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Le président de la LNDH, Souleymane Camara à propos des questions des droits de l’Homme : “Les causes résultent de la mauvaise gouvernance qui a caractérisé la gestion de ce pays depuis plusieurs années”
Publié le samedi 30 mai 2020  |  Aujourd`hui
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Dans une interview qu’il a bien voulu nous accordée, le président de la Ligue malienne des droits de l’Homme (Lmdh) et non moins coordinateur du Réseau des défenseurs des droits Humains (Rddh), Souleymane Camara, évoque plusieurs questions relatives notamment à la situation des droits de l’Homme au Mali, la crise scolaire, les bavures policières dont nos populations sont quotidiennement victimes, les arrestations extrajudiciaires en cours dans notre pays, les conditions de détention dans les lieux de privation de liberté…
Aujourd’hui-Mali : Pouvez-vous nous brosser la situation des droits de l’homme au Mali ? Que préconisez-vous ?

Souleymane Camara : Le Mali traverse une période très critique de son histoire. La crise multidimensionnelle d’une ampleur sans précédent que traverse le pays depuis 2012 continue d’occasionner de violations massives de droits de l’Homme. C’est une crise née de la mauvaise gouvernance du pays et favorisée par l’état d’impréparation dans lequel notre armée nationale se trouvait pour défendre la nation. Cette situation est particulière parce que le peuple malien est agressé par plusieurs groupes terroristes à la fois.

Nous continuons d’assister malheureusement à ces violations des droits de l’Homme aux conséquences néfastes et diverses. L’on continue aussi d’enregistrer des morts d’hommes, des violences sexuelles, des mutilations et des destructions de biens, notamment des massacres de populations civiles innocentes principalement dans le Centre du pays commis par des groupes armés d’obédience djihadiste suivis de représailles des “groupes d’autodéfense” autoproclamés, des violences intercommunautaires où des villages entiers sont décimés ; des massacres de nos soldats dans différents camps et positions de l’armée malienne ; des assassinats, des prises d’otage et des enlèvements de véhicules ; de la pose d’engins explosifs improvisés ou de mines meurtriers par des groupes armés terroristes sur les passages des populations civiles et des soldats ; de l’augmentation du lot de réfugiés et de déplacés internes ; du terrorisme djihadiste ambiant et débordant.

A ce tableau sombre s’ajoutent malheureusement d’autres violations de droits humains recensés par-ci et par-là, à savoir les exécutions sommaires extrajudiciaires et des actes de torture imputés à l’armée nationale dans le Centre du pays ; les nombreuses bavures policières entrainant parfois des morts d’homme ; le lot de Maliens déplacés internes, victimes d’esclavage par ascendance principalement dans la région de Kayes ; les braquages multiples à l’échelle nationale ; les milices constituées en auto-défense qui se rendent justice ; les spoliations foncières à grande échelle qui entrainent des conflits meurtriers ; les enlèvements de bétail aux conséquences énormes ; le détournement des derniers publics qui influe négativement sur le développement harmonieux du pays, etc.

La situation actuelle du Mali reste extrêmement préoccupante. En effet, la panoplie de toutes ces violations des droits de l’Homme contemporaines se déroulent presque partout au même moment sur le territoire national. Le Gouvernement malien avec l’aide de la Communauté internationale multiplie des démarches et développe des stratégies pour trouver des solutions aux nombreux fléaux qui l’assaillent. Mais la tâche demeure très ardue quant à la mise en œuvre des stratégies et des différents accords signés.

Nous proposons et recommandons au gouvernement malien notamment le déploiement des forces armées et de sécurité sur toute l’étendue du territoire national avec tous les moyens adéquats pour assurer la défense et la sécurité des personnes et des biens ; le déploiement progressif de l’Administration sur tout le territoire national ; l’ouverture systématique d’enquêtes impartiales et indépendantes pour poursuivre les auteurs de violations de droits humains ; la lutte implacable contre le terrorisme ; la dissolution des groupes d’autodéfense ; le respect en toute circonstance de la Constitution du Mali. Ce qui inclut l’unité nationale et la préservation de l’intégrité du territoire national.

Que vous inspirent les dernières bavures policières ainsi que les violences qui s’en sont suivies ?

Les bavures policières sont quotidiennes au Mali. Elles ne sont pas forcément physiques. Visitez les unités d’enquête pour voir la réalité de tous les jours. Observez la circulation routière pour vous en rendre compte. Posez la question à n’importe quel usager de la circulation routière pour être édifié. Vous allez vous rendre compte que la corruption existe sur tous les cordons routiers du Mali sans exception. Ce sont des pratiques déshonorantes qui ternissent l’image de la police nationale et n’honorent point notre pays et ses autorités qui restent étonnamment passives.

A côté de ces violations de droit de l’Homme quotidiennes, l’on a recensé, ces derniers temps, les cas de certaines familles maliennes qui ont reçu des gaz lacrymogènes lancés par la police durant le couvre-feu nocturne consécutif à la maladie à Coronavirus. Il en est résulté morts d’homme et des blessés dont nous disposons des témoignages. Certains évènements violents étaient aussi liés à la contestation du résultat des législatifs proclamés par la Cour Constitutionnelle. Il y a eu également usage excessif d’arme à feu par la police malienne agissant comme à l’américaine et qui a causé récemment des morts, notamment à Kayes. En son temps, par communiqué, nous avons dénoncé, condamné ces violations de droit et appelé au calme la population de Kayes meurtrie et révoltée par ces balles mortelles de la police. Ces violences policières à répétition doivent interpeller les autorités maliennes à remettre en cause le mode de recrutement à la police nationale, la qualité de la formation dispensée en son sein ainsi que la politique ou la stratégie de dotation en arme individuelle des agents de police.

Quel regard avez-vous sur la crise scolaire qui secoue notre pays depuis deux ans ?

Le droit de grève est constitutionnel au Mali. Il est encadré par la loi. Le droit à l’éducation l’est également. Il y a eu déséquilibre ou mauvaise application entre droits complémentaires et pas forcément contradictoires. Ils peuvent s’exercer concomitamment dans le respect des intérêts de toutes les parties car ils sont interdépendants. La crise scolaire qui a assez duré est née de la non-conciliation de ces deux droits. Nous appelons solennellement le Gouvernement malien aux respects des engagements signés avec les enseignants et à la sauvegarde de leur dignité.

Peut-elle être considérée comme une violation des droits de l’Homme ?

Le droit à l’éducation est garanti par la constitution du Mali ainsi que toutes les conventions y afférentes, signées et ratifiées par le Mali. Constitue sans aucun doute, une violation de droits, le non-respect du droit à l’éducation. L’éducation est une chose à laquelle il faut s’attacher fermement. Elle est le pilier et le socle pour assurer le développement d’une nation. Les Maliens tiennent à l’éducation de leurs enfants et au développement de leur pays. Mais ayons toujours à l’esprit le cas de milliers élèves maliens privés d’école à cause de l’insécurité endémique qui sévit principalement dans le Nord et le Centre du pays. L’Etat malien et la communauté internationale sont interpellés pour trouver une solution définitive à cette situation inqualifiable.

Quelle lecture faites-vous des récentes arrestations extrajudiciaires ?

Nous avons toujours décrié les arrestations extrajudiciaires au Mali. Dans nos différents rapports soumis au Rapporteur Spécial des Nations Unies, nous avons toujours appelé à la judiciarisation de la Sécurité d’Etat pour endiguer cet inquiétant phénomène qui prend de l’ampleur.

Etes-vous satisfait des conditions de détention dans les lieux de privation de liberté ?

Les conditions de détention dans les lieux de privations de liberté ne sont pas satisfaisantes au Mali. Nous avons eu l’occasion de les visiter, de les documenter et de proposer des solutions d’amélioration à travers des missions organisées avec la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) dont je faisais partie en tant représentant des organisations de défense des droits de l’Homme.

Certes l’Etat malien s’évertue pour changer la situation matérielle existante par la construction de nouveau centre de détention, mais de sérieuses violations de droit de l’Homme perdurent par la lenteur du système judiciaire malien dans le traitement des dossiers judiciaires et par des abus avérés, très souvent perpétrés par des gardiens de ces lieux de privation de libertés.

Pouvez-vous nous expliquer les causes principales des différentes violations des droits de l’Homme et leurs répétitions ?

Les causes des violations des droits de l’Homme sont profondes et multiples. Elles résultent de la mauvaise gouvernance multiforme qui a caractérisé la gestion de ce pays depuis plusieurs années. De nos jours, les violations des droits de l’Homme sont commises à une plus grande échelle d’où la difficulté d’y faire face avec diligence et efficacité. Elles sont le corollaire de la crise sécuritaire que traverse le pays. Les enquêtes ne sont pas souvent suivies de poursuites judiciaires. Il existe aussi un sentiment d’injustice généralisé au sein de la population malienne qui pense à bon droit à une justice sélective, à la perpétuation de la culture de l’impunité. Nous avons assisté à la libération de présumés terroristes sans jugement. Des vies humaines perdues sont souvent sacrifiées au nom de la réconciliation nationale car les auteurs d’exactions et de graves violations de ces droits humains demeurent en liberté. C’est le cas de nos vaillants soldats ayant perdu la vie dans la défense de la patrie à Aguelhok, des bérets rouges et bien d’autres militaires qu’il ne faut jamais oublier.

L’on peut évoquer aussi l’institutionnalisation de la Commission, Vérité, Justice et Réconciliation (Cvjr) en passant par l’adoption de la Loi d’Entente nationale où tout semble être planifié pour faire échapper ceux qui se sont rendu coupables de graves violations de droits humains au Mali. A ce propos, la Cvjr qui est la justice transitionnelle à la malienne est budgétivore et inefficace dans son état actuel. L’énorme budget bureaucratique mis à sa disposition aurait dû servir au dédommagement des victimes que nous avons personnellement vu souffrir de manque criard de ressources pour se nourrir, se soigner, se loger et compenser ou soulager leurs énormes et indicibles peines.

En un mot, la répétition de ces violations de droits de l’Homme est due aux mauvais choix politiques, à la mauvaise gouvernance du pays et à l’inefficacité de la justice malienne à poursuivre les présumés auteurs. La question du dédommagement intégral des victimes reste d’actualité.

Selon vous, les délais de garde à vue sont-ils respectés dans les unités d’enquête ?

Le délai de garde à vue n’est généralement pas respecté au Mali, en violation de la constitution qui dispose qu’il est de 48 heures. La situation risque de perdurer à cause du laxisme des juges quant à son observation stricte et l’absence de sanction de la hiérarchie à l’endroit à des officiers de police judiciaire coupables de violations de ce droit constitutionnel de délai de garde à vue fixé à 48 heures. Le non-respect de délai légal profite aux forces de sécurité pour exercer des pressions et pratiquer la corruption. Nous tenons aussi à vous signaler que ces lieux dits unités d’enquêtes sont généralement insalubres et mettent en danger la vie des personnes interpellées.

Nos populations sont quotidiennement victimes de violences policières, que fait votre organisation pour mettre fin à cette situation ?

Je puis vous signaler un cas palpable, après une mission d’enquête conduite par la Cndh composés d’éminents commissaires dont je faisais partie. Par le compte et pour le nom des organisations de défense des droits de l’Homme que je représentais au sein de cette mission, je suis intervenu lors de l’audience accordée par le directeur général de la Police nationale pour qu’on affiche et fasse respecter au sein des commissariats du pays le coût des amendes, les frais d’établissements des documents etc. Le directeur général de la Police nationale a tenu parole et y a donné suite.

En dehors de cela, nous avons été appelés à défendre de nombreuses causes, à documenter de nombreuses violations des droits de l’Homme, à déposer d’innombrables rapports, à sensibiliser, à faire des plaidoyers et des lobbyings, à organiser des marches et des meetings pacifiques, à diffuser et à publier, à secourir des victimes de violations de droits humains et à assurer leurs défenses devant les juridictions compétentes tout en soutenant leurs dédommagements effectifs. Ce sont des combats quotidiens menés au Mali, à l’échelle continentale et internationale. Ce qui est notre raison d’être principal.

Votre mot de la fin ?

Notre cher Mali fait face à des difficultés énormes. Apportons tous notre contribution positive et salutaire pour la sécurisation et la stabilisation du Mali. Notre ambition est de faire du Mali un véritable état de droit où règnent la paix et la justice sociale.

Réalisée par Boubacar PAÏTAO
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