L’expert en matière de sécurité de l’Institut d’études de sécurité (ISS), pense que pour appliquer le DDR, la confiance reste le fil conducteur.
Mali Tribune : Quelle est votre perception sur l’état de lieu du DDR ?
Ibrahim Maïga : Au Mali, quand on parle de DDR on fait référence à deux processus distincts mais unis par un même objectif, celui de désarmer les membres de groupes armés pour ensuite soit les intégrer dans les forces de défense et de sécurité ou les réinsérer dans la vie civile. Le premier est celui qui découle d’engagements pris dans l’accord préliminaire de Ouagadougou de 2013 concrétisés dans l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger (APR) signé en 2015. Il est destiné aux groupes armés signataires. Ces groupes sont regroupés au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et de la Plateforme des mouvements du 14 juin (Plateforme).
Le second a été initié en 2018 par le gouvernement malien pour faire face à la dégradation rapide de la situation sécuritaire dans les régions de Mopti et Ségou. L’émergence de milices et de groupes d’auto-défense a poussé les autorités à mettre en place un “DDR spécial”, en dehors de tout accord de paix. Alors que le DDR dans le Nord devait être lancé 60 jours après la signature de l’APR, ce n’est qu’en 2017 que les choses ont commencé à bouger. Globalement le bilan est insatisfaisant. Bien entendu des jalons ont été posés çà et là, des sites de cantonnement ont été construits et mis à la disposition des combattants. Les Mécanismes opérationnels de coordination (Moc), ont été progressivement établis dans les différentes régions du Mali et l’enregistrement des combattants a été effectué. Il y’a eu quelques avancées. Mais ces avancées sont insuffisantes. Elles n’ont pas permis, pour l’instant, d’aboutir à une étape décisive qui serait par exemple le désarmement des combattants. Dans le Centre aussi, le bilan reste assez mitigé.
Mali Tribune : Cette situation est due à quoi ?
I M. : Cet état de fait peut s’expliquer de différentes manières et pour de multiples raisons. S’agissant du centre, l’attaque survenue le 23 mars 2019 contre un camp de combattants prêts à s’engager dans le DDR combinée à l’exacerbation des conflits locaux ont sérieusement affecté le démarrage de ce processus. Pour le Nord, bien que la question relève des domaines de défense et de sécurité, elle comporte des aspects hautement politiques. Les progrès dans le processus de DDR ont souvent été subordonnés à des avancées sur le plan politique. Les groupes armés ont souvent utilisé le DDR comme un moyen de pression sur le gouvernement pour faire avancer les autres dossiers dont ceux sur les réformes politiques et institutionnelles. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que ces groupes tirent une grande partie de leur légitimité de leur position d’acteurs armés. Ils ne vont donc pas aller au DDR simplement parce que le gouvernement le leur demande et pas avant d’avoir des garanties “irréversibles”.
Par conséquent, l’un des obstacles majeurs au processus de DDR demeure le déficit de confiance entre les parties maliennes. Bien que des concessions aient été faites de part et d’autre pour améliorer le niveau de confiance et dépasser cette crise, quelques actions sont venues miner les progrès réalisés. Il y a aussi bien évidemment les divergences au sein des groupes armés eux-mêmes notamment sur des questions de représentativité. Celles-ci ont contribué à gripper la machine qui démarrait laborieusement. À cela, il faut ajouter la présence d’un troisième acteur qui n’est pas partie prenante aux efforts en cours pour faire aboutir le DDR. Il s’agit des groupes extrémistes violents ou de groupes souvent qualifiés de djihadistes. Ce sont des groupes qui ne font partie actuellement du processus de paix, qui font tout pour le saboter et qui vont continuer à tout faire pour le saboter. Donc désarmés ou être cantonnés pour les membres des groupes armés impliqués dans le processus de paix reviendrait aussi à s’exposer davantage à des représailles ou à des actions menées par ces groupes. Le souvenir de l’attentat en janvier 2017 contre le Moc de Gao qui a coûté la vie à plus de 70 personnes est encore vif. Donc c’est aussi un élément important qui peut expliquer les lenteurs dans le processus du DDR.
Mais il n’en demeure pas moins que l’un des problèmes fondamentaux dans le DDR reste le manque de confiance qui caractérise les relations entre les parties maliennes. Si la confiance régnait entre le gouvernement et les groupes armés aujourd’hui, il y aurait eu des tentatives ou des mesures pour surmonter les défis d’ordre sécuritaire ou d’ordre technique inhérents à tout processus de DDR. En janvier dernier, s’est tenue une rencontre du Comité de suivi de l’APR pour relancer le processus de paix. Les parties maliennes semblaient être dans un état d’esprit constructif. Malheureusement, cette fenêtre s’est vite rétrécie à cause d’agissements des différents acteurs qui ont grandement nuit à la confiance entre eux.
Mali Tribune : Quelles solutions doit-on apporter pour une réussite de ce programme DDR au Mali ?
I.M. : Pour sortir de l’impasse actuelle, il faudrait au préalable un retour de la confiance entre les parties. Cela pourrait passer par des gestes simples mais d’une importante portée symbolique. La situation actuelle sur le terrain reste extrêmement fragile. L’ineffectivité du DDR maintient le pays dans une spirale de la violence dangereuse pour la cohésion sociale. Le statu quo n’est plus tenable. Si ça craque c’est tout le processus de paix qui risque d’être remis en cause. Mener le DDR dans le contexte actuel pose évidemment d’énormes défis à la fois politiques et sécuritaires. Pourtant, il doit devenir une priorité pour donner un nouvel élan à un processus de paix fragile. La Communauté internationale et la médiation internationale ont aussi un rôle à jouer pour faire avancer le processus de paix et celui du DDR. Elles disposent pour cela de différents moyens de pression, y compris le régime de sanctions, pour débloquer le processus de DDR.