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Démission de la Cour constitutionnelle : Pourquoi l’article 50 est inapplicable ?
Publié le lundi 29 juin 2020  |  L’aube
Proclamation
© aBamako.com par DR
Proclamation des résultats du premier tour par la cour constitutionnelle
Mercredi 8 Août 2018. Bamako. La cour constitutionnelle a procédé à la proclamation des résultats du premier tour des elections présidentielles
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Les appels répétés à l’usage abusif de l’article 50 relèvent d’une interprétation erronée de la Constitution au regard des conditions de sa mise en œuvre et de la portée des mesures exceptionnelles pouvant être édictées dans ce cadre par le Président de la République. Il est heureux de constater que jusque-là, le Président IBK est resté sourd à ces appels. Et c’est tant mieux pour de la Constitution du 25 février 1992 et de son article 50 !

La crise politique et institutionnelle actuelle aidant, la matière constitutionnelle habituellement enfermée dans les Facultés de droit, s’est échappée des amphis pour littéralement investir les espaces médiatiques et les réseaux sociaux. Tant mieux ! Pourquoi pas ! Sauf que cela tend de plus en plus à prendre la tournure de mode où, comme lors de défilés, chacun rivalise de créativités juridiques souvent contestables pour mieux se vendre, quitte à écorner parfois des évidences établies par la doctrine et la jurisprudence constitutionnelle. L’article 50 de la Constitution en est un cas d’école.

Il est ainsi libellé : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation du Premier ministre, des Présidents de l’Assemblée nationale et du Haut Conseil des Collectivités ainsi que de la Cour Constitutionnelle. Il en informe la Nation par un message.

L’application de ces pouvoirs exceptionnels par le Président de la République ne doit en aucun cas compromettre la souveraineté nationale ni l’intégrité territoriale. Les pouvoirs exceptionnels doivent viser à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement dans les brefs délais du fonctionnement régulier des institutions conformément à la Constitution. L’Assemblée nationale se réunit de plein droit et ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels ».

Les appels répétés à l’usage abusif de l’article 50

L’article 50 est actuellement soumis à de nombreuses interprétations servant de prétextes aux appels répétés à son usage abusif. Ces interprétations parfois abusives ont conduit à en faire une sorte de recette miracle, pour ne pas dire l’ultime arme de démolition de l’institution judiciaire de la Cour constitutionnelle. Dès lors qu’on prétend que « l’article 50 permet au Président de tout faire puisqu’il n’y a pas de Constitution », le pas est vite franchi.

On en déduit que « le Président de la République peut dissoudre la Cour constitutionnelle en mettant en œuvre l’article 50 de la Constitution » et qu’il peut en l’occurrence « l’utiliser pour chasser les trois membres récalcitrants de la Cour constitutionnelle qui refusent de démissionner ». On notera qu’il y a comme une sorte d’obsession et d’acharnement injustifiés sur ce fameux article 50 qu’on a tendance à administrer de manière systématique comme le remède miracle à la moindre crise politique du pays. Déjà en décembre 2017, les mêmes refrains ont entonné que le Président potentiel candidat présidentiel, aurait pu mettre en œuvre les pouvoirs exceptionnels de l’article 50 afin de décider de la tenue de la présidentielle de 2018 uniquement dans les zones sous le contrôle de l’Etat central !

En d’autres termes, il avait été prôné de permettre au Président IBK d’exercer des pouvoirs « dictatoriaux » en pleine période de consultations électorales alors qu’il était lui-même partie prenante auxdits scrutins. Chacun peut apprécier l’image rocambolesque qu’aurait ainsi projeté, l’imposture d’un Président de la République candidat potentiel à sa propre succession se dépouillant, en pleine bataille électorale, de toutes contraintes constitutionnelles ou légales, sous le prétexte d’une insécurité qui règnerait sur certaines parties du territoire national.

En fait, les appels répétés à l’usage abusif de l’article 50 relèvent d’une interprétation erronée de la Constitution au regard des conditions de sa mise en œuvre et de la portée des mesures exceptionnelles pouvant être édictées dans ce cadre par le Président de la République. Il est heureux de constater que jusque-là, le Président IBK est resté sourd à ces appels. Et c’est tant mieux pour de la Constitution du 25 février 1992 et de son article 50 !

Les deux conditions de fond de l’article 50 font défaut

En effet, deux conditions de fond sont indispensables au déclenchement de l’article 50 par le Président de la République et qui illustrent parfaitement son caractère tout à fait exceptionnel. Il est à préciser qu’il s’agit là, non pas de deux conditions alternatives, mais plutôt de deux conditions cumulatives en ce sens qu’elles doivent être simultanée. D’une part, il faut une menace grave et immédiate sur les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution des engagements internationaux du Mali. D’autre part, il faut que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels soit interrompu. Or, jusqu’à ce jour, aucune de ces deux conditions n’est réunie au Mali. Par ailleurs, le régime juridique consécutif à une mise en œuvre éventuelle de l’article 50 ne permet nullement, à travers les mesures exceptionnelles prises dans ce cadre par le Président de la République, de dissoudre la Cour constitutionnelle.

Pas de menace grave et immédiate sur les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution des engagements internationaux du Mali !

Il faudrait d’abord, comme souligné plus haut, une menace grave et immédiate sur les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution des engagements internationaux du Mali. Si le caractère subjectif de cette première condition donne quelques marges d‘appréciation au Président de la République, il n’empêche qu’il ne peut en tout état de cause, s’agir de n’importe quelle menace. L’article 50 précise bien que ladite menace doit être grave et immédiate.

A cet égard, qui oserait sérieusement assimiler la crise politique actuelle participant de l’exercice démocratique d’un droit constitutionnel, à une situation de « menace grave et immédiate sur les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution des engagements internationaux du Mali » ?

Pas d’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels !

En plus de cette première condition, l’article 50 suppose aussi une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels dans le sens d’un chambardement généralisé de tout le système politique. Cela signifie que le pays doit se trouver dans une situation politique chaotique telle que les pouvoirs publics constitutionnels ne sont plus en état de fonctionner régulièrement comme en France avec le putsch des généraux d’Alger à l’origine de la mise en œuvre en 1961 de l’article 16 de la Constitution française dont notre article 50 n’est que la copie édulcorée. Bien évidemment, il faudrait naturellement comprendre par « pouvoirs publics constitutionnels », les pouvoirs publics organisés par la Constitution, à savoir essentiellement la Présidence de la République, le gouvernement et l’Assemblée nationale. C’est si et seulement si ces deux conditions sont réunies que le Président de la République, après consultation du Premier ministre, des Présidents de l’Assemblée nationale, du Haut Conseil des Collectivités et de la Cour Constitutionnelle, est fondé à recourir à l’article 50 en prenant les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances.



Le Président ne peut pas tout faire sous le régime de l’article 50

Certains prétendent que « l’article 50 permet au Président de tout faire puisqu’il n’y a pas de Constitution » ! Avec tout le respect dû à ces commentaires, il est difficile d’y souscrire, car ils paraissent véhiculer l’interprétation comme quoi les mesures exceptionnelles prises dans le cadre de l’article 50 seraient dédouanées de tout encadrement juridique. Or si tel était effectivement le cas, quelle serait la raison pour laquelle le constituant de 92 a pris le soin de préciser ainsi qu’il suit à l’alinéa 3 de l’article 50 : « L’application de ces pouvoirs exceptionnels par le Président de la République ne doit en aucun cas compromettre la souveraineté nationale ni l’intégrité territoriale ». Par ailleurs, pourquoi le constituant a-t-il en outre ajouté ce qui suit à l’alinéa 4 : « Les pouvoirs exceptionnels doivent viser à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement dans les brefs délais du fonctionnement régulier des institutions conformément à la Constitution ». En des termes plus simples, les pouvoirs exceptionnels du Président de la République destinés au rétablissement de la Constitution ne peuvent s’exercer qu’à cette seule fin.

Comment peut-on, en dépit de ces alinéas 3 et 4, soutenir que l’article 50 « permet au Président de tout faire puisqu’il n’y a pas de Constitution » ? Il est évident qu’une telle interprétation laxiste ne tient pas la route. L’article 50 lui-même dit clairement que lorsqu’il est mis en œuvre, les pouvoirs exceptionnels du Président de la République qui en découlent ne peuvent compromettre la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale » ni viser d’autres objectifs que celui d’assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement dans les brefs délais de la Constitution. Comme pour avertir que le Président de la République ne peut pas tout faire sous le régime de l’article 50.

Impossible d’invoquer l’article 50 pour dissoudre la Cour constitutionnelle

D’autres argumentaires tout aussi évidents et indiscutables attestent bien que le Président de la République ne peut tout faire y compris dissoudre la Cour constitutionnelle. En l’occurrence, comment le pourrait-il, quand on sait que c’est cette même Cour qui est saisie à titre consultatif en vue d’émettre un avis sur la réunion des conditions exigées pour le déclenchement de l’article 50.

De la même manière que cette consultation confère une garantie constitutionnelle au déclenchement de l’article 50, il est clair que la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels nécessite implicitement l’œil vigilant de la Cour constitutionnelle. Car, si ce n’est à travers la Cour constitutionnelle, comment va-t-on s’assurer que les pouvoirs exceptionnels du Président de la République ne vont pas compromettre la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale ou viser d’autres objectifs que d’assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement de la Constitution ?

Comment est-il possible de concevoir dans ces conditions que la dissolution de la Cour constitutionnelle puisse constituer en soi l’objectif même du recours à l’article 50 ? Le maintien pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels de l’Assemblée nationale qui se réunit de plein droit et ne peut être dissoute pendant la période d’exception, participe de la même logique républicaine.

Le Président de la République que l’article 50 prive de son pouvoir constitutionnel de dissolution de l’Assemblée nationale ne saurait, sous le prétexte de ce même article, s’arroger le pouvoir exorbitant de dissolution de l’institution judiciaire de la Cour constitutionnelle qui n’est même pas imaginable en période de vie constitutionnelle normale.

IBK n’a aucun intérêt politique ni juridique à se servir d’une disposition constitutionnelle controversée, plutôt propice à la personnalisation du pouvoir, qui plus est, dans le but de dissoudre une institution judiciaire au moment où sa légitimité se trouve fortement remise en cause. Ce serait pour lui, une gravissime et impardonnable faute politique de plus.

Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences

Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)
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