Tout le monde le pense, le dit, l’écrit et, en quelque sorte, le souhaite : le monde d’après la pandémie du nouveau coronavirus ne sera plus le même. Là-dessus, le doute n’est pas permis. Qu’on le veuille ou non, qu’on l’accepte ou non, l’après-coronavirus inaugurera une ère nouvelle au cours de laquelle beaucoup de choses vont changer, en bien comme en mal. Mais en adéquation avec notre nature profonde et nos aspirations légitimes, nous espérons tous que cette nouvelle transformation qui est déjà en marche célèbrera le règne du Bien sur le Mal. Non pas que, par magie, notre monde se sera vidé de toute sa substance maléfique pour se régénérer, mais que l’impact de la pandémie aura provoqué un électrochoc tel que l’Homme prendra conscience de son impuissance et de sa vulnérabilité face à la nature et, en conséquence, œuvrera résolument à redessiner ses rapports à son prochain, au pouvoir, à l’argent, à son environnement ainsi qu’à toutes les grandes problématiques du moment et celles à venir.
Cette fin de deuxième décennie du XXIème siècle sera donc celle des grands questionnements philosophiques, des bouleversements économiques et, bien entendu, de notre résilience à concevoir un nouveau multilatéralisme face aux replis identitaires, à l’égoïsme, au thèses racistes, suprématistes, complotistes… dont le chantre se trouve être Donald Trump, l’homme qui préside aux destinées de la nation la plus puissante au monde.
Soyons prudents dans les propos : la pandémie n’est pas encore derrière nous. Nous la vivons encore et toujours, et elle nous frappe de plein fouet. Au regard de son coût humain actuel – près d’un demi-million de décès en moins de six mois -, il n’est point besoin d’être une sirène du malheur pour pronostiquer le champ de ruines qu’il provoquera d’ici la fin de l’année. Ironie du sort, les pays occidentaux, ceux qui sont les plus développés, qui disposent de plus des ¾ des richesses actuelles, qui ont les plateaux techniques les mieux équipés et dont les systèmes de sécurité sociale sont les plus rodés, ces pays sont curieusement ceux qui paient le plus lourd tribut à la pandémie.
Il y a forcément quelque chose qui échappe à notre entendement et qui explicite l’extrême fragilité des pays développés face à cette terrible pandémie. Par contre, sans qu’aucune thèse scientifique n’étaye jusque-là les raisons de sa relative bonne tenue de route face à la pandémie, l’Afrique s’en tire à meilleur compte et joue à fond la carte du continent le moins touché par le virus. Mais comme le dit l’adage que nous connaissons tous, « gardons-nous d’aller présenter précipitamment les condoléances à ceux d’en face en plein feux de brousse ». Laissons aux scientifiques le soin de nous procurer les bonnes réponses !
Dans le monde développé, les faillites seront spectaculaires et les conséquences désastreuses. Des grands comme des petits ne se remettront jamais du choc ; des vies seront à jamais ravagées et des pans entiers de l’économie mettront de longues années à se relever. Dans le même temps, çà et là, des conflits sociaux à l’ampleur variable d’un pays à l’autre, essouffleront les forces en présence déterminées à prendre un nouveau départ à la lumière du passif de la crise sanitaire. En somme, comme nous l’écrivions plus haut, des bouleversements profonds sont à venir et de leur gestion dépendra la configuration du nouveau monde.
Au Nord comme au Sud, des sommes absolument faramineuses seront injectées dans les économies en lambeaux pour créer les conditions d’une reprise la plus robuste qui soit. L’Europe des 27, le bloc le plus homogène, frôle déjà les 800 milliards d’Euros en termes de réaction d’urgence face à la pandémie du COVID-19.
Aux Etats-Unis d’Amérique, déjà à la fin mars, un gigantesque plan d’aide à l’économie doté d’une enveloppe de 2000 milliards de dollars était en débat au Sénat. Avec le temps, ces chiffres seront corrigés pour garantir les conditions d’une reprise robuste et durable de sorte que personne ne reste sur le carreau.
Partout, les Etats, les entreprises, les fonds de pension, les philanthropes…, ont sorti la calculette pour manipuler les ordres de grandeur qui donnent le tournis.
Comparaison n’est pas raison, un gigantesque Plan Marshall à l’échelle mondiale est en train de se mettre en place, comme à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour les petits pays comme les nôtres, de formidables opportunités vont se présenter de pouvoir capter des ressources placées dans différentes cagnottes au titre des coopérations bilatérale et multilatérale. Pour sa part, le secteur privé pourra lui-aussi profiter de cette manne abondante pour apporter sa pierre à la construction d’un avenir que nous espérons tous meilleur.
Pour les uns comme pour les autres, l’argent ne tombera pas ciel dans une sébile tendue ; il sera gagné par ceux qui seront les plus aptes à le capter en ayant fait, en amont, un travail remarquable d’anticipation, de préparation et de lobbying.
On espère de l’après-coronavirus qu’il sera une période au cours de laquelle les Etats mettront à plat les vrais problèmes de société, engageront les réflexions et les réformes les plus performantes de nature à mettre l’humanité à l’abri d’un retour de bâton qu’on n’ose même pas envisager tant il pourrait être dévastateur voire fatal à notre espèce.
Une chose est sûre, petits comme grands, nous sommes tous les passagers d’un même bateau et la crise sanitaire aura eu le mérite de révéler à quel point nous sommes fragiles face à l’infiniment petit. La conviction est désormais faite que, en situation de paix comme de crise, les Etats et les sociétés n’ont pas d’alternative crédible en dehors des réponses collectives mieux préparées et coordonnées. Les arrogances des uns doivent se rabaisser au niveau de l’humilité des autres, de sorte à créer les conditions d’un cheminement harmonieux ne laissant personne en rade. On le savait déjà depuis Raoul Follereau (1903-1977), mais on le redécouvre à nos dépens : « Personne n’a le droit d’être heureux tout seul ».