Au lendemain du deuxième tour du scrutin présidentiel au Mali, sans même attendre les résultats officiels, Soumaïla Cissé a félicité son adversaire Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et lui a souhaité un mandat réussi à la tête du Mali. Après une première tentative en 2002, c’est la deuxième fois que l’ancien ministre des Finances se présente à la magistrature suprême sans succès. Retour sur le parcours exceptionnel d’un bon perdant.
Ses admirateurs le comparent à l’Ivoirien Alassane Ouattara. A les écouter, Soumaïla Cissé aurait la même intelligence stratégique et la même connaissance des questions économiques. Mais il aurait aussi un petit plus par rapport à son ainé, une chaleur et une aisance en public qui en font un animal politique séduisant. Le natif de Niafunké, dans la région de Tombouctou, a aussi la réputation d’un homme parfois hautain et cassant. Ses partisans réfutent ces lieux communs et préfèrent évoquer son allure aristocratique.
Il y a du Giscard d’Estaing en lui, explique un commentateur politique français, comparant son parcours fulgurant à celui de l’ancien président français. Soumaïla Cissé partage avec ce dernier une image de brillant élève. Matheux, ingénieur, expert en gestion des entreprises, il est sorti major de sa promotion à l’université de Montpellier, avec en poche une maîtrise en Méthodes informatiques appliquées à la gestion. Il entame alors en France un parcours professionnel chez les poids lourds de l’industrie, EDF, IBM, Thomson, Péchiney, et Air Inter.
L’année 1984 marque l’année du retour au pays natal. Le matheux est aussi un défenseur des droits de l’Homme qui participe à la contestation contre le régime de Moussa Traoré. Parallèlement, il mène sa barque au sein de l’entreprise la plus stratégique de l’économie malienne, la CMDT, la Compagnie malienne des textiles qui fédère et régule le secteur cotonnier. L’arrivée au pouvoir d’Alpha Omar Konaré marque le début de sa carrière de grand commis de l’Etat. Secrétaire général de la présidence durant un an, puis ministre des Finances, il occupe aussi le poste de ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et de l’Urbanisme.
Emancipation, trahison, solitude
La décennie 2000-2010 sera celle de l’émancipation et de l’apprentissage parfois douloureux de la politique. Soumaïla Cissé est le candidat de l’Adéma, le parti d’Alpha Omar Konaré, à la présidentielle de 2002. Mais il apprend à ses dépens que le président sortant a coopté en secret Amadou Toumani Touré (ATT), le général révolutionnaire, celui qui avait donné le dernier coup de hache dans le trône de Moussa Traoré en 1991. ATT est élu, Cissé comprend qu’en politique, comme disait Talleyrand, « la trahison est une question de date ». Cette leçon lui apprend qu’un leader politique se construit dans la solitude. Il quitte l’Adéma, alors en ruine, prise au jeu de massacre de ses propres divisions.
Soumaïla Cissé fonde en 2003 l’Union pour la République et la démocratie. En 2007, il réussit le tour de force de hisser sa formation au deuxième rang sur les bancs de l’Assemblée nationale. La classe politique est bluffée devant tant de prouesses. Paradoxalement, c’est au moment où il engrange des succès électoraux que l’ancien ministre prend du recul dans le champ politique malien. Il dirige la commission de l’UEMOA, l’Union économique et monétaire ouest-africaine.
Expérimenté et efficace
Ce retrait relatif lui permet de rester en dehors de la course à la présidence de 2007. Soumaïla Cissé a parfaitement compris qu’il ne servait à rien de se battre contre un ATT soucieux de remporter un second mandat. Il peaufine ses réseaux en Afrique de l’Ouest, et entretient les meilleurs rapports avec des chefs d’Etat d’Afrique centrale comme Denis Sassou Nguesso. A l’écart des luttes politiques internes du Mali, il s’échine à régler les grands dossiers de la sous-région et à policer son image d’artisan du développement ouest-africain, un peu sur le modèle du Béninois Yayi Boni qui avait fait de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), une planche d’appui pour sa carrière politique.
L’objectif c’est clairement l’élection de 2012. Mais le putsch du capitaine Sanogo vient contrecarrer ses plans et heurter ses convictions. Soumaïla Cissé est un démocrate convaincu, il s’insurge contre les militaires et en paiera le prix fort le 17 avril 2012 lorsque les militaires le blessent gravement lors de son interpellation. Soumaïla Cissé sera évacué en France. Il restera exilé le temps de se soigner et de pouvoir rentrer en toute sécurité.
Aujourd’hui encore, il combat l’influence discrète, mais réelle des militaires de l’ex-junte et prône l’instauration d’une démocratie rénovée. Incollable sur les questions sociales et économiques, l’ex-enfant modèle est à 63 ans un homme politique expérimenté et efficace. Une efficacité qu’il veut mettre au service du développement et du pays, comme en témoigne sa démarche de perdant digne qui l’a conduit à se rendre ce 12 août chez son rival donné gagnant, avant même que les résultats du second tour ne soient officiellement proclamés.