Ibrahim Boubacar Keïta devrait être prochainement proclamé président du Mali après avoir reçu les félicitations de son adversaire, Soumaïla Cissé, qui a reconnu sa défaite et promis mardi de constituer une opposition "démocratique", au grand soulagement de ses compatriotes.
Une fois que sa victoire sera officiellement confirmée, cet ancien Premier ministre de 68 ans entretenant une réputation d'homme à poigne aura notamment pour tâche prioritaire d'ouvrir des négociations avec les Touaregs du nord du pays, dont le soulèvement en début d'année 2012 a mené le Mali au bord de l'éclatement.
L'absence de contestation de la part de Soumaïla Cissé devrait lui conférer l'autorité suffisante pour engager ces discussions sur la préservation de l'unité du Mali, réformer l'armée et s'attaquer à une corruption jugée endémique dans les cercles du pouvoir.
"Je ne ferai rien qui puisse affaiblir le Mali ou fragiliser l'unité de notre nation", a expliqué Soumaïla Cissé au cours d'un point de presse en excluant tout recours devant la Cour constitutionnelle.
"Au regard de la fragilité de la situation du pays, mes alliés et moi ne souhaitons pas ouvrir une page de contestation et d'instabilité du pays", a ajouté celui qui dénonçait encore quelques heures plus tôt des fraudes électorales au profit de son adversaire.
Malgré quelques irrégularités marginales, les observateurs maliens et internationaux ont salué le déroulement du scrutin.
"Cette élection, du point de vue des normes démocratiques, est un succès", a ainsi déclaré Louis Michel, chef de la mission d'observation de l'Union européenne.
"C'est une élection qui permet désormais au Mali d'entamer la conclusion d'un processus en cours: le retour à une démocratie normale", a ajouté l'ancien chef de la diplomatie belge.
"ATTITUDE EXEMPLAIRE"
La télévision nationale a diffusé des images de la visite rendue à Ibrahim Boubacar Keïta par l'ancien ministre des Finances, originaire du nord du Mali, en compagnie de sa famille.
Dans les rues de Bamako, les Maliens ont salué l'"attitude exemplaire" de Soumaïla Cissé.
"Il a été très impressionnant et très respectueux de la démocratie. C'est un soulagement pour nous tous", a réagi Aïssata Camara, laborantin de profession.
Le candidat malheureux a promis de constituer une opposition démocratique au chef de l'Etat.
"Nous ferons des propositions. Nous critiquerons quand c'est nécessaire. Nous ferons la promotion de la démocratie par l'opposition. C'est ce dont notre pays a besoin aujourd'hui", a-t-il insisté.
Pendant des années, l'entrée des principaux opposants au gouvernement a contribué à affaiblir la démocratie malienne considérée comme un modèle jusqu'au coup d'Etat militaire de mars 2012 qui a précipité le pays dans la crise politique et favorisé la conquête du Nord par les rebelles touaregs et leurs alliés islamistes.
C'est sur ce pays, sauvé de justesse de la désintégration par l'intervention militaire française début 2012, qu'Ibrahim Boubacar Keïta, dit "IBK", s'est engagé pendant la campagne à rétablir l'autorité de l'Etat.
Avant même la proclamation des résultats officiels, la France s'est félicitée du déroulement et de l'issue d'un scrutin qui va lui permettre de passer la main à la force de maintien de la paix de l'Onu.
LA FRANCE SOULAGÉE
"Il est très rare qu'un pays naisse deux fois", a souligné le chef de la diplomatie française Laurent Fabius. "C'est le cas du Mali qui, menacé dans son existence même par la barbarie terroriste il y a sept mois, a su trouver les forces pour élire dans le calme et la sécurité retrouvés son nouveau président de la République."
Saluant "un succès pour la paix et la démocratie", François Hollande se rendra au Mali pour assister à la prise de fonctions d'Ibrahim Boubacar Keïta, a indiqué mardi l'Elysée.
Arrivé largement en tête du premier tour le 28 juillet, avec quasiment 40% des suffrages et 20 points d'avance sur Soumaïla Cissé, soutenu par 22 des 25 candidats éliminés, IBK faisait figure de grandissime favori.
Il est arrivé en tête presque partout, y compris à Gao, la plus grande ville du Nord, ce qui a convaincu Soumaïla Cissé de reconnaître rapidement sa défaite, selon un porte-parole de ce dernier.
Le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), l'un des trois principaux groupes islamistes qui s'étaient emparés du nord désertique, avait menacé de perturber le déroulement du scrutin. Mais il n'en a rien été alors que l'Onu est en train de déployer une force de maintien de la paix de 12.600 casques bleus, baptisée Minusma.
Un porte-parole du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA, séparatistes touaregs), Moussa ag Acharatoumane, a fait savoir qu'il n'y avait eu, pour le moment, aucun contact avec l'entourage du vainqueur.
"Nous sommes heureux que le Mali dispose d'un président élu et nous espérons qu'il nommera rapidement un gouvernement pour engager des pourparlers avec nous", a-t-il dit. "En l'absence d'accord, les choses pourraient dégénérer", a-t-il prévenu.
Avec Adama Diarra, Bertrand Boucey, Tangi Salaün et Jean-Loup Fiévet pour le service français