L’actualité du pays, depuis quelques semaines, est dominée par la crise du nord et la situation politique. Des sujets, bien que préoccupants, tels que la crise alimentaire, les élections, l’école…sont mis au second plan. Le débat qu’alimentait la situation de l’école, et qui servait de contre-pouvoir au gouvernement dans ses prises de décisions, a diminué d’intensité. Pendant ce temps, l’école malienne continue sa descente aux enfers…
Parlons de l’école, mais pas pour aborder la question relative aux récentes reformes entreprises par les autorités passées. De notoriété publique, elle alimente des discussions farouches, fiche la déception, inspire la pitié… c’est le moins que l’on puisse dire. Cette série noire qu’elle vit aujourd’hui, suite aux évènements du 22 mars dernier, doit être une invitation à tous pour éviter le naufrage que l’on craint depuis bien longtemps. En y pensant, on se rend à une évidence : celle du désespoir pour ces enfants dont on se soucie de l’avenir, mais qui, crétins jusqu’au bout, ont la tête ailleurs. Pourquoi cet état de fait ?
Début de journée à Bamako, dans un cybercafé. Je croise des élèves du secondaire, tenant un bout de papier. Elles étaient trois. J’ai risqué un regard là-dessus, j’ai lu ceci : « Catre de soutien. Les groupes charmantes veux faire une organisation de soirée que on vous demande de nous aider pour les matérielles ou des choses. Merci d’avance ». Le lecteur, un temps soit peu attentif, remarquera que cette note souffre d’une tapée de fautes de tout ordre, que le gérant du local se chargera naturellement de revoir. La visée est claire : elles ambitionnent d’organiser une soirée, et demandent une aide. Me surprenant entrain de rire sous cape, une d’entre elles me balance à la figure : « ce n’est pas tes oignons ! ». Spectacle triste mais habituel chez ces enfants qui, faut il en rire ou s’en indigner, ont pris goût à aller à l’école pour quelqu’un et non pour quelque chose ou comprendre pour le copain ou la copine et non pour les études. Ces jeunes qui désapprennent au fil des jours, comme s’ils avaient leur devenir derrière eux, ‘’représenteraient’’ l’avenir de notre nation.
Il faut néanmoins regarder en face certaines réalités désolantes qui en sont presque arrivées à bouleverser notre quotidien. Durant des années, les parents ont demandé à cor et à cri à leurs enfants d’arrêter de regarder les feuilletons dont l’horaire de diffusion sur la chaine nationale ou toute autre, était appris de mémoire par eux. Le résultat, catégoriquement vain, n’est qu’un secret de polichinelle pour les maliens. Et la réalité est que nous savons tous à quel drame cela a abouti : le manque de concentration des enfants, l’absence de tout cadre de révision en dehors des cours, la baisse du niveau…
A la longue, un autre phénomène appelé ‘’Balani-show’’ est apparu. Ce spectacle qui amasse la nuit même pendant les jours ouvrables, le week-end ne suffisant plus, des enfants de toute classe d’âge, au détour d’une rue. Aujourd’hui, la situation est tant explosive que les enfants se sont tous ou presque métamorphosés en des rappeurs en herbes ou des incontournables danseurs de Battle. Les jeunes filles s’habillent de la manière la plus libertine qui puisse exister, excitant ainsi la curiosité des jouvenceaux. Et les leçons, ce n’est pas leurs oignons !
On voit là que c’est l’éducation même en famille qui est remise en cause, car elle configure l’esprit de ces enfants dans une optique d’insouciance pour l’essentiel, en les préparant à être des partisans du moindre effort, des incurables « je-m’en-fichiste » qui ne pensent qu’à faire la fête. Or, on le sait bien, les enfants dans nos écoles, expriment un besoin pressant d’être doté d’une mentalité autre que celle qui leur ait offerte actuellement. La société, sensée leur faire savoir que le monde bouge plus qu’on ne l’imagine et qu’ils ne parviendront à se faire une place que lorsqu’ils apprendront à faire la part des choses, donner un temps à chaque chose, rompre avec ces habitudes qui ne mènent nulle part, a démissionné.
Comment trouver une meilleure justification à l’attitude du comité AEEM de certains lycées qui menacent de suspendre ou suspendent les cours pendant un temps si le proviseur ne leur rassure pas de son aide pour l’organisation d’une soirée ? Que dire à ces trois jeunes filles qui s’enthousiasment pour l’organisation d’une soirée, et le comble du paradoxe, en pleine année scolaire, tandis qu’elles s’expriment dans un français équivalant au « forofifon-naspa » des tirailleurs de l’époque coloniale jamais inscrits à l’école ? Et ces étudiants qui, au lieu d’emmagasiner des éléments de connaissances dans leur domaine d’étude, passent le cycle universitaire à soigner leur langage pour sortir la caboche vide ?
En clair, l’on a tendance à perdre pied en constatant que les acteurs décisifs du système éducatif c’est-à-dire les parents, les enseignants et l’administration, semblent perdre de vue l’ampleur de la menace. Ceci dit, tant que ces trois acteurs ne feront pas un bloc autour de la question de l’éducation, les solutions resteront inefficaces et les diagnostics subjectifs.
Bien entendu, cela voudrait dire aussi que le rapport élève-enseignant, qui est aujourd’hui aliéné et terni, doit être rétabli, revu sous toutes ses couleurs ; l’administration qui est, elle aussi, en perte de vitesse, est appelée à se ressaisir, à cesser les gaffes et à renouer avec les attitudes lui donnant l’opportunité de remplir pleinement son rôle. Etant donné que le niveau de développement d’un pays est aussi évalué selon l’état de son système éducatif, il revient aux maliens et maliennes dans une synergie d’action de sauver les enfants de ce mal qui les ronge comme un Hépatite B. Et je pense que cette analyse contribuera à susciter des débats, et des réflexions….