Me Abdourahamane Ben Mamata Touré propose des solutions de sortie de crise
Dans une réflexion intitulée : “Comment sortir de la crise ?”, Me Abdourahamane Ben Mamata Touré, Avocat au Barreau malien, livre ses recettes de sortie de la grave crise multidimensionnelle qui secoue notre pays depuis près d’une décennie.
Selon lui, après la manifestation réussie du 5 juin 2020 organisée par la Cmas, le Fsd et Espoir Mali (Emk), il apparait nécessaire de réfléchir sur les modalités de sortie de crise. Et de poursuivre que l’erreur à ne pas commettre, c’est de stabiliser le système et procéder à la redistribution des cartes parce que la formule du partage du pouvoir politique est une mesure à court terme qui, au mieux, calmera les appétits politiques des formations politiques. Et cette méthode a été implémentée après le départ de Soumeylou Boubèye Maïga, à travers la signature de l’accord politique de gouvernance. “Aujourd’hui, force est de reconnaitre qu’il a atteint ses limites. Alors, doit-on reproduire le même schéma ? Je pense que non”, a-t-il répondu.
A ses dires, à la veille de la marche du 5 juin dernier, dans un communiqué, l’Untm, a affirmé ceci : “Aujourd’hui s’il y a nettoyage à faire, il s’agira de toute la classe politique, toute la vie associative, syndicale aussi, toute la vie religieuse, l’école, la santé, la culture pour une résurrection encore possible”.
De sa lecture, l’heure n’est pas au dépeçage du Mali par le partage du pouvoir politique. “Le partage du pouvoir politique est la plaie de notre démocratie, il prive les élections de sens. Cette pratique intervient toujours à la suite d’élections truquées, la musique est connue : truquage des élections, partage du pouvoir”, a-t-il indiqué.
A le croire, ce schéma bouche totalement l’horizon et cristallise l’impossibilité pour certains hommes politiques de ne jamais accéder au pouvoir, la méthode ferme également toute possibilité pour une personnalité indépendante, jeune ou femme d’accéder au pouvoir par la seule voie des urnes. “Macron a accédé au pouvoir parce que le processus électoral est transparent“, rappelle l’Avocat. Et de poursuivre que la crise actuelle est en grande partie une crise de la dévolution du pouvoir. “Alors que faire ? Traiter les conséquences ou s’attaquer à la cause causale ?”, s’interroge-t-il.
Ainsi, il s’est dit persuadé qu’il est temps de s’attaquer aux graves défaillances de la gouvernance, d’où résulte l’effondrement de l’Etat. “Il ne s’agit pas seulement de la gestion désastreuse des finances publiques, mais, bien plus profond encore, du fait qu’une apparente démocratie prive les institutions de toute légitimité dans l’opinion”, a-t-il précisé.
Les quatre propositions
A la question comment le faire ? l’Avocat propose, entre autres, l’élaboration d’un programme commun de gestion du pays sur la période de 2020 à 2023 ; la création d’un cadre de concertation des partis politiques et des forces vives en vue de l’identification et de l’élaboration des réformes institutionnelles ; la formation d’un bon gouvernement, gouvernement de technocrates ; le maintien de l’Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle.
Par rapport à sa première proposition, il dira que le président de la République doit prendre l’initiative de dialoguer avec les organisateurs du mouvement pour discuter de leurs revendications. Et d’ajouter que ces discussions doivent aboutir à l’élaboration d’un programme triennal sur la gestion des priorités du pays qui s’inspirera des recommandations du DNI et les propositions des organisateurs du mouvement. A cet effet, une commission sera mise en place pour faire la synthèse des différentes contributions. Aussi, une rencontre de haut niveau entre le Président et les organisateurs du mouvement doit sanctionner le document final car la gravité de l’heure implique que le président se mette en première ligne.
En ce qui concerne la création d’un cadre de concertation des partis politiques et des forces vives en vue de l’identification et de l’élaboration des réformes institutionnelles, il précisera que les forces vives et le Président doivent mettre en place un cadre permettant d’identifier et mettre en commun toutes les réflexions sur les questions institutionnelles menées par les formations politiques. Ainsi, poursuit l’Avocat, il faut reconnaitre que chaque parti, chaque organisation, a déjà travaillé sur les réformes politiques et institutionnelles. Donc, il faut simplement capitaliser toutes ces connaissances.
Sur la proposition de la formation d’un bon gouvernement, il a déclaré que le contexte et la nature de la crise obligent les Maliens à envisager des solutions originales. “Nous avons affirmé plus haut que le partage du pouvoir politique est la seule solution qui a toujours été envisagée. Or, le problème fondamental vient de toute la classe politique, les formations politiques ont toutes une responsabilité commune et revenir sur le partage du pouvoir revient à réinstaller le pays dans un nouveau cycle à travers le truquage des élections, le partage du pouvoir, la plaie de notre démocratie”, a-t-il martelé.
Un gouvernement composé de technocrates
Par ailleurs, il dira qu’il nous faut un gouvernement composé de technocrates, maitrisant parfaitement leur domaine de compétence, qui auront en charge l’atteinte des objectifs fixés par le programme commun de gestion du pays sur la période 2020-2023. A ses dires, cette mesure a l’avantage d’obliger le président de la République à être transparent sur ses objectifs et dissipe les soupçons relatifs à la volonté du maintien du pouvoir par le Président par personne interposée au-delà de 2023, notamment l’hypothèse de passer le pouvoir au fiston national.
Quant au maintien de l’Assemblée nationale et de la Cour constitutionnelle, il dira que son approche sur cette question est purement juridique. “Je ne nie pas la pertinence d’autres approches, mais je reste persuadé qu’il faut agir dans le cadre de la Constitution dont le préambule contient l’affirmation du peuple à construire un Etat démocratique”, a-t-il laissé entendre.
Car, dit-il, la dissolution de la Cour constitutionnelle et de l’Assemblée nationale est une mesure de déconstitutionnalisation qui peut avoir un impact fort sur le cadre de dialogue amorcé au centre et au nord du pays. “Juriste attaché au respect de la Constitution, je pense qu’il faut maintenir ces deux institutions avec toutes leurs faiblesses et les affaiblir dans leurs pouvoirs de sorte que le fait majoritaire ne puisse plus prévaloir pendant la gestion de cette crise”, a fait savoir l’avocat.
Dans son réquisitoire, il a laissé entendre que l’Assemblée nationale aura pour mission d’accompagner les mesures arrêtées par le cadre de concertation chargé des reformes sans possibilité de modification de fond, elle ne peut faire que des observations, suggestions et émettre son avis. Il en sera de même pour la Cour constitutionnelle dont le sceau est nécessaire pour finaliser le processus législatif.
“Cette période sera un formidable moment de refondation, sans partage de gâteaux. Ainsi, le terrain politique et institutionnel sera préparé avant de laisser les formations politiques déployer leur action.
L’astuce consiste à mettre en veilleuse les clivages politiques tout en refondant notre pays. Le Mali n’est pas condamné aux attentes toujours déçues et aux reculades dangereuses. Arriver à la reconstruction sans déconstitutionnaliser, telle est ma proposition de sortie de crise”, a-t-il conclu.