Accra, Berlin, Copenhague, Genève, Lagos, Londres, Lyon, Minneapolis Montréal, Nairobi, New-York, Paris, Toronto, Tokyo, Zurich, etc., partout des manifestants multicolores et intergénérationnels, à la mémoire de George Floyd, se mobilisent pour exiger du pouvoir américain, et du reste du monde, des réponses claires et efficaces contre l’injustice, la discrimination, le racisme, la haine de l’autre, etc. L’autre étant le différent et le semblable : l’homme, la femme, le juif, l’arabe, le noir, le blanc, le riche, le pauvre, le beau, le laid… La déshumanisation d’une partie de la société est refusée et s’exprime mondialement en dépit des gestes barrières contre la diffusion du Coronavirus.
8 mn 46 secondes, c’est le temps que George Floyd (46 ans) a passé sous le genou du policier américain Derek Chauvin avant de mourir le 25 mai 2020. Des slogans comme Black Lives Matter (la vie des noirs compte) ou Silence is violence (le silence est violence) enjoignent à la solidarité et à la prise de conscience pour le respect de la vie humaine.
En France, l’onde de choc de ces manifestations redonne espoir à la famille et aux amis d’Adama Traoré, mort à 24 ans peu de temps après son interpellation par les forces de l’ordre le 19 juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise, région Ile-de-France (Paris). Sa famille appelle à un « rassemblement national massif », ce samedi 14 juin à Paris.
Le combat contre les injustices (racisme, discrimination…) et les violences se propage, et passe d’une région à une autre, d’un pays à un autre, grâce aux réseaux sociaux. Les rapports de force se redéfinissent.
Sur le continent africain, les questions d’équité sont aussi prégnantes. Les nouvelles ne rassurent pas. Le climat de violence interpelle. Au Mali par exemple, le 5 juin 2020 se tenait à Bamako un rassemblement pour demander la démission du président Ibrahim Boubacar Keita, organisé par la Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko, le Front de Sauvegarde de la Démocratie et le Mouvement Espoir Mali Koura. Le même jour près de 30 villageois sont massacrés par des hommes déguisés en tenue militaire. C’était dans le village de Binedama, Cercle de Koro (Mopti).
Au Burkina Faso, le 30 mai dernier, plus de 30 villageois ont été exterminés sur le marché de bétail de Kompenbiga (non loin de la frontière avec le Bénin et le Togo) par des assaillants en moto déguisés en tenue militaire Burkinabé. Les assaillants se déguisent ainsi en tenue militaire pour commettre leur forfait ; une façon de semer la confusion et de désigner les Forces de Défense et de Sécurité Burkinabé comme bouc émissaire.
Dans le Sahel, depuis 2012, rien n’arrête la spirale de la violence. Ni les politiques (opposition et majorité confondues), ni les associations, ni les notables, ni les forces françaises (Barkhane), ni les forces européennes (EUTM), ni les forces onusiennes (Minusma) ne parviennent à faire taire les armes.
Les larmes coulent partout : au Mali, aux Etats-Unis d’Amérique, en France, au Burkina Faso. Les violences étatiques, structurelles, sociétales, économiques, physiques, morales fleurissent à cause de mauvaises gouvernances.
La notion de violence a pris corps, sous des noms divers (insultes, conflit, guerre, agressivité, hostilité, émeute, force non contenue, spoliation foncière…), pour rendre compte de « l’usage de la force dans la contestation sociale, dans la répression des conflits ». C’est aussi « la force dont on use contre le droit commun, contre les lois, contre la liberté publique ».
Peu importe la société, la violence s’illustre par les excès de langage, les actes agressifs, les crimes, commis volontairement, contre un autrui ou sur ses biens : violence des passions (agression sexuelle), des paroles, des discours.
Au Mali, l’enlèvement de Soumaïla Cissé dans le cercle de Niafunké depuis plus de deux mois et sans aucune revendication officielle est à la fois violent pour le Mali, sa famille et ses amis. Les batailles rangées entre clans étudiants pour diriger l’AEEM, Association des Elèves et Etudiants du Mali relèvent aussi de la violence. L’idée de violence est haïssable, car elle entrave la liberté de chacun à construire son destin.
Dans cette vision, les morts, George Floyd aux Etats-Unis et Adama Traoré en France…, sont aussi violents d’autant plus que cette violence est institutionnelle, incarnée par une partie des forces de l’ordre. Ce sont toutes ces violences qui font le terreau d’autres violences (terrorisme, criminalité organisée, banditisme). Plus une société est injuste, plus elle devient un foyer de violence. Plus les dirigeants manquent de volonté politique pour agir sur les injustices (opacité du système démocratique…), les inégalités sociales (inégale chance d’accès à l’emploi) et scolaires (abandon scolaire), les impunités (massacre d’Aguelhock le 24 janvier 2012), plus les mécanismes de reproduction de la violence sont importants. La violence tiendra le flambeau tant qu’une véritable justice n’existe pas. Les plaies ne peuvent guérir avant d’avoir été soignées.
Au-delà des agendas électoraux (élections présidentielles en novembre 2020 en Amérique, en avril 2022 en France, en novembre 2020 au Burkina-Faso…), les jalons de nations pacifiques, laïques et justes doivent être posés pour agir contre les dérives : terrorisme, conflits de normes religieuses. Le spectre de la violence est partout.
Face aux manifestations actuelles au Mali et pour éviter un cul-de-sac démocratique au Mali par exemple, l’exécutif, les intellectuels, les associations, les partis politiques, les syndicats, le citoyen tout court, doivent dépasser les conflits historiques et d’égo pour co-construire une justice pour tous, dans laquelle l’Etat reconnaît tous ses citoyens, sans distinction discriminante.
Dans l’urgence, le président Ibrahim Boubacar Keita doit prendre le recul nécessaire pour trouver un compromis démocratique raisonnable avec le mouvement du 5 juin Rassemblement des forces patriotiques dont la figure de proue est l’imam Mahmoud Dicko.
Quant aux intellectuels, leur tâche, pour prendre le langage de Foucault, c’est « le travail de la vérité ». Même si la vérité n’est jamais politiquement indifférente ou inutile. Le suffrage universel depuis son avènement en 1990 au Mali exige un développement de l’instruction pour rendre compatibles le nombre et la raison. C’est le défi à relever pour construire une société politique avec des conceptions de société diverses et du vivre ensemble. Car, si une forme de patriotisme demeure, il ne peut s’agir que de celle d’un « patriotisme constitutionnel » écrit l’allemand, J. Habermas.