SantéDr. Boubacari Ali Touré, hématologiste, centre de lutte contre la drépanocytose : Au Mali, 1000 nouveaux cas de drépanocytose sont enregistrés chaque année
La drépanocytose est une maladie génétique transmise aux enfants par les deux parents. Pour mieux la comprendre, nous avons approché Dr. Boubacari Ali Touré, médecin hématologiste, responsable de l’unité consultation-hospitalisation du Centre de Recherche et de Lutte contre la Drépanocytose de Bamako.
Mali Tribune : Qu’est-ce que la drépanocytose ?
Dr. Boubacari Ali Touré : La drépanocytose est une maladie génétique transmise aux enfants par les deux parents. Elle est secondaire à une mutation génétique responsable de la production d’une hémoglobine anormale appelée hémoglobine S Cette hémoglobine S, quand elle soumise à certaines conditions entraine une déformation du globule rouge. Le globule rouge déformé devient rigide et vient obstruer les vaisseaux sanguins. Et l’obstruction des vaisseaux sanguins est à l’origine de la principale manifestation de la maladie : la douleur. En plus du globule rouge contenant de l’hémoglobine S est fragile avec une réduction de sa durée de vie d’où l’anémie observée chez les malades.
Mali Tribune : Quelle est l’ampleur du problème ?
Dr. B. A. T. :C’est la maladie génétique la plus fréquente dans le monde. Selon les données de l’OMS, 5 % de la population mondiale porte le gène de la drépanocytose, 300 000 enfants naissent chaque année avec la maladie. La plus haute fréquence se trouve en Afrique au Sud du Sahara avec 10 à 40 % de porteurs du gène et 2/3 des naissances d’enfants malades. Au Mali, on estime à 12 % les porteurs sains et environ 5 000 à 6 000 enfants naissent chaque année avec la maladie et malheureusement 50 % de ces enfants meurent avant l’âge de 5 ans, faute de soins appropriés. Au Centre de Recherche et de Lutte contre la Drépanocytose du Mali, 1000 nouveaux cas sont enregistrés chaque année. La maladie est reconnue comme problème majeur de santé publique depuis 2006.
Mali Tribune : Quelles sont les différentes formes, comment se transmet-elle ?
Dr. B. A. T. : On distingue deux formes : les porteurs sains qui sont asymptomatiques mais transmettent la maladie, ils sont appelés AS (A mis pour l’hémoglobine normale).
Les sujets malades qui portent le gène en double : homozygote SS, ou double hétérozygotes SC ou SB thalassémie.
Elle se transmet selon un mode autosomique récessif. Les garçons sont touchés aussi bien que les filles. Pour un couple de porteurs sains, il existe un risque sur 4 à chaque grossesse de donner naissance à un enfant malade, et une chance sur 4 d’avoir un enfant normal.
Mali Tribune : Comment se manifeste-t-elle ?
Dr. B. A. T. : Les premières manifestations apparaissent vers l’âge de 6 mois avec la survenue très souvent d’un syndrome “pied-main”. Il s’agit d’un gonflement douloureux des mains et des pieds sans notion de traumatisme. A ce signe s’ajoutent très souvent une anémie chronique nécessitant parfois des transfusions, des infections à répétition conduisant à des hospitalisations fréquentes et un ictère (coloration jaune des yeux).
Mali Tribune : Comment diagnostiquer la maladie ainsi que son évolution la maladie ?
Dr. B. A. T. : Le diagnostic repose sur l’étude de l’hémoglobine à partir d’un prélèvement de sang. Différentes techniques permettent d’identifier et de quantifier l’hémoglobine S dans le sang. Son évolution est marquée par la survenue de complications aigues et chroniques.
Les complications aigues apparaissent de façon brutale et constituent toute la gravité de la maladie avec pour certaines la mise en jeu du pronostic vital, c’est-à-dire responsable du décès. Les principales complications aigues sont : la crise vaso occlusive, le syndrome thoracique aiguë (première cause de mortalité chez l’adulte), la séquestration splénique (1ère cause de mortalité chez l’enfant), l’accident vasculaire cérébrale, le priapisme. Les complications aiguës surviennent lorsque le drépanocytaire est soumis à certains facteurs : le froid, la déshydratation, les efforts physiques intenses et prolongés, le stress.
Les complications chroniques sont à l’origine de défaillance organique avec principalement une atteinte rénale, une atteinte cardiaque, une atteinte oculaire pouvant conduire à la cécité, une atteinte osseuse, une atteinte cutanée.
Ces complications sont très souvent à l’origine d’échec scolaire et de perte d’emploi (absentéisme).
Mali Tribune : Quelle prise en charge ?
Dr. B. A. T. : La drépanocytose est une maladie qui se soigne mais qui ne guérit pas. La prise en charge repose sur un suivi médical régulier, l’observation des règles d’hygiène de vie afin d’éviter les facteurs qui déclenchent les crises, la prise en charge rapide et efficace des complications aiguës, la recherche active et régulière des complications chroniques. Des médicaments existent pour la prévention et la prise en charge de certains types de complications : l’hydroxy urée. La greffe de moelle osseuse et la thérapie génique sont les seuls moyens pour guérir les patients mais ne sont accessibles qu’à une infime partie des malades et principalement dans les pays développés.
La prévention repose sur le dépistage avant mariage pour éviter l’union entre deux porteurs sains du gène ou entre un malade de la drépanocytose et un porteur sain.