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Décryptage : La Place de l’Indépendance : un symbole de la colère
Publié le samedi 27 juin 2020  |  Mali Tribune
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Modibo Keita, Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré et Dioncounda Traoré ont tous traversé les crises du Mali : changement de monnaie, changement de régime, guerre, rébellion, révolution de 1990, terrorisme, etc. A l’issue de ces crises, les chefs de l’Etat, excepté Alpha Oumar Konaré, sont généralement rejetés par le peuple. Leur chute ressemble à ces fatalités décrites par le célèbre écrivain malien, Moussa Konaté, dans son roman : La Malédiction du Lamantin.
Modibo Keita meurt en détention à 62 ans en 1977 à Bamako alors qu’il a conduit le Mali à l’indépendance en 1960. Sous la pression du mouvement démocratique, Moussa Traoré est chassé du pouvoir en 1991 par Amadou Toumani Touré, alias ATT. À un peu plus de deux mois de la fin de son dernier mandat, ATT est exilé à Dakar, suite au coup d’Etat d’Amadou Haya Sanogo. Dioncounda Traoré, le président intérimaire, a été hué et blessé par une foule en colère, après avoir déclaré une guerre “implacable“ contre les narcoterroristes en 2012. Il part se soigner à Paris et ne rentre à Bamako que trois mois après. Depuis l’avènement de la démocratie malienne (1990), c’est la première fois qu’un président de la République se fait violenter par une foule de “badauds“.

Depuis la publication des résultats définitifs du second tour des élections législatives par la Cour constitutionnelle, fin avril 2020, Ibrahim Boubacar Keita, autrement IBK, vit un des moments les plus tempétueux de son dernier mandat. Il fait face à la mobilisation du Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) qui exige sa démission. Son pouvoir y laissera certainement quelques plumes.

L’histoire politique du Mali nous renseigne qu’au sortir de chaque crise, le chef de l’Etat est rejeté par une partie de la population, laquelle population l’a pourtant conduit au pouvoir. C’est une malédiction à laquelle les autres chefs d’Etats africains semblent voués à des degrés différents : tel est le cas pour l’Ivoirien Laurent Gbagbo ou encore le Burkinabé Blaise Compaoré, etc. Ils ont été chassés du pouvoir à l’issue de crises sociales ou postélectorales par une partie de leur peuple. D’autres chefs d’Etats des pays du Maghreb ont vécu leur période de malédiction, de mauvais sort. Abdelaziz Bouteflika, artisan de la paix en Algérie après la guerre civile des années 90, a été écarté du pouvoir en 2019 grâce au mouvement populaire, le Hirak. La liste peut être longue. Les crises usent les hommes, et ne sont jamais un bon signe. Autant anticiper que subir.

En général, ces mauvais sorts semblent peser sur les chefs d’Etats à cause de leurs difficultés à arbitrer l’intérêt individuel et l’intérêt commun, à combattre les injustices (accès inéquitable aux droits et au foncier) et à réduire les inégalités (inégal accès à l’emploi).

Les intrigues politiques et les jeux de pouvoir finissent par avoir raison du pouvoir exécutif. Nous sommes malheureusement en déshérence permanente.

Au Mali, les crises s’empilent : sécuritaire, sociale, sanitaire, politique. Elles se chatouillent les unes les autres. Mais la crise qui oppose la majorité présidentielle et le M5-RFP a une particularité : la rue, et plus exactement la Place de l’Indépendance. Symbole mémoriel par excellence, la Place de l’Indépendance incarne depuis le 5 juin 2020 le lieu d’expression de la colère des manifestants du M5-RFP. La Place de l’Indépendance, comme la Place Tahrir en 2011 (Egypte), est devenue le symbole de la lutte des pouvoirs entre le camp du président IBK et celui de l’Imam Dicko, figure de proue du M5-RFP. La Place de l’Indépendance devient le lieu, au plus haut point, des revendications sociales et politiques. Ni l’Assemblée nationale, ni les partis politiques n’offrent cet espace de confrontation que l’on peut retrouver, à différents niveaux, par exemple en France avec les Gilets jaunes ou les manifestations contre l’injustice suite à la mort de Georges Floyd à Minneapolis (USA).

Jamais depuis 2013, IBK n’a affronté une crise aussi coriace venant de la rue. Ni la Covid-19, ni le virus narcoterroriste ne l’ont autant secoué. C’est la première fois qu’il traverse une tempête de sable qui fait sauter les calculs politiques, les prévisions des experts, et rend les deux dernières années de son mandat presque cauchemardesques.

Parallèlement aux manifestations de la Place de l’Indépendance pour demander la démission du président IBK, la lutte se poursuit dans les médias et les réseaux sociaux par camps interposés. Désormais il faut être à tu et à toi avec la majorité présidentielle ou avec le M5-RFP. Le jeu d’intérêts et de projections tactiques continue et révèle la complexité des manœuvres politiques. Des deux côtés, les acteurs ont, à un moment ou un autre, partagé les mêmes gouvernements et les mêmes combats. C’est aussi l’aspect cynique du jeu. La certitude : tous les protagonistes marchent avec le risque de rétropulsion, la peur de trébucher, voire de tomber.

Aujourd’hui, être l’Homme de la situation ne consiste pas seulement à rejouer le match entre le M5-RFP et la majorité présidentielle ; mais à oser faire un pas de côté pour élever le Mali. L’histoire dira si chacun a pris ses responsabilités.

Pour finir, il est encore temps de prendre les bonnes décisions pour changer ce pays. A supposer que les protagonistes ne s’écoutent pas et ne s’entendent pas, une 3eme voie, celle de la raison et des alternatives, doit se dessiner pour sortir de cette dualité et sauver l’essentiel à savoir le Mali. Cette 3eme voie, dans une vision optimiste, devra explorer les ressorts internes du Mali pour émerger de cette tempête de sable. Par exemple, certaines personnes ressources comme l’ancien président Alpha Oumar Konaré pourraient contribuer à sauver ce pays, s’ils le veulent bien. Leur connaissance du marigot politique et religieux, et leur expertise de la complexité sociale et sociologique du Mali, voire de l’Afrique, seraient un atout pour conjurer le mal.

Une sortie de crise sans vainqueur, ni vaincu, ne serait-elle pas historique ?

Un gouvernement de cohabitation ne serait-il pas une des solutions ?



Mohamed AMARA

Sociologue
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