Déjà éprouvé par une guerre intestine qui n’a pas encore dit son dernier mot, désormais pris à la gorge par cette calamité sanitaire qu’est le nouveau Corona virus, le Mali n’a pas encore fini de voir son ciel s’éclaircir. Et pour cause ! Depuis 2012, le pays est dans un état de pourrissement avancé qui a dangereusement fragilisé ses fondations et fondements : coup d’Etat le plus farfelu de l’histoire du monde en mars 2012, occupation du Nord par des hordes de barbares venues de tous les coins du monde et leurs supplétifs locaux, délestages intempestifs d’électricité, tueries quotidiennes au centre du pays, crise scolaire rampante, chômage, crise morale. Et j’en oublie volontiers !
Aucun observateur honnête ne peut nier les revendications légitimes du peuple malien. Si la plus grande responsabilité du chaos malien peut et doit-être attribuée à une crise de leadership, nous, citoyens aussi avons notre part de responsabilité. L’incivisme dans le pays dépasse l’entendement. Nous sommes 20 millions de Maliens et autant de Présidents et/ou autres institutions. Avec l’avènement des réseaux sociaux, toute analyse qui va à l’encontre de la pensée unique et populaire est lynchée et crucifiée sur la place publique. Est hissé au rang de héros celui qui aura écrit une encyclopédie d’injures grossières, surtout à l’encontre des dirigeants taxés de voleurs, de renégats, d’affairistes… Loin de moi l’idée de défendre qui que ce soit puisqu’à preuve du contraire, je ne suis dans aucun parti politique. Mais, s’il est vrai que nous sommes dans un pays démocratique, le pouvoir n’a pas besoin de tyranniser le citoyen pour que ce dernier sache qu’il a des droits, mais aussi des devoirs.
Au milieu de ce tohu-bohu innommable et cette eau trouble qu’il convient d’assainir et de contenir sous peine que le déluge nous emporte tous, les pêcheurs en eau trouble tiennent l’occasion rêvée d’assouvir leur dessein maléfique. Sinon, comment comprendre que dans un tel contexte des personnes responsables appellent la foule à prendre d’assaut un édifice déjà fissuré, brinquebalant et aux fondations dangereuses fragilisées par tant d’épreuves ? Il n’est point besoin d’être un brillant esprit pour comprendre que la grande manifestation convoquée le 5 juin prochain à Bamako par la Coordination des mouvements de soutien à l’imam Mahmoud Dicko (CMAS), en association avec le Front pour la Sauvegarde de la Démocratie (FSD) et le mouvement Espoir Mali Koura (EMK), n’a d’autre dessein que d’asséner l’estocade finale à un pouvoir mal en point. Cette association de circonstance n’exige rien moins que « la démission du Président de la République ».
Si les organisateurs de cette manifestation de tous les dangers se cachent derrière la mauvaise gouvernance pour passer aux actes, il est loisible même au malvoyant de subodorer l’ultime charge que le camp de la contestation voudrait donner contre la citadelle IBK, ou Mali, en piteux état. S’ils franchissent le rubicond, ce sera probablement le pas de trop dans la lente descente aux enfers de notre pays. Est-ce de cela dont le pays a besoin aujourd’hui ? Il ne m’appartient pas de donner une réponse en lieu et place de mes concitoyens qui sont les mieux placés pour décliner objectivement leurs priorités du moment.
Quelque soit l’angle sous lequel on appréhende la situation, on débouche sur le même constat : au propre comme au figuré, ce seront les Maliennes et les Maliens qui paieront le prix fort. En pleine pandémie de COVID-19, rassembler des milliers de personnes déchaînées équivaudrait à dérouler le tapis rouge au virus qui se propagerait et plongerait le pays dans le chaos.
Dans l’hypothèse fort improbable que le Président de la République accepte de remettre sa démission, on est face à une série de graves interrogations. Les « conjurés » accepteront-ils que le tout nouveau jeune Président de l’Assemblée nationale assure l’intérim et organise les élections ? Non, parce qu’ils ont déjà pesé l’Honorable Timbiné à la plume. Accepteront-ils de confier la responsabilité du pouvoir à un chef de parti pour assurer la transition ? Non, parce qu’il n’y a pour eux aucune raison de céder le pouvoir à quelqu’un d’autre. S’installeront-ils aux commandes du pays ? Il ne déplairait sûrement pas à l’imam Dicko d’arpenter les couloirs de Koulouba. Avec un islamiste dans la place, qu’adviendra-t-il de la sacro-sainte laïcité du Mali ? Depuis tout le temps qu’il se rêve dans le rôle de Président de la République sans passer par la case élection, l’iman Dicko serait le dernier à mettre bas un régime et à ne pas pouvoir se baisser pour ramasser le pouvoir à ses pieds.
Ceux qui ont vécu l’occupation dans les régions nord du Mali entre 2012 et 2013 savent de quoi sont capables les islamistes moyenâgeux et leurs affidés zélés. Sommes-nous si mal lotis qu’il nous faut choisir entre la peste et le choléra ? Malheureusement et de la manière la plus triviale qui soit, « quand on emprunte le chemin de « je m’en fous », on se retrouve dans le village de si « j’avais su ».
Drissa Kanambaye
Communicologue – Chercheur
Université Catholique de Louvain (Belgique)