Avec un objectif de production de plus de 800 000 tonnes, la campagne cotonnière 2020-2021 s’annonce sous de mauvais auspices et risque fort d’accoucher d’une souris. Et pour cause, déjà, face à la chute spectaculaire du prix du kg du coton à 200f et la hausse du coût du sac d’engrais à 18000F, les producteurs de l’or blanc, indignés, menacent de sceller les serrures des magasins de semences et de se passer de la culture du coton.
Au banc des accusés, la Compagnie malienne pour le développement des textiles (Cmdt) est pointée du doigt pour sa mauvaise communication et d’avoir caché toute la vérité aux paysans sur la commercialisation du coton et la subvention des intrants. De ce fait, prise au piège dans son propre jeu, la Cmdt se retrouve aujourd’hui dans une situation très inconfortable.
La réalité, c’est que la holding, considérée comme le fleuron du secteur agricole et réputée d’être le symbole de la souveraineté économique du pays, est au bord du gouffre. A cause du cumul d’impayés estimés à plus de 100 milliards de nos francs que le Gouvernement lui doit pour avoir garanti depuis 4 ans à la Bnda, les subventions des intrants agricoles, la Cmdt veut se rabattre sur les producteurs du coton pour assurer sa survie. C’est pourquoi, elle continue de berner les paysans en menant une campagne de sensibilisation dans ses différentes filiales. L’objectif, c’est de mettre les paysans devant le fait accompli au moment des récoltes. La mission conduite, samedi 30 mai dernier, par le PDG de la Cmdt, Pr Baba Berthé, dans la zone Ohvn (Office de la haute vallée du Niger) de Ouélessébougou, sous contrôle de la filiale centre de Fana, en dit long. Le Pr Berthé était accompagné de la DGA de l’Ohvn, Mme Diallo Mah Koné, du président par intérim du C-Scpc (Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton), Bakary Dembélé. Annoncée et reportée à plusieurs reprises, cette rencontre du PDG de la Cmdt avec les producteurs de coton de la zone Ohvn de Ouélessébougou a finalement eu lieu ce jour-ci dans la capitale du Djitoumou. Mais, elle n’a pas été populaire. Puisqu’elle était attendue de pied ferme par les paysans, la délégation de Bamako a joué la carte de la prudence. C’est ainsi qu’en présence des autorités locales, la réunion s’est hélas voulue plutôt restreinte. Seuls quelques représentants de la C-Scpc de 5 secteurs ont été conviés pour parler au nom des centaines de producteurs, alors que les gens pensaient à un grand rassemblement. Il s’agit notamment de Ouélessebougou, Gouani, Dangasso, Sirakorola, et Koulikoro. En effet, sur les 30000 tonnes de production cotonnière assignées à l’Ohvn, 7000 sont du ressort de la zone de Ouélessébougou. C’est pourquoi, au delà d’un exercice habituel qui consiste à échanger avec les paysans sur la stratégie de mise en œuvre pour l’atteinte des objectifs de la campagne 2020-2021, cette mission délicate du patron de la Cmdt avait un caractère spécial. Car, il s’agissait surtout pour le Pr Berthé d’éteindre le feu en apportant des arguments solides pour convaincre les paysans sur les raisons qui motivent la baisse du prix du kg du coton sur le marché et la hausse du prix de l’engrais. Cette situation continue de créer la confusion et l’incompréhension dans le milieu rural. Pourtant, le temps presse. Et les semences du coton, selon les techniques agricoles, s’étendent du 1er au 30 juin. Or, la pluie n’attend personne. Le mal semble déjà fait selon des acteurs et producteurs rencontrés.
Le mea culpa de l’Ohvn
Après les mots de bienvenue du représentant du conseil communal de Ouélessébougou, la DGA de l’Ohvn s’est aussitôt mise à jeter des fleurs aux producteurs de coton de la zone. Selon elle, malgré la baisse de la pluviométrie pour la campagne 2019-2020, la production a été au rendez-vous. S’agissant de la baisse du prix du coton de la campagne 2020-2021, Mme Diallo Mah Koné a consolé les paysans en ces termes : « Le changement vient de Dieu ». Invitant les producteurs de coton à la retenue, elle les a encouragés à respecter les bonnes pratiques agricoles préconisées par les encadreurs.
La Cmdt dos au mur, le PDG en sauveur de meubles !
C’est par des excuses présentées aux producteurs de coton que le PDG de la Cmdt a introduit son speech. Tout comme la DGA de l’Ohvn, Pr Baba Berthé a rendu un vibrant hommage aux producteurs de coton de la zone Ohvn. Abordant difficilement le vif du sujet, raison de la rencontre, il a laissé entendre : « C’est avec autant de pitié et d’amertume dans le cœur que nous venons à la rencontre de nos proches pour parler de la baisse du prix du coton. Cette mission est une obligation. Jamais, ce n’est pas notre souhait que les prix des engrais soient montés ainsi. Nous sommes tous des fils de paysans ». En ce qui concerne les difficultés liées à la gestion des engrais, le Pr Berthé a d’abord soutenu que le paysan en général et le producteur du coton en particulier a droit au soutien. Ensuite, il a reconnu que l’engrais destiné au monde paysan se retrouve souvent ailleurs. Toutefois, il a rappelé que depuis 11 ans, l’engrais est subventionné par le gouvernement. Cependant, comme dans un cours magistral, le Pr de droit constitutionnel a expliqué : « Ni la Cmdt ni l’Ohvn n’achète l’engrais pour les producteurs de coton. C’est le GIE ; composé de professionnels du secteur du coton qui le commande ». A cet effet, il a affirmé que depuis 4 ans, la Cmdt qui garantit et qui supporte le montant de la subvention des engrais auprès de la Bnda n’a encore été remboursée. A l’entendre, c’est une question de plus de 100 milliards de FCFA. Or, selon lui, à cause de la crise sécuritaire au nord, cette année, le gouvernement a annoncé qu’il n’a que 10 milliards de FCFA pour aider les paysans. A l’entendre, ce montant ne peut pas permettre aux producteurs de se procurer le sac de 50 kg subventionné à 11000f en vigueur. Devant cette situation, il a noté que la Cmdt ne peut plus continuer à garantir cette subvention. C’est pourquoi, le Pr Berthé a souligné que cette subvention, au lieu qu’elle soit utilisée pour subventionner l’engrais, elle sera versé sur le prix du coton à la production. Ce qui signifie le prix du coton sera ajusté à 215f FCFA au moment de sa vente aux producteurs maliens. Il a précisé que la subvention change de l’engrais pour être versé sur le prix du coton comme bonus. A ce niveau, sans ambages, le PDG de la Cmdt a reconnu que les paysans devraient être informés de cette situation au plus tard en fin avril, comme le recommande les textes.
Toutefois, il a défendu que la Cmdt ne fixe pas toute seule le prix du coton. A ce titre, Baba Berthé a fait savoir que le prix dépend du marché mondial qui, malheureusement, a été fortement secoué par la pandémie du coronavirus. Selon lui, c’est cette pandémie qui a fait chuter le prix du coton. Il s’est également rabattu sur le conflit commercial éclaté entre les Chinois et les Etats-Unis. A titre d’exemple, il a expliqué que tout ce qui était vendu à 1000f est revenu à 750f, sinon moins. En sauveur de meubles, Pr Berthé a déclaré : « La Cmdt ne peut rien refuser aux paysans. Aujourd’hui, elle n’a pas la capacité ». Dans sa quête de la clémence des producteurs de coton, il a confessé : « Nous ne sommes pas venus vous obliger à cultiver le coton, mais cette situation n’arrange personne. Si vous m’écoutez, vous allez cultiver le coton ». Espérant l’indulgence et la bonne compréhension du monde cotonnier, l’ancien ministre de l’Agriculture a recommandé la réduction des terres cultivables pour renforcer le rendement à l’hectare. Baba Berthé a mis à profit ce cadre d’échange pour souligner que la Cmdt ne gère pas le fonds de stabilisation destiné à soutenir les producteurs de coton. A le croire, ce fonds est géré par le ministère des Finances et le GIE des producteurs de coton. « Cette année, il n’y a rien dans ce fonds », a-t-il révélé.
La C-cscp entre complicité et menaces
Se montrant juge et partie dans cette affaire, le président par intérim de la C-Cscp, Bakary Dembélé, a rappelé que le conflit ne résout rien. Comme pour tordre la main à ses pairs producteurs de coton de Ouélessébougou et jouer le jeu de la Cmdt, il n’a pas hésité à proférer des menaces en ces termes : « Celui qui refuse de cultiver le coton sort du cadre du règlement intérieur de notre organisation. Celui qui ne produit pas le coton ne peut pas parler de subvention ». Et M. Dembélé de rectifier le tir : « C’est difficile, mais si on agit avec discernement, le sourire est à venir ».
Les vérités et les doléances des paysans
A la suite des propos liminaires des visiteurs, la parole a été donnée aux hôtes. Comme pour freiner leur élan et fuir la pluie de questions, l’organisation a fixé le nombre des interventions à 5 personnes sur la cinquantaine d’invitées. Malgré cet état de fait, les intervenants qui se sont déclarés comme des messagers de leur base ont exprimé des préoccupations, présenté des doléances et tenu le langage de la vérité. Selon Dandio Diarra de Koulikoro, face à tout ce que le pays connait aujourd’hui et la place du coton dans l’économie, les autorités devraient tout faire pour qu’au moins le prix des engrais soit stable. « Cet effort est à la portée de l’Etat », a-t-il juré. De son côté, Lassana Doumbia de Dangassa a lancé : « Il faut qu’on se dise la vérité. La Cmdt devrait plutôt venir bien avant pour nous expliquer la situation avant de laisser les rumeurs et la confusion gagner le terrain. Pourquoi la Cmdt a attendu tout ce temps sans nous informer de ce qui nous concerne les premiers ? Si elle ne se reproche rien ou si elle ne cache rien, comment peut-elle nous traiter de la sorte ? Il faut que la Cmdt parle un autre langage ». Devant les officiels, M. Doumbia n’a pas eu la langue de bois pour notifier que c’est compliqué et très difficile pour les paysans d’aborder la saison sur cette base. Prenant le micro, Samba Coulibaly de Sirakorola a lui aussi accusé la Cmdt d’agir en retard. Selon lui, sans les producteurs, il n’y a de coton. Pour ce faire, il a estimé que l’arrivée du coronavirus ne justifie pas l’augmentation du prix de l’engrais. Dans son argumentaire, il a affirmé que l’an passé, sans coronavirus, on avait essayé d’augmenter le prix des engrais. « En allant dans ces conditions à la campagne, le paysan n’aura rien. Les calculs l’attestent. L’Etat doit faire un effort, sinon rien n’est rassurant. On va rendre compte à la base. On ne peut pas nous obliger à cultiver le coton », martèle-t-il. Abondant dans le même sens, Chaka Fomba de Gouani a noté que cette rencontre a vraiment accusé du retard. « Il ne fallait pas attendre la tombée des premières pluies pour informer les producteurs. Si on cultive dans ces conditions, nous serons piégés par les charges », projette-t-il. Qui va payer à notre place, s’est-il interrogé. Cette campagne est déjà boycottée par la mauvaise information, a-t-il craché. A son tour, le président de l’Union des producteurs de coton de Ouélessébougou, Moussa Samaké, a soulevé la question de la part des paysans des fonds alloués au secteur privé pour lutter contre la Covid-19. Selon lui, avant même d’aller au champ, le paysan voit déjà sa perte. A l’entendre, en 2004, il y a eu une situation similaire et jusqu’à présent des coopératives ne se sont pas remises des séquelles. Le hic est que les paysans passent toute la saison sèche à acheter le sac de l’engrais non subventionné chez Toguna Agro Industries à 16000 FCFA. Selon lui, les producteurs de coton ont directement compris qu’on veut se sucrer sur leur dos. « Les décideurs n’ont pas songé à la situation des paysans », a-t-il ensuite déploré. M. Samaké a indiqué que tout ce que la Cmdt avance comme argument n’est pas la vérité, mais que son action s’inscrit dans le seul objectif de berner les producteurs pour les amener à cultiver le coton. « Ces manœuvres mettent les semences en retard. Le coup est déjà parti. Quoi qu’il arrive, le taux de la production de cette campagne sera faible ». De son analyse, il ressort qu’aujourd’hui, la culture du coton n’est pas un jeu de hasard. Il a ensuite lancé que les paysans ont désormais les yeux ouverts. MS poursuivra en faisant comprendre que les choses ne seront plus comme avant. Et d’ajouter : « En tout cas, les propos de la Cmdt ne nous rassurent pas autant. Aujourd’hui, la politique du Mali va du coq à l’âne. Nous demandons aux autorités de revoir leur position. On peut comprendre que le prix du coton sur le marché mondial échappe au contrôle des autorités, mais de nos jours les producteurs savent bien que l’Etat peut décider de la baisse du prix de l’engrais pour soulager le monde rural. Toute la question est là. A noter que tous les 5 représentants des producteurs de coton ont sollicité le gouvernement de revoir la subvention annoncée de 15f à 50f pour équilibrer les choses.
Les visiteurs tentent de rassurer !
En réponse, le PDG de la Cmdt est revenu à la charge pour jurer qu’il s’agit d’éviter que la holding ne s’effondre. « Si la Cmdt et l’Ohvn tombent, il n’y aura plus de coton », a soutenu Pr Berthé. Toutefois, il a maintenu que la Cmdt va continuer à plaider la cause des paysans pour l’augmentation de la subvention. Aussi, a-t-il affirmé que les fonds annoncés dans le cadre de la Covid-19 ne sont pas encore tombés. Il a rassuré que dès que c’est effectif, les producteurs de coton auront leur part.
En sa qualité de représentant de l’Etat, le sous-préfet de Sanankoroba, Mahamadou Hamidou, assurant également l’intérim de la sous-préfecture de Ouélessébougou, a pour sa part jugé salvatrice l’initiative du PDG de la Cmdt. Selon lui, cette mission de sensibilisation est indispensable pour la reconquête de la souveraineté agricole.
Jean Goïta, de retour de Ouélessébougou