SociétéFermeture des écoles pour cause de Covid 19 : Les enseignants du privé rasent le mur - L’idée d’une année blanche persiste malgré les cours à distance
Publié le jeudi 30 avril 2020 | La lettre du Peuple
L’année scolaire 2019-2020 a été sans doute l’année la plus difficile en termes d’épreuves ces dernières décennies pour les acteurs de l’école malienne. Au moment où les principaux acteurs de l’école se débattaient comme de beaux diables pour sauver l’année scolaire pendant la grève des enseignants fonctionnaires, la pandémie du Covid 19 s’est invitée en généralisant la fermeture des classes et contraignant les autorités éducatives à expérimenter sans préparation les cours à distance. Comment les enseignants des écoles privées vivent-ils la fermeture des écoles pour cause du Covid 19 ? L’année scolaire peut-elle être sauvée par les cours à distance ? Les éléments de réponses dans ce reportage…
Il est 9h 30 le lundi matin quand notre équipe de reportage pénètre la grande cour du complexe scolaire Ba Nassou de Kanadjiguila. Un silence funèbre règne dans les classes du niveau un et deux de ce grand groupe scolaire composé d’un lycée et d’un centre professionnel. Le censeur est absent, nous signale le gardien des lieux. Mais au rez-de-chaussée, une poignée de motos Jakarta entassée devant une classe attire notre attention. Sur place, un professeur de comptabilité tente de s’assurer une survie avec moins d’une dizaine d’élèves. Pour ce faire, il brave les mesures de distanciation et de confinement. A la question de savoir s’il n’a pas peur d’une possible descente de la gendarmerie pour l’interpeller, l’enseignant réplique qu’il fait ses cours à ses risques et périls.
Des cours privés pour joindre les deux bouts !
« J’ai été une fois interpellé par la gendarmerie et j’ai peur qu’elle se pointe de nouveau. Mais je suis sûr d’une chose. Au-delà du Covid 19, il y a une autre vie. Le gouvernement du Mali nous a condamnés à violer les mesures de confinement, surtout nous les enseignants des écoles privées. Nous sommes laissés pour compte par le gouvernement et les promoteurs d’écoles. A peine on arrive à voir les responsables des écoles privées depuis l’éclatement de cette crise. Ils nous fuient. Aucun enseignant du privé au Mali n’est payé à ce jour. Et l’Etat ne fait rien pour arranger la situation. Pourtant, les subventions données par l’Etat ne connaitra pas une baisse. C’est du vol contre l’Etat et de l’injustice à l’endroit des enseignants du privé. C’est dans les cours privés qu’on tente de joindre les deux bouts », répond l’enseignant.
Le non payement des enseignants par les promoteurs d’écoles privées est aussi resté au travers la gorge de N.B professeur de mathématiques au lycée Ladho de Ouinzindougou. « L’Etat du Mali n’est pas juste entre ses propres fils. Les promoteurs d’écoles privées refusent de nous payer parce qu’ils estiment que le travail n’a pas été accompli. Pourtant la suspension des cours a été décidée indépendamment de notre volonté. Les promoteurs d’écoles, qui ne sont personne d’autre que les travailleurs du ministère de l’Education nationale, veulent profiter de cette situation pour faire augmenter leur chiffre d’affaire. Ils refusent de payer les enseignants pendant cette période de confinement et ça ne dérange personne. Pourtant si c’est l’Etat qui s’hasardait à enlever un franc de sur leurs subventions, la terre entière les entendrait. Nous tentons de tirer notre épingle du jeu par les cours privés, mais là aussi les parents d’élèves ne sont pas eux aussi très réguliers dans le payement », informe le professeur de mathématiques.
Mais dans les écoles privées non bénéficiaires de la subvention de l’Etat, l’absence du salaire de l’enseignant s’explique autrement. « Ce n’est pas un refus. Mais nous aussi sommes confrontés à un problème de trésorerie. Mon école fonctionne sur fonds propre et dépend des frais de scolarité payés par les parents d’élèves. Puisque les enfants n’étudient pas actuellement, les parents d’élèves ne viennent pas payer. D’où toute la difficulté de payer les enseignants qui souffrent comme nous de cette situation indépendante de notre volonté », explique la Directrice de l’école fondamentale privée L’Avenir.
Les cours à distance divisent les acteurs de l’école
Les avis des acteurs de l’éducation divergent sur l’efficacité des cours à distance récemment lancé par le gouvernement du Mali en vue compenser le temps perdu par les élèves.
Selon Mariko Diané enseignant dans une école publique à Fana, ces cours à distance ne sont qu’une parodie. « Les cours à distance, c’est le retour à l’ancienne méthode d’enseignement. C’est un recul pour le système éducatif malien. C’est l’enfant qui doit être au cœur de l’apprentissage. Le maitre n’est là qu’en tant que facilitateur. Actuellement au Mali, les cours à distance n’ont aucune importance. Le cours n’est pas actif. Pire je me demande quelle est la finalité cherchée dans ces cours à distance ? Est-ce pour occuper les enfants confinés à la maison comme c’est le cas en France ou c’est pour sauver l’année scolaire. Pour le cas du Mali, tout porte à croire qu’il s’agit là d’un plan de sauvetage de l’année scolaire. Pour preuve, ces cours sont dispensés seulement à l’intention des élèves en classe d’examens et concerne uniquement les matières d’évaluation au DEF et au Bac. Tout se fait comme si les autres élèves des autres classes n’ont pas droit eux aussi à l’éducation. C’est un génocide éducatif. Pire que cela, moi je vois mal un élève qui déteste les mathématiques s’intéresser à un cours de math à la télé. Il ne comprendra rien et il n’y a personne pour le motiver. Ensuite je me demande sur quelle base, ils ont arrêté le programme des cours à distance. J’ai l’impression aussi qu’ils ont pris les leçons comme ça sans même tenir compte de là où les élèves se sont arrêtés dans l’exécution du programme scolaire. Ces cours à distance ne marcheront pas. S’ils veulent occuper les enfants à la maison avec ces cours pendant la période de confinement d’accord mais espérer les évaluer sur les leçons dispensées lors de ces cours à distance est un massacre éducatif populaire. Seuls les enseignants peuvent faire ce travail. Qu’on donne des masques à tous les élèves et aux enseignants afin que les cours reprennent », estime l’enseignant.
L’année scolaire menacée mais pas perdue
Interrogé sur la possibilité de sauver l’année scolaire 2019-2020 doublement minés par la grève des enseignants et la pandémie du Covid 19, la Directrice du Centre d’ Animation pédagogique de Lafiabougou, Madame Traoré Minata Coulibaly se montre toujours optimiste. A l’en croire l’année est sans doute menacée mais il est encore trop tôt de la déclarer perdue.
Contrairement à l’enseignant, elle estime que les cours à distance peuvent être un remède efficace pour échapper à une année blanche à condition de corriger quelques insuffisances. « J’ai l’impression que les horaires et les jours de cours ne sont pas bien maitrisés par les élèves et leurs parents. Je souhaite que l’ORTM revienne encore sur les horaires de diffusion des cours », propose Mme Traoré Minata Coulibaly. A cette proposition, elle attire l’attention des autorités scolaires sur la situation des élèves vivant dans les zones reculées du Mali qui ne bénéficient pas de ces cours à distance au même titre que ceux des grandes villes.
Toutefois, la Dcap de Lafiabougou combat toute idée de sabotage contre ces cours à distance. « C’est ce que nous sommes en mesure de faire pour l’instant. Personne ne veut de cette situation. Mais la pandémie du Covid 19 nous y a imposés. Ces cours valent mieux que rien. Nous devons arrêter de les critiquer et nous impliquer davantage pour sa réussite tout en priant que ce mal sanitaire soit circonscrit rapidement afin que les choses reviennent à la normale. Les parents ont le devoir de surveiller leurs enfants et de les aider à mieux préparer leur avenir. Tant que les parents ne jouent pas ce rôle éducatif primordial ni les cours en classe ni les cours à distance ne fonctionnera. Cela est une vérité qu’on doit se dire même si je pense que les autorités scolaires peuvent aussi explorer la méthode consistant à donner des masques à tous les élèves et à tous les enseignants afin que les cours reprennent. Et cela même s’il faut arrêter les cours à 13 heures », explique la Dcap.
Moussa Koné