Les légionnaires du 2e régiment étranger de parachutistes opèrent depuis un mois au Sahel en totale autonomie. La situation jusque-là alarmante est-elle sur le point de basculer? Le colonel Jacques Hogard (RE), ancien officier de Légion, nous aide à y voir plus clair.
Ces jours-ci, l’accrochage a tourné à l’avantage des légionnaires. Les 21, 23 et 27 février, les paras du 2e REP ont neutralisé une dizaine de combattants ennemis en trois actions successives. Depuis à peine un mois, un détachement fort d’une compagnie et d’un état-major tactique est déployé dans le Liptako Gourma, région menacée d’implosion, où les groupes armés terroristes (GAT) sèment le chaos et franchissent sans peine les trois frontières entre Mali, Niger et Burkina Faso. Les légionnaires font partie des 600 hommes annoncés en renfort depuis le sommet de Pau, portant l'effectif de l'opération Barkhane à 5.100 soldats français.
Les légionnaires se font guerriers nomades
Un «engagement exigeant» dans des «conditions sommaires», commentait sobrement le colonel de La Chapelle, chef de corps du 2e REP. La troupe en donne un témoignage identique: «nous sommes désormais en permanence sur le terrain», déclarait le 1ère classe Wilhem. Les conditions sont en effet rustiques: «le quotidien, c’est ration de combat tous les jours, et opérations. Le VAB est notre maison roulante et nous ne dormons jamais deux fois au même endroit.»
Car les 250 parachutistes légionnaires du Groupe tactique désert (GTD) «Altor» opèrent en autonomie, ravitaillés par voie aérienne. Le colonel Jacques Hogard (RE), ancien du 2e REP qui dirige aujourd'hui le cabinet ÉPÉE et qui s’intéresse de près à ses «camarades légionnaires», nous a expliqué leur situation: «ils sont en nomadisation complète», résume-t-il avant de préciser:
«Le GTD "Altor" emploie des procédés classiques de la guerre contre-insurrectionnelle: on fait comme l’adversaire, on se déploie sur le même terrain que lui, on vit de la même manière que lui, de la manière la plus rustique qui soit, et on lui fait la chasse en variant les modes d’action tactiques, avec une proximité de la population pour le rens’, pour lui rendre la vie impossible».
Le régiment s’était déjà illustré au début du conflit. C’est lui qui avait mené les combats les plus rudes en février et mars 2013. Les légionnaires avaient délogé les djihadistes à la grenade et à l’arme de poing dans les grottes de l’Adrar des Ifoghas – des engagements au corps-à-corps que l’armée française n’avait pas connus depuis l’Algérie. Et le régiment a déjà perdu deux des siens au Sahel: le sergent-chef Harold Vormezeele en février 2013, et le sergent Marcel Kalafut en mai 2014; un légionnaire d’origine belge et un Slovaque, tous deux membres de la section des commandos parachutistes de cette unité d’élite.
Maintenant, dans la région des trois-frontières où l’État islamique au Grand Sahara* (EIGS) a élu domicile, les opérations de contrôle de zones, de ratissage et de fouilles se succèdent avec l’appui des hélicoptères. Les légionnaires sont à l’affût du moindre matériel qui permettrait la confection d’engins explosifs improvisés, arme par excellence des groupes terroristes.
Non loin, mais du côté malien, les pelotons du GTD «Centurion» traquent eux aussi les djihadistes. «Des groupes fugaces», commentait le lieutenant Paul. Le détachement est quant à lui composé de légionnaires du 2e régiment étranger d’infanterie (REI) et du 1er régiment étranger de cavalerie (REC). Le peloton de reconnaissance et d’intervention du lieutenant cavale à 80km/h sur un terrain qui «peut être très ouvert, avec de très grandes élongations, mais aussi des portions beaucoup plus cloisonnées, avec de petites pistes, des forêts d’épineux, beaucoup d’oueds plus ou moins franchissables». Un jeu du chat et de la souris éprouvant: «la fatigue des uns et des autres se fait ressentir au fur et à mesure que l’opération avance», déclare l’officier.
Les terroristes sous pression?
Cependant un jeu qui obtient des résultats: «selon mes informations, ça paie…», nous rapporte le colonel Hogard. De surcroît, les paras du 2e REP s’activent aux côtés du 1er bataillon de marche des forces armées nigérienne, durement étrillées par les terroristes, mais semble-t-il remontées par la présence des soldats d’élite de la Légion. Un signal positif, tant l’état-major fait de la montée en puissance des alliés une condition de la victoire dans la région. Du côté de l’Élysée, on souffle d’ailleurs que la situation s’améliorerait du côté malien et du côté nigérien, mais moins du côté burkinabé. Un déséquilibre qui s’expliquerait en partie par l’état des troupes locales, selon le colonel Hogard. L’armée nigérienne étant sans doute la plus professionnelle des trois, et l’armée burkinabé la plus faible.
Sur le terrain, malgré les neutralisations, la capacité de régénération des insurgés reste forte. Le recrutement par la contrainte ou par des liens ethniques joue à plein. Les jeunes sont aisément séduits par l’argent facile des razzias et par la jouissance de porter une arme: «dans ces pays, ça compte», nous dit le colonel Hogard. Un des risques déclarés serait de voir la population peule basculer vers Daech* pour s’opposer à Bamako.
Alors l’armée française fait au mieux pour rassurer l’opinion, au Sahel comme en France. Depuis décembre 2019 et l’accident d’hélicoptères qui a coûté la vie à 13 soldats français, la question de l’enlisement du conflit a percé dans les médias. L’armée semble communiquer bien davantage sur les neutralisations de combattants djihadistes. Au risque d’un «body count» copié sur l’armée américaine, polémique et ne reflétant en rien la réalité du conflit? «Pour moi il n’y a rien de choquant à ça», tempère Jacques Hogard pour qui un tel décompte est nécessaire:
«Pendant la guerre d’Algérie, vous aviez un champion dans le domaine, c’était Bigeard. Il ne faisait pas une opération sans communiquer dans la foulée. Ça fait partie de la guerre contre-insurrectionnelle qui englobe la guerre psychologique. L’idée c’est «bien faire et le faire savoir». Ce n’est pas un gadget, c’est pour lutter contre le French bashing ou l’auto flagellation permanente.»
Des légionnaires «dans les Pigalle de Bamako»?
Un French bashing qui menace la légitimité de la présence française au Sahel. Dernier épisode du genre: les accusations de Toumani Djimé Diallo, ambassadeur du Mali en France: «il y a des débordements qui posent problème, avait-il affirmé le 27 février dernier devant la commission de défense du Sénat français. Par moments, dans les Pigalle de Bamako, vous les retrouvez [les légionnaires, ndlr], tatoués sur tout le corps, en train de rendre une image qui n’est pas celle que nous connaissons de l’armée [française, ndlr]».
L’état-major des armées a dénoncé des accusations sans fondement, puisque les militaires de l’opération barkhane ne sont plus présents dans la capitale malienne depuis 2014. «Ces derniers n’ont pas vocation à y aller et n’ont ni quartier libre ni temps de repos hors des bases opérationnelles», avait-il expliqué. Des propos qui furent à deux doigts de provoquer un incident diplomatique, alors que Paris fait au mieux pour éviter la propagation d’un esprit anti-français au sein des populations locales. Le ministre des Affaires étrangère malien Tibilé Dramé a rapidement désavoué son ambassadeur, le convoquant à Bamako. «J’aimerais bien le voir crapahuter dans le Liptako!», en rit quant à lui le colonel Hogard.
Le problème politique reste à régler
Pourtant, la voix de notre interlocuteur se fait de nouveau grave face aux problèmes politiques maliens qui ne semblent guère trouver d’issue. Si l’engagement des légionnaires «en leur laissant la capacité à agir librement dans leur zone de chasse» est pour lui un facteur d’optimisme, l’équilibre politique dans cette région qu’il connaît bien lui semble pour le moins fragile:
«Qu’on en foute plein la figure aux GAT, à la fois mafieux et terroristes, c’est très bien, mais ça ne peut pas se substituer à la solution politique qui doit accorder davantage d’autonomie aux populations du Nord. Elles ont été complètement ignorées des retombées des richesses naturelles qui sont sous leurs pieds, c’est ça le problème.»
Dans le pays, les tensions ethniques ne sont jamais loin rappelle le colonel Hogard: «nous ne pouvons pas entrer dans une guerre ethnique, des populations sédentaires du sud contre les populations nomades"à peau claire" du Nord». La guerre ne se gagnera qu’avec les populations: «et ça ne peut se faire que si ces populations ont un avenir politique et économique qui les intéressent». Ainsi plaide-t-il pour une «nouvelle politique». Afin d’y inciter les alliés du G5 Sahel, le colonel est favorable à la nomination du côté français d’«un haut représentant civil et militaire, qui coiffe à la fois tous les ambassadeurs de la région et la force barkhane.»