L’État malien a entamé un dialogue avec des groupes armés, alors que ces derniers sont minés par leurs divisions- une situation qui profite au chef local de lÉtat Islamique (EI), Abou Walid Sahraoui.
Le dialogue amorcé par le pouvoir malien avec d’Iyad Ag Ghaly, au Nord du Mali, et Amadou Koufa, au centre du pays, pourrait séduire ces chefs de guerre en perte de vitesse. Sur le terrain, les deux (02) chefs djihadistes sont en effet confrontés à la pression militaire des armées du G5 Sahel et de Barkhane, mais aussi à de fortes tensions au sein de la mouvance extrémiste.
Le vieux président malien, Ibrahim Boubacar Kéita, tente, dans un pari périlleux, de diviser la mouvance djihadiste pour mieux la marginaliser. La France, par la voix du Quai, a discrètement rejeté la tentative de compromis menée par le pouvoir malien.
Le risque de dislocation du Groupe de Soutien à l’lslam et aux Musulmans (JNIM), qui regroupe sous la houlette dAg Ghali et de Koufa, depuis 2017, plusieurs composantes du djihadisme est réel.
Début janvier, plusieurs publications récentes ont fait état de conflits à l’intérieur de la Katiba Macina d’Amadou Koufa, composante du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Perceptibles au Burkina, ces conflits traduiraient une montée en puissance de l’ennemi numéro 1 de la France, Abou Walid Sahraoui, fondateur de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS).
Bakary Sambe, coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA) (Timbuktu Institute) a déclaré dans une interview à la publication «Niamey et les 2 jours» que des lieutenants contestataires de Koufa lui reprochaient sa gestion des conflits fonciers et des bourgoutières. «Ces heurts qui ont éclaté, vers le 10 janvier, ont délesté Koufa de nombre de ses soutiens, notamment ceux qui avaient facilité son installation dans le Macina.»
Selon les chercheurs du Timbuktu Institute, un nouveau groupe serait né d’une dissidence au sein de la katiba Macina et se serait implanté à Nampala, dans le cercle de Ségou, sous le nom de «Soldats du califat au Mali» et aurait fait allégeance à l’État Islamique (EI). Parallèlement, d’autres combattants de Koufa auraient quitté son organisation pour rejoindre Abou Walid Sahraoui et son Etat islamique au Grand Sahara.
Entre Ag Ghali et l’EI, rien ne va plus
Dans un récent rapport, l’association Promédiation a recensé des heurts entre les partisans d’Iyad Ag Ghaly et l’État islamique. Selon ce rapport, plusieurs incidents auraient eu lieu, le 1er janvier, dans le Gourma, le 9 janvier, dans la zone de Dogo et le 11 janvier, dans la zone d’Inabelbel dans le cercle de Gourma Rharous. Ces heurts opposaient des combattants de la Katiba Macina, fidèles à Iyad Ag Ghali et à Amadou Koufa, et d’autres combattants venus de Nampala et du Burkina Faso et se réclamant, eux, de l’État Islamique du Grand Sahara. Certains de ces affrontements ont fait suite à des enlèvements de leaders locaux par l’EIGS.
Lettre ouverte
Le 11 ou 12 janvier, le chef de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), ancien cadre du Polisario, aurait interpellé Amadou Koufa dans une courte lettre publiée par Promédiation pour exiger «le remboursement, conformément aux règles de l’islam, du prix de l’âme des deux (02) combattants ayant perdu la vie et la libération sans condition de nos détenus. Après cela, nous pourrons nous retrouver, discuter et signer des pactes de non-agression entre le JNIM et l’EIGS.»
Dans cette lettre, faisant écho aux négociations en cours, Abou Walid Sahraoui accuse Amadou Koufa d’avoir «conclu un pacte avec les donzos et les armées des mécréants ayant pour but de combattre la religion musulmane.» L’ancien bras droit de Mokhtar Belmocktar exhorte Koufa à avoir peur de Dieu et à s’éloigner «des actions qui peuvent déclencher une guerre entre les djihadistes ou entre les musulmans.»
Le risque d’une guerre entre Peuls
Il précise même, évoquant la communauté peule qui fournit le plus grand nombre de combattants de ces différents groupes rivaux, «vous êtes en train de déclencher une guerre intracommunautaire, c’est-à-dire une guerre au sein de la communauté peule.»
Depuis plusieurs années, les Peuls du Mali, du Niger et du Burkina Faso, bien qu’enrôlés dans des groupes concurrents, ont, parfois, transcendé ces appartenances pour s’entraider contre les ennemis communs, au premier chef desquels les Touaregs du Groupe d’autodéfense des touaregs imghads et alliés (GATIA) et du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA). C’est ainsi qu’un groupe de combattants nigériens de la Katiba Macina a prêté main forte, en 2015, à ses frères tollébé enrôlés auprès d’Abou Walid Sahraoui en butte aux attaques du GATIA, d’ailleurs mis en déroute après cette grande offensive.
Une partie des combattants d’Ansarul Islam, au Burkina Faso, auraient à leur tour rejoint, en mai 2019, le chef sahraoui, surnommé «l’Ami des Peuls». Selon Promédiation, une réunion de crise aurait rassemblé, en septembre 2019, une délégation de l’EIGS conduite par Abou Walid Sahraoui et des chefs combattants du JNIM, parmi lesquels le Burkinabé Jaffar Dicko et des émirs maliens. «L’objet de cette réunion était de définir les limites de leurs influences territoriales respectives et les lignes à ne pas franchir entre les deux groupes», écrit Promédiation, selon qui «la réunion s’est soldée par un échec et un accroissement des tensions.»
Le flirt d’Ag Ghali avec «les mécréants»
L’Etat islamique accuse ses rivaux du JNIM de connivence «avec certains États dirigés par des mécréants, notamment la Mauritanie et l’Algérie.»
De façon plus générale, l’État islamique reproche au Groupe de Soutien à l’lslam et aux Musulmans (JNIM) ses relations ambiguës avec les représentants de l’État malien et avec les chefs locaux, tant qu’ils ne sont pas source de conflits avec les combattants.
Source: Mondafr