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Politique : IBK-Dicko : Duel fratricide
Publié le dimanche 21 juin 2020  |  Mali Tribune
Cérémonie
© aBamako.com par A.S
Cérémonie de présentation de vœux des notabilités au chef de l`Etat
Koulouba, le 29 décembre 2014. Les notabilités et les chefs religieux du Mali sont allés présenter leurs vœux de nouvel an au chef de l`Etat.
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L’un s’appelle Ibrahim Boubacar Keita, alias IBK, président de la République du Mali depuis 2013. A 75 ans, il est à son deuxième et dernier mandat. L’autre s’appelle Mahmoud Dicko, Imam, ancien président du Haut Conseil Islamique du Mali, (HCIM). L’imam Dicko est aussi président de la Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (Cmas). A 66 ans, il est la figure de proue du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), créé au lendemain du rassemblement du 5 juin à Bamako pour demander la démission d’IBK.


L’écart d’âge entre le président et l’Imam est de 9 ans. Dicko appelle IBK, Kôrô (grand-frère), et IBK répond Dôgô (petit-frère).

IBK et Dicko se connaissent très bien. Mahmoud Dicko a appelé à voter pour IBK en 2013. En partie, le Kôrô doit son élection à la magistrature suprême grâce au soutien de son Dôgô. Le petit-frère mériterait une gratification de la part du grand-frère : attention et reconnaissance. Sodalité oblige ! L’absence de solidarité entre les deux peut être source de fâcherie ou de tension.

IBK a été formé en France. Il incarne, de façon consciente et inconsciente, une conception judéo-chrétienne et jacobine (concentration, centralisation…) de l’Etat. Au contraire, Dicko a été formé en Arabie Saoudite, et symbolise, consciemment ou inconsciemment, une conception arabo-musulmane de la société, mais d’inspiration sunnite. D’un côté, il y a la conception jacobine ; de l’autre, la conception arabo-musulmane. Il y a donc deux conceptions, deux modèles, deux schémas de pensées qui ne se conjuguent pas et entrent en conflits au travers de Dicko et IBK. C’est une des causes de leur rivalité.

Leur rivalité est donc profonde, mais surtout attisée par les sentiments de non reconnaissance ou de rejet. C’est aussi l’origine de leur duel, ce combat d’homme à homme.

Mais le duel entre Kôrô et Dôgô va-t-il changer le Mali ?

Une question qui reste entière tant que la fin du duel n’est pas sifflée. Nous voici donc au cœur d’un duel entre deux mastodontes des rives du Niger qui se battent dans un pays infecté, depuis 2012, par le narcoterrorisme (Amara : 2019), l’insécurité, la criminalité organisée, les contestations post électorales ou la Covid-19. L’air de rien, c’est la 1ere fois, dans histoire du Mali démocratique, qu’un tel duel se produit entre un président de la République et un chef religieux.

Au cœur de ce duel fratricide, il y a d’une part les tentatives de réforme du président IBK pour rassurer les Maliens et les partenaires de sa volonté de changer le pays. D’autre part, les rejets de ces réformes par l’Imam Mahmoud Dicko, les jugeant inappropriées pour le Mali. Par exemple, en 2018, le projet d’éducation à la sexualité a été, rejeté par ce dernier, ce qui a été le point de non-retour dans leur divorce. Depuis, Dicko nourrit une antipathie prononcée à l’égard de son grand frère, ce qui provoque une compétition ardue entre eux.

Sur le terrain politique, grâce à la Cmas, Dicko recrute dans les milieux politiques et associatifs, en recherche de leader. IBK érige un système de défense de son pouvoir en cooptant des membres influents de l’opposition, tels que Tiébilé Dramé, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, grâce à l’Accord Politique de Gouvernance du printemps 2019.

Mais le duel entre Dôgô et Kôrô continue de plus belle. Il s’envenime à cause de la gestion contestée de la Covid-19 à Kayes, de l’enlèvement de Soumaïla Cissé, des contestations post élections législatives, des pertes militaires (Aguelhock, Boulkessi, Diabali, Indelimane ou Mondoro) et victimes civiles (Binedama, Koulongo, Ogossagou, ou Sobane Da). Ainsi, à la demande de la Cmas de Dicko, le 5 Juin 2020 à Bamako, des milliers de Maliens se rassemblent pour exiger la démission d’IBK. Dicko et ses soutiens (M5-RFP) reprochent à IBK de ne pas écouter le “peuple”, de mal gérer le Mali. La corruption, le terrorisme, la crise sécuritaire ou scolaire, l’insécurité, la séquestration des opposants, etc., sont aussi mis en avant pour demander le départ de son Kôrô. La démonstration de force du 5 juin est imparable.

IBK tente de reprendre la main dans son discours du 14 juin 2020 :

“…Mon rôle est de savoir prévenir les schémas de confrontations violentes qui ne feront le bonheur de personne. C’est pourquoi j’invite au dialogue. A cet effet, je salue, les membres du Cadre d’Action, de Médiation et de Veille que j’ai rencontrés cet après-midi. Leur engagement patriotique les honore. Mais nous aimons tous ce pays, quelles que soient nos sensibilités. Et je me réjouis de la perspective de rencontrer bientôt les acteurs du Mouvement du 5 juin…” (extrait du discours du 14 juin 2020 du président, IBK).

Malheureusement, le petit-frère est déjà allé si loin dans le duel qu’il est difficile pour lui de saisir la main de dialogue du grand-frère. Le divorce entre les duellistes est presque consommé, malgré les ressorts culturels de médiation : intervention des familles fondatrices de Bamako, des diplomates ou des griots.

L’heure de la vengeance a malheureusement sonné. Sous la coupe de Dicko, le M5-RFP appelle à manifester ce vendredi 19 juin à Bamako pour donner un coup de semonce au pouvoir de son grand-frère.

La fin du duel fratricide sera-t-elle à la Djibril Tamsir Niane dans Soundjata ou L’épopée Mandingue. Que donnera-t-il ce duel fratricide ? Quelle issue politique pour la démocratie malienne ? Quel nouveau sort pour le pays ?

Ces questions, au milieu du drame, trouveront leurs réponses dans le long terme. Quelle que soit l’issue du duel, les Maliens n’attendent qu’une chose : de bonnes nouvelles, une ère où on décide de ne plus faire du neuf avec du vieux (toujours les mêmes aux affaires).

Ce duel ne doit pas faire suffoquer les Maliens comme le symbole odieux d’une mort annoncée de la République laïque ou celle de ce héros, George Floyd, sous le genou de Derek Chauvin, qui susurrait avant de mourir étouffé, “I can’t breathe” : je ne peux pas respirer.



Mohamed Amara

(Sociologue)


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