Ces matières sont exportées en Europe pour être industriellement transformées en chaussures, vêtements, ceintures et autres objets de luxe
Moussa Diarra, la cinquantaine révolue, vit à Djicoroni-para, en Commune IV du District de Bamako. En temps normal, il collecte des bidons d’huile vides auprès des boutiquiers pour les revendre aux ménages en parcourant plusieurs quartiers à vélo. Mais pendant les fêtes musulmanes (Ramadan et Tabaski), il achète les peaux de bœufs ou de moutons pour les revendre aux cordonniers et autres artisans travaillant au Grand marché de Bamako.
Le vieux Cheikna Sylla, tanneur de peau, fait partie des clients de Moussa. Propriétaire d’un magasin au Grand marché, il explique que chaque année, après la fête, son magasin est pris d’assaut par des revendeurs des peaux et cuirs. Les peaux larges sont cédées entre 4.000 à 5.000 Fcfa l’unité. Les moyennes coûtent entre 2.000 à 3.000 Fcfa, contre 1.000 à 1.500 Fcfa pour les plus petites.
Au fur et à mesure que nous les achetons, explique ce polygame et père de 14 enfants, les peaux sont mises dans des sacs de 50 et 100 kg. Des conducteurs de tricycles et de motos à deux roues les transportent à destination des vendeurs ambulants. Ceux-ci achètent les sacs de peaux dont le coût variant en fonction du poids. Les tarifs de sacs qui pèsent lourds oscillent entre 6.000 à 7.000 Fcfa. Les poids intermédiaires varient entre 4.000 à 5.000 Fcfa. Les sacs qui ne pèsent pas lourds sont cédés à 3.000 Fcfa.
Cheikna Sylla dit être dans ce business depuis plus de 40 ans. Il trie les peaux qui sont en très bon état. Celles qui sont déchirées ou qui portent de traces de couteaux, sont ramassées par des femmes qui vont les revendre, précise le cordonnier. «Elles enlèvent les poils et les matières grasses des peaux avant de les revendre à des prix abordables aux cordonniers locaux», confie-t-il.
Les vendeurs ambulants et leurs partenaires, généralement des Nigérians ou des Ghanéens, importent les peaux vers le Maroc ou le Nigeria où elles sont vendues à des prix exorbitants. Au Ghana et au Nigeria, la peau du bovin est essentiellement utilisée dans l’alimentation comme un ingrédient très riche en protéine. D’autres peaux sont transformées sur place pour faire des chaussures, des ceintures, des sacs pour femme.
Le surplus est exporté en Europe (Italie ou Espagne) pour servir de matière première pour les industries de peaux et cuirs. Les peaux des ovins et des caprins sont principalement destinées aux usines européennes, notamment espagnoles. Le Nigeria dispose aussi d’un plateau industriel assez étoffé pour acquérir d’importantes quantités de peaux de bœufs pour alimenter ses industries en matière première. Des produits finis que nos commerçants exportent pour nous les revendre à des prix excessifs.
Avant d’être exportées, les peaux sont travaillées par un groupe d’individus au niveau de Rail-da. Comment procèdent-ils ? Pour en savoir davantage, notre équipe de reportage s’est rendue sur place le jeudi 28 mai 2020. Ici, des peaux sont exposées au soleil le long des rails. Sur place, nous avons trouvé un homme de nationalité nigériane. Grand de taille, il dévoile un pan de la technique de préparation et de conservation de la peau.
«Après avoir acheté les peaux chez les cordonniers, nous les faisons bouillir dans un grand récipient. Quelques minutes plus tard, nous les récupérons et les nettoyons à l’aide d’un couteau pour enlever les poils et autres impuretés. Après ces étapes, elles sont grillées pour enlever les résidus de poils. Pour la conservation et les autres aspects, nous utilisons quelques astuces», explique-t-il.
12 MILLIARDS DE FCFA- Après tout ce processus, les peaux sont emballées dans des sacs de 100 kg qui seront transportés au Nigéria ou ailleurs.
Toutefois, explique le quadragénaire, une partie de la marchandise est emballée dans des cartons pour être utilisée sur place. «J’utilise ces peaux pour en faire une sauce qui est vendue dans mon restaurant. Mes frères nigérians et les autres clients viennent se régaler à moindre coût», commente-t-il.
Ce travail exige, selon le ressortissant nigérian, beaucoup de courage et d’attention. «Le processus peut s’étendre sur une durée d’un mois. La concurrence est rude, nous sommes obligés de bien faire le travail pour gagner plus. Il existe aussi des gens qui, après la fête, viennent avec des peaux de mouton pour en faire des peaux de prière. D’autres souhaitent en faire des habits et accoutrements pour le monde du théâtre et du cinéma», dit-il.
Une technique visiblement rudimentaire qui pose la nécessité de création, de réhabilitation ou de perfectionnement de nos tanneries. Selon des informations remontant à 2017, notre pays compte six usines de prétraitement de la peau : quatre à Bamako, une à Ségou et une autre à Sandaré dans la Région de Kayes. Toutes ces unités produisent du «wet-blue » (bleu humide) qui est un produit semi-fini. Avant la privatisation des années 1990, les Nouvelles tanneries du Mali (ex-Tamali) faisaient de la finition. Il existait des ateliers de chaussures, de maroquinerie. Les nouveaux propriétaires ont fermé ces ateliers à cause des difficultés d’écoulement de leurs produits sur le marché local et sous-régional.
Le Mali est le deuxième producteur de cheptel de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) après le Nigeria. La production nationale en cuirs et peaux était estimée à plus de quatre millions dont 3,5 millions provenaient des ovins et caprins.
Selon des statistiques officielles, notre pays a exporté en 2011 environ 5,4 millions de kg de peaux et cuirs pour une valeur marchande de 6,1 milliards de Fcfa. En 2012, les exportations se sont élevées à 7,6 millions de kg rapportant à l’économie nationale 9,9 milliards de Fcfa.
En 2013, du fait de la crise politico-sécuritaire, le volume des exportations s’est quelque peu affaissé avec un peu plus de 6 millions de kg pour 9 milliards de Fcfa. La régression s’est étendue sur les résultats de 2014 également, avec seulement 4,9 millions de kg pour 6,814 milliards Fcfa. En 2015, les exportations des peaux et cuirs ont atteint une valeur marchande de 12 milliards de Fcfa.