Depuis l’apparition de la maladie à coronavirus en décembre 2019, la grosse machine à produire les fausses informations n’a connu aucun répit. Pis, cette machine tourne à plein régime et nous alimente quotidiennement en intox les plus farfelues les unes que les autres. Florilège : « les feuilles de n’golobè, l’ail, le citron et d’autres racines éradiqueraient le coronavirus » ; « les Africains et les musulmans seraient naturellement immunisés contre le COVID 19 » ; «le coronavirus aurait été produit par l’armée américaine dans un laboratoire chinois » ; « la 5G serait à l’origine du coronavirus ». Et certainement la meilleure : « buvez, buvez et encore buvez de l’alcool, le coronavirus ne passera pas par vous ». Et dans un article daté du 18 mars dernier, un respectable quotidien européen écrit : l’« Infatigable Donald Trump ne s’est pas ménagé pour en propager. Selon CNN, il en afficherait 28 à son compteur [Twitter]. Dont celle qui tendait à démontrer que le coronavirus était lui-même une fake news ».
Face à ce déferlement de contre-vérités sur les réseaux sociaux, TedrosAdhanomGhebreyesus, Directeur général de l’OMS, la vénérable institution onusienne chargée de veiller sur notre santé, a lâché une bombe le 2 février dernier : « Nous ne combattons pas seulement une épidémie, nous combattons aussi une “infodémie” ». Cette sortie du DG de l’OMS est relayée dans Le Point du 20 mars sous la plume de l’anthropologue Alice Desclaux (IRD) qui écrit ceci: « L’épidémie de Covid-19 s’accompagne sur les réseaux sociaux d’une épidémie d’information. Celle-ci est telle que l’OMS emploie le néologisme d’infodémie pour la qualifier. Une partie non négligeable de ce flux continu est constituée d’infox : des informations dont l’origine n’est pas explicite, qui ne sont pas validées par une institution et qui sont diffusées le plus souvent par les réseaux et médias sociaux, blogs et sites d’information en ligne, sous forme de courte vidéo ou d’image parfois assortie de texte ».
On le voit donc, il circule sur les réseaux sociaux tellement d’« infodémie » sur le coronavirus, au même instant T, que le cercle chromatique tout entier ne suffirait pas à le dépeindre.
Quand on n’a pas la baraka de David contre Goliath dans le combat épique passé à la postérité, Sun Tsu (L’Art de la guerre) nous conseillerait de puiser dans le registre inépuisable de la stratégie. Ce que vient de faire l’OMS en contractant un partenariat innovant avec WhatsApp et Facebook qui, chacun, touche plus de 2 milliards de personnes. Grâce à ce partenariat, l’OMS, WhatsApp et Facebook vont « …lancer un service de messagerie WHO HealthAlert. Ce service fournira les dernières nouvelles et informations sur COVID-19, y compris des détails sur les symptômes et comment les gens peuvent se protéger. Le service Alerte santé est maintenant disponible en anglais et sera présenté dans d’autres langues la semaine prochaine. Pour y accéder, envoyez le mot “salut” au numéro suivant sur WhatsApp: +41798 931 892 » (In Situation report 60 du 20 mars 2020).
Le constat est désormais établi que l’« infodémie » tue dans les mêmes proportions que la maladie elle-même sinon plus. Pour preuve, cette information publiée par un grand quotidien européen : « mardi 10 mars, l’agence officielle iranienne, l’IRNA, a reporté la mort de 27 personnes qui auraient bu de l’alcool frelaté dans l’espoir de se protéger du Covid-19. Toutes avaient cru aux rumeurs ».
Le même quotidien cite une étude réalisée dans 75 pays par le Reuters Institute (université d’Oxford) selon laquelle 55 % des personnes interrogées avouent avoir des difficultés à faire le tri entre une vraie et une fausse information. Conscient de l’extrême gravité de l’« infodémie », Facebook informe de la mise en place des moyens pour l’éradiquer. Le géant du web affirme que ces moyens auraient permis « de réduire leur nombre de 80 % ». Déduction de mon confrère : Il en resterait donc toujours 20 %. Ce qui, pour une plateforme qui touche 2,5 milliards d’utilisateurs, reste énorme. Sur la même matière, le Washington Post cite un rapport du Global Engagement Center (un service du département d’Etat américain qui lutte contre la propagande étrangère). Ce rapport affirme avoir comptabilisé plus de 2 millions de tweets colportant des fausses informations sur le coronavirus, entre le 20 janvier et le 10 février. A l’époque, où l’épidémie n’avait pas encore quitté la Chine, cela signifiait donc 7 tweets sur 100. Dont une bonne partie, selon le GEC, émis depuis la Russie, la Chine et l’Iran.
Toutes ces études disent une seule chose : la proportion prise par l’« infodémie » en cette période est extrêmement préoccupante. Là où les pays du Nord, dotés de ressources importantes, échouent à faire barrière à un ennemi si pernicieux, que saurions-nous faire, nous autres pays périphériques manquant d’infrastructures et de surcroît peuplés de personnes pauvres, peu cultivées, crédules et ayant coutume de se réfugier dans les religions et l’irrationnel ? Munis de notre bon sens, nous sommes capables de deux réflexes de base (que suggère un confrère) :
Vérifier. Au moindre doute : garder l’esprit critique. Qui a écrit l’info, quelle est la source, quel site l’a diffusée, quand a-t-elle été rédigée, qui l’a relayée… Autant de questions basiques auxquelles, souvent, une simple requête sur Google permet de répondre. La plupart des sites de médias reconnus auront souvent d’ores et déjà désamorcé les fake news. Le site factuel afp.com (de l’Agence France Presse) les recense quasi toutes. Tandis que les sites officiels de l’OMS (who.int/fr) … restent des valeurs sûres.
Ne pas partager. Sauf si c’est pour démentir l’info. Le premier responsable des fake news reste toujours la personne qui « like » ou qui partage une fausse info. Dans le contexte actuel, elle accentue d’autant le sentiment d’anxiété.
Un conseil : en ces temps de crise sanitaire, évitons d’être des moutons de Panurge. La santé est une question de responsabilité partagée.