Je reprends ici presque l’intégralité d’un texte sur Manu Dibango que Jean-Michel Denis, journaliste surdoué de la place parisienne avait signé pour Cauris éditions, dans le cadre de sa publication « Les Paris des Africains ». Une manière de rendre hommage à deux êtres de passion et de générosité qui viennent de tirer leur révérence !
Jean-Michel Denis s’est éteint à 67 ans le 16 mars à Paris, emporté par l’infection du Covid-19. Amoureux des musiques africaines, il connaissait la plupart des grands noms de la scène du continent.
Saxophoniste et musicien de légende, Manu Dibango s’est éteint ce 24 mars à l’âge de 86 ans des suites de la Covid-19.
Il y 20 ans dans l’intimité du studio de Manu où Jean-Michel était allé le rejoindre pour l’interviewer, pouvait-on alors se douter du lien cosmique qui les unissait et qu’ils partiraient tous les deux, victimes du même mal à seulement quelques jours d’intervalle ? Mystère insondable de la vie ! Fragilité de notre condition humaine !
A seize ans, par un beau jour de printemps, le jeune Manu débarque au port de Marseille, venant de Douala. Etourdi d’impressions et de vision, il arrive à la gare de Lyon, gagne celle de Montparnasse, avant de rejoindre ses correspondants, dans la Sarthe.
Que l’on se rassure : Manu Dibango jette l’ancre. C’est le dernier makossa à Paris. Car à ses yeux, c’est clair : « le destin a voulu que mon épicentre soit là »
Le destin… Dès le début des années 1950, les jeux sont faits, rien ne va plus entre le futur chef de fil des musiciens camerounais et ses parents restés au pays. Venu en France pour se présenter au bac, option littéraire, il choisira, en fin de compte, la section « musique buissonnière », options claviers et saxophone. Et Paris, « la fatale », y sera pour quelque chose.
Entre la ville Lumière et lui, il y a cette sublime complicité qu’éprouvent deux musiciens « qui se sentent » dès les premières mesures, laquelle leur permet d’affronter toutes les aventures, toutes les improvisations
Comme il le dit avec son sens si particulier de la formule, « Paris pour moi, c’est la scène sur Seine », ou une « java camerounaise à trois temps ».
Premier temps : les années 1950, le Quartier latin, sa bohème. On s’entasse à plusieurs dans une chambre de bonne, on mange des pilchards et de la semoule ; on est furieusement zazou, existentialiste. On découvre le jazz dans ces temples appelés le Trois Maillets, le Tabou, le Caméléon, et on court les filles sur le « Boul’Mich ».
Deuxième temps qui va de 1965 à 1973, après la parenthèse congolo-camerounaise. Montparnasse offre sa passion pour la soul music afro-americaine. La vie se déroule à République, dans la boite le Bus Palladium ; pantalons tuyau de poêle, minijupes et lunettes noires, drugstores. Des hymnes à la négritude, à l’afro-attitude (« Schaft, « Say itLoud : I’m Black and I’mProud »…) sont continuellement scandés.
Troisième temps, après une pause américano-ivoirienne, retour aux anciennes amours en 1978. « Paris est à nous. Enfin ! » semble dire ce Rastignac nouvelle formule. La capitale française vit à l’heure de la musique africaine (Touré Kunda, Youssou N’Dour, Salif Keita, etc.) vigoureuse et fertile, qui, telle une adolescente impétueuse, brise les barrières des quartiers et s’éparpille aux quatre coins de la cité. « Love on the Beat »
Paris et Manu. L’amour toujours ! Vieux couple uni que rien ne peut plus vraiment menacer. Le grand chauve, qui a vécu entre les 14e et 20e arrondissements, n’a rien à cacher à « sa ville ». Et Paris, à l’inverse, lui a livré quelques-uns de ses secrets les plus intimes. « Paris s’est bâtie sur la foi, autour de Notre-Damede Paris. Cette cathédrale, par son équilibre, est aussi belle qu’une œuvre de Bach. En fait, cette ville marque une rencontre extraordinaire entre l’homme et la nature. Il suffit de regarder l’harmonie architecturale entre les deux berges de la Seine. Et puis, surtout, ce n’est pas un musée mais un ferment de vie perpétuelle. » Belle déclaration, après cinquante ans de mariage !