Société… Mamadou Gouro Sidibé, fondateur du «Réseau LENALI » : “Lenali est le 1er réseau social au monde qui est totalement vocal et qui parle les langues locales africaines”
“L’économie numérique est le futur moteur de croissance des différents pays”
Phd en informatique, également fondateur du 1er réseau social totalement vocal en langue locale «Lenali» et président de l’association MaliStartUp, Dr Mamadou Gouro Sidibé a bien voulu nous accorder une interview exclusive dans laquelle il parle dudit réseau social vocal “Lenali”, en précisant notamment comment il fonctionne, les difficultés rencontrées lors de sa création et comment il entrevoit le développement de l’économie numérique au Mali dans les prochaines années, avant de lancer un message à l’endroit des jeunes entrepreneurs maliens qui hésitent peut-être encore à lancer leur propre startup.
Aujourd’hui-Mali : Parlez-nous du réseau social Lenali ?
Mamadou Gouro Sidibé : Le réseau social “Lenali” est une application mobile disponible sur Palystore. C’est le premier réseau social au monde qui est totalement vocal et qui parle les langues locales africaines. Parmi les langues incluses, nous pouvons distinguer le Bamabara, le Soninké, le Sonrai, le Peulh. Il y a également les autres langues de la sous-région comme le Mooré et le Wolof et enfin la langue officielle qui est le français.
Comment vous est venue l’idée de lancer ce réseau social ?
Avec la multitude des réseaux sociaux existants, nous pouvons nous poser la question pourquoi “Lenali” ? Au début, j’étais parti pour créer un Viber-Wattsap malien et après quelques temps de développement, je me suis rendu compte que c’était difficile parce que de toute façon à chaque fois que je commençais à innover sur quelque chose, les autres plateformes existantes innovaient autant. D’autre part, il y a aussi le fait que la pénétration du marché était très importante pour ces plateformes existantes.
Un jour, j’entrais dans une alimentation du coin, le monsieur qui avait l’habitude de me servir me tendit un téléphone avec l’application “Viber” en me demandant de lui traduire un message écrit en français qu’il ne pouvait pas lire. C’est là où j’ai eu le déclic et après une étude j’ai vu que chez nous, au Mali, il y a plus de 60% de la population qui ne sait pas lire et écrire.
Ensuite, j’ai constaté que nous sommes dans un pays ou l’oralité est une culture. Il y a également le fait qu’il y ait une multitude de langues chez nous. Ce qui est d’ailleurs une richesse, mais souvent peut être une barrière pour l’intercommunication. Voilà pourquoi l’idée de la création de “Lenali” est venue, d’aller vers un réseau social adapté aux réalités sociales, culturelles et économiques de nos pays africains.
Comment fonctionne cette application de messagerie vocale ?
La messagerie vocale n’est qu’une partie de l’application “Lenali”. Alors comment ça fonctionne ? Dès le lancement, il commence à jouer une langue locale et nous avons une indication que nous pouvons sélectionner une langue et une fois la langue sélectionnée, nous recevons des instructions vocales donc sur comment installer Lenali. Ensuite, nous arrivons là où il faut renseigner son profil et évidement si nous ne pouvons écrire, cela sera très difficile. Alors Lenali propose des profils vocaux. Quand nous rentrons dans l’application, il y a des possibilités de faire une publication vocale comme sur les messageries existantes, mais avec la possibilité d’une publication vue par les gens qui peuvent aller commenter. Nous pouvons également faire des photos sonores, c’est-à-dire prendre une photo et ajouter une légende sonore contraire aux autres qui permettent aujourd’hui uniquement d’ajouter une légende écrite. Donc, Lenali permet aussi d’ajouter une légende écrite, mais surtout d’ajouter une légende sonore.
Avec l’application Lenali, nous avons le pouvoir, à l’intérieur, de publication surtout à la partie réservée aux commentaires de commenter vocalement y compris avec des photos sonores et de pouvoir partager d’une langue à une autre langue. C’est-à-dire, j’ai une publication dans une langue et je peux la partager vers une audience d’une autre langue en ajoutant ma propre traduction par exemple.
Enfin, il permet de faire ce qu’on dénomme l’appel navigation GPS, c’est-à-dire dans un pays où les adresses ne sont pas écrites ou la manipulation GPS est difficile pour la majorité des populations, donc l’idée, c’est que si nous voulons inviter quelqu’un chez soi, nous ferons un appel comme un appel audio vidéo et quand la personne décroche l’appel, elle est guidée vocalement, pas à pas, jusqu’à là où nous nous trouvons. Voilà, en gros, comment marche Lenali.
Après son lancement à Bamako, Lenali a-t-il rencontré le succès que vous escomptez depuis ?
Alors, Lenali a-t-il rencontré un succès que j’escompte ou pas ? On va dire que j’aurais préféré plus, mais jugez-en vous-même. Lenali a été lancé en 2017 et aujourd’hui il a été téléchargé plus de 80 000 fois, je pense que cela n’est pas rien et cela sans rançons, sans campagne de publicité et sans lancement officiel encore. Et donc, avec des coups médiatiques et le bouche-à-oreille, nous avons pu avoir 80 000 utilisateurs. Evidemment, nous souhaiterions aller beaucoup plus loin que cela, pour soit un outil utilisé partout dans le monde. Pour cela, nous avons besoin du soutien des investisseurs, des gens de bonne volonté et de l’Etat.
Avez-vous rencontré des difficultés dans la création de ce réseau social ? Si oui, lesquelles ?
Bien évidemment, qu’est-ce qu’on peut faire dans ce monde sans difficulté ? Et surtout amener un nouveau réseau social dans un pays où l’accès à l’internet reste encore aléatoire où le coût de l’internet est très cher et puis il y a une majorité de population qui, hélas n’a pas eu la chance d’aller à l’école ! La première difficulté, elle est classique pour toute startup, c’est d’avoir le financement adéquat donc des difficultés financières. L’autre difficulté, c’était des ressources humaines. Moi, j’ai eu la chance de faire mes études en Europe jusqu’à un Doctorat et avoir plus de dix ans d’expérience dans de grands projets de recherche et de développement en informatique et venir ici au Mali et trouver les ressources humaines qualifiées pour aller vite, c’était difficile. Il a fallu vraiment faire beaucoup d’efforts et de travailler avec les jeunes d’ici pour que cela soit une réalité. Au-delà de cela, il y a aussi des difficultés pour pouvoir rendre disponible la plateforme. Cette force de frappe-là, nous ne l’avons pas encore et les moyens pour le faire nous manquent. Donc, c’est vraiment de très grosses difficultés que nous avons eu à gérer.
Pensez-vous que l’économie numérique peut-être un moteur pour le développement du pays ?
Oui, l’économie numérique peut-être un moteur pour le développement en général. Je donne quelques chiffres. En 2016, l’économie numérique en Amérique du Nord, c’était 1500 milliards d’Euro, en Europe occidentale, sa faisait 1000 milliards d’Euro et en Afrique tout entière plus le Proche-Orient réunis, cela ne faisait que 217 milliards d’Euro. Dans les pays d’Amérique et de l’Europe, l’économie numérique a dépassé, a doublé et voire même a triplé l’économie classique. Alors, sans aucun doute et c’est confirmé par d’autres études de la Banque mondiale, l’économie numérique est le futur moteur de croissance des différents pays. Et donc, si on regarde les chiffres de chez nous c’est parce que justement ce n’est pas encore développé, dû à beaucoup de raisons comme d’infrastructure et de coût, mais aussi et surtout du fait que les gens ne comprennent pas forcément parce qu’ils n’ont pas eu la chance d’aller à l’école. Tout cela fait que ça n’a pas encore pris son envol ici, alors que cela devait l’être.
Comment voyez-vous le développement de l’économie du numérique au Mali dans les prochaines années ?
Il y a déjà des efforts des startups, des personnes avec des idées, avec très peu de moyens souvent et avec beaucoup de courage qui essayent de se lancer. Il y a également des efforts de l’Etat dans le cadre de différents programmes comme MaliStartup où ils ont pu envoyer quelques jeunes à la Silicon Valley aux Etats-Unis. Auparavant, il y a eu l’envoi des jeunes startuppers maliens au CES de Las Vegas dont moi-même, par le Ministère de l’Economie numérique. Récemment, il y a le Tech Falls Days où nous avons eu beaucoup de jeunes talents maliens avec de très bonnes idées et de très beaux projets. Donc, il y a eu des efforts, mais je crois qu’il en faudra plus. Imaginez, avec la situation actuelle du coronavirus ou Covid-19, si les gens devaient être confinés demain, il va falloir passer largement à l’économie numérique. C’est dans ce cadre que Lenali a proposé aux autorités du pays l’application mobile totalement vocale ” Kunko “. Cette application permet d’informer (sensibilisation, formations et débats interactifs), tester (sondages agréés), signaler (échanges privés avec professionnels, prise en charge, cartographie interactive) et contacter (les centres de santé, s’y rendre en un clic) concernant divers aspects de la maladie. Donc, l’économie numérique peut apporter sa pierre à l’édifice dans l’importe quel secteur pour le rendre plus productif, plus facile et plus utile.
Le numérique n’est plus une alternative, c’est une nécessité et il faut qu’il y est des efforts de l’Etat, des investisseurs, des partenaires techniques et financiers et une bonne formation entrepreneuriale et d’ailleurs c’est pour cela que nous, startups, nous nous sommes regroupés au sein de l’association “MaliStarUp” pour pouvoir donner une base de données interactive de qui est qui et peut faire quoi afin de sensibiliser les startups vers une formalisation.
Enfin, j’ajouterais quelque chose de très important. Oui, l’économie numérique est un moteur de recevoir, oui il faut les efforts de tous et chacun, oui nous nous associons, mais moi qui suis à la base d’une vision des choses adaptées au contexte local vocal en langue locale, je dirais une chose : quelle économie numérique pour nos pays. Il faut une économie numérique adaptée aux réalités locales. Donc, nous devons développer des solutions utiles compréhensives et qui répondent aux besoins réels des gens.
Pour finir, avez-vous un message à transmettre aux jeunes entrepreneurs maliens qui hésitent peut-être encore à lancer leur propre startup ?
Primo, le numérique est une opportunité, secundo l’Etat et les entreprises actuelles ne pourront pas créer du travail pour tout le monde. Donc, il faudrait peut-être oser se lancer. Oui, je suis d’accord que tout le monde n’est pas un entrepreneur, mais ceux qui ont l’idée qui veulent prendre leur destin en main ne doivent pas hésiter. Cependant, il faut prendre en compte quatre choses majeures. Première chose, il faut avoir une grande motivation et croire en ces projets ; deuxième chose, il faut avoir une force de travail incroyable, c’est-à-dire travailler et encore travailler ; troisième chose, il faut de la persévérance, c’est-à-dire on tombe dix fois et on se relève dix fois et dernière chose, il faut une bonne dose de folie, il ne faut pas faire comme les autres, il faut avoir son degré innovant, il faut oser. Voilà les quatre ingrédients qu’il faut avoir en plus de tous les autres atouts pour aller de l’avant.