faut pour changer cette tendance ?
Le développement de l’Afrique passe obligatoirement par la promotion du genre dans tous les secteurs. Aujourd’hui, les femmes africaines sont parties prenantes de tous les secteurs d’activités au niveau du continent. Elles se sont fortement démarquées dans l’entreprenariat et bien d’autres. Par contre, au niveau de la gouvernance et du taux de représentativité dans les hautes fonctions, il reste encore beaucoup d’efforts à consentir à ce niveau. Malgré ces avancées palpables, les femmes ont toujours besoin de renforcer leur position à l’interne comme par exemple dans la définition d’une bonne stratégie et vision, le renforcement du leadership, la confiance en soi, la solidarité féminine et l’esprit d’entraide.
Aussi, les hommes devront apprendre à dompter leurs peurs vis-à-vis d’une compétition saine entre les deux parties.
Enfin, ils doivent apprendre à faire confiance aux femmes, afin de les accompagner face à leur destinée.
Au Mali, il y a également peu de femmes qui occupent des postes de responsabilité, selon vous, cela est dû à quoi ?
Peu de femmes bénéficient finalement du système éducatif malien, surtout au niveau rural. L’éducation des femmes est susceptible d’être interrompue pour plusieurs raisons. Le premier risque réside au niveau de notre propre organisation sociale qui fait que la femme est “le pilier” central de la famille autour duquel tout tourne, l’économie, la gestion, les travaux ménagers, les travaux champêtres, et j’en passe.
De ce fait, la maman est plus encline à retirer la petite fille de l’école pour qu’elle serve d’appui ménager ou autre. Le deuxième risque concerne les finances qui font qu’à un moment la maman n’aura plus forcément les ressources nécessaires pour faire face aux frais de scolarité, le transport et la restauration. Le troisième risque se situe au niveau du mariage précoce. Le système social malien affecte de facto le rôle de mère au foyer que de diplômées aux filles et femmes.
En tant que femme, que fait-on pendant cette journée des droits des femmes ?
En tant que femme, ce jour et pour tous les 365 jours de l’année, nous nous devons de réfléchir à l’orientation de notre combat. Animer des conférences dans les écoles et les universités ; participer aux débats sur la lutte des femmes, donner des interviews, engager la discussion avec mes enfants pour être sûre qu’ils ont compris le combat et que chacun sait ce que le Mali attend d’eux.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui gaspillent de l’argent lors des festivités ?
Nous avions un magnifique système social et de solidarité au Mali que même les Occidentaux nous enviaient. Aujourd’hui, je ne sais comment mais nous sommes arrivés à pervertir ce système social pour entretenir plutôt notre ego. Ce système social autrefois qui nous permettait d’apporter de l’aide les uns aux autres est en fait utilisé comme un moyen de flatter notre ego, notre richesse, d’exposer nos biens souvent mal acquis. En si peu de temps nous nous sommes retrouvés dans la culture du m’as-tu vu ? Le superficiel, le visible.
De nos jours la jeunesse est en pleine crise : perte de repère, absence de modèle, manque de patriotisme, incivisme, crise de l’éducation. Qu’allons-nous leur léguer avant de mourir ? Une vraie crise qui doit nous appeler à une vraie conscience collective. Aux jeunes, nous disons donc arrêtons-nous un moment et réfléchissons aux voies et moyens pour aider notre pays. Investissons notre argent dans le développement et non pour acheter un nom comme dit le griot qui ne nous apporte finalement pas grand-chose !
Que souhaiteriez-vous voir changer dans les conditions de la femme malienne ?
Plusieurs choses pour permettre au Mali d’amorcer son développement. La première chose, c’est de mettre l’éducation au cœur de notre processus de développement. Permettre à tous les enfants du Mali de rejoindre le chemin de l’école et d’y rester. Que fera une jeunesse qui n’est pas éduquée ? Nous aimerions avoir plus de répartition des richesses ou des terres agricoles. Nous souhaiterions que tous les enfants du Mali soient jugés en fonction de leurs comportements et non de leur sexe. Nous aimerions une meilleure application de toutes les lois votées en faveur de l’égalité des sexes et des chances.
Quel est votre point de vue sur la nécessité de création du département de la Promotion de la femme, de l’Enfant et de la Famille ?
Ce département était censé être le plus important dans un gouvernement, parce que tout commence dans la famille et se termine au même endroit. Mais, aujourd’hui, force est de constater que ce département créé ne joue pas pleinement son rôle. Le temps a prouvé encore que nous sommes plus dans la théorie que dans la pratique des choses. Juste dire que nous avons un département nous suffit amplement que d’essayer d’analyser afin de savoir ce que ce département nous apporte finalement ? Quels impacts pour quels budgets ? Quelles sont les projets qui ont abouties ? Est-ce un vrai outil de définition d’une stratégie nationale ou juste une autre coquille vide ? Oui nous sommes d’accord pour la création de ce département s’il a un agenda clair et qu’il constitue un vrai levier pour notre développement. Sinon il devient tout juste une énième porte pour accéder au budget de l’Etat et mettre la poudre aux yeux des populations.
Avez-vous un appel à lancer à l’endroit des femmes maliennes ?
Je demande à toutes les femmes du Mali d’accepter de se mettre au service des autres femmes et de leur pays. Pour celles qui ont eu un peu plus de chance que les autres, acceptons d’aider les autres et sentons-nous libres d’entrer en action, privilégions la défense des intérêts collectifs au détriment des intérêts individuels et égoïstes.
Posons-nous certaines questions essentielles, à savoir :
Est-ce que le 8 mars nous concerne si nous sommes battus, violés et tués tous les jours ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne si nos bras, nos pieds, nos yeux sont toujours cassés ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne si nous n’avons pas le droit d’aller à l’école comme n’importe quel autre enfant ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne si nous sommes retirées de l’école tous les jours pour nous marier de force ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne si nous sommes excisées tous les jours mettant en danger notre capacité de reproduction et notre vie ?
Est-ce que 8 mars nous concerne si toutes les lois nous concernant sont votées sans aucun décret d’application ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne quand le quota de représentativité des femmes dans les postes de responsabilités n’est jamais atteint ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne quand nous sommes discriminés dans les entreprises, les partis politiques, les associations et toutes les structures ou nous militons quotidiennement ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne si nos sœurs vivant dans les milieux ruraux sont livrées à elles-mêmes ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne si la “petite bonne” dans nos foyer vis encore dans la plus grande des précarités, sans droits et sans visages ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne si celles d’entre nous qui sont censées se battre pour les autres se servent elles-mêmes au lieu de servir la cause ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne quand notre lutte se limite aujourd’hui encore à des histoires de pagnes, de tam-tam, de bâches, de chaises, de sono, de make-up, de foulards et tous les accessoires et artifices autour du 8 mars ?
Est-ce que le 8 mars nous concerne, quand nous nous battons pour avoir des choses sur la tête et non dans la tête.
J’invite toutes mes sœurs à se poser les bonnes questions, durant cette journée et même au-delà.
Soyons des femmes d’impacts en devenant nous-mêmes le changement que nous voulons pour notre pays.
Allons au-delà des émotions et engageons-nous sincèrement vers une vision commune d’entraide et de solidarité face à nos multiples défis.
Cherchons à nous battre pour avoir de la valeur et non pour qu’on nous mette en valeur !
Vives toutes ces Amazones maliennes qui essaient de faire la différence et engageons-nous ensemble pour nos droits.
Bonne Journée de réflexion de 8 mars à tous et toutes