Les responsables du Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) ont, au cours du rassemblement du vendredi 10 juillet dernier, appelé leurs militants à entrer en désobéissance civile sur toute l’étendue du territoire national et dans la diaspora. Que dit la loi à ce sujet ? Un constitutionnaliste et un acteur politique s’expriment sur la question. Ils réagissent également aux derniers développements de l’actualité
Dr Fousseyni Doumbia, professeur à l’USJPB : «La désobéissance civile n’est possible au Mali que s’il y a atteinte à la forme républicaine de l’État»
Il est tout d’abord et avant tout important de dire qu’est-ce que la désobéissance civile ? La désobéissance civile est le refus intentionnel et public, en général collectif, et en principe non violent, de se plier à une norme ou à une décision de l’autorité politique, conduisant le cas échéant à des actions illégales. Au Mali, la Constitution du 25 février 1992 accorde au peuple le droit à la désobéissance civile pour préserver la forme républicaine de l’État dont la signification exacte mérite une clarification. La désobéissance civile n’est possible au Mali que s’il y a atteinte à la forme républicaine de l’État.
Toutefois, le contenu de la forme républicaine de l’État n’est défini nulle part dans la Constitution malienne. En effet, à la question de savoir que peut signifier l’expression «forme républicaine», les experts nous enseignent qu’elle peut désigner soit un régime sans monarchie héréditaire, soit une République indivisible, laïque, démocratique, sociale.
Le Mali a opté pour la République qui ne saurait être remise en cause sous peine de porter atteinte à sa forme républicaine. Cette analyse est confortée par l’article 25 de la Constitution : «Le Mali est une République indépendante, souveraine, indivisible, démocratique, laïque et sociale. Son principe est le gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple».
Par ailleurs, la finalité des désobéissants est de mettre la pression sur le gouvernement afin qu’il cède plus vite en acceptant de s’asseoir à la table des négociations. Alors que le dialogue avec les désobéissants, par le président de la République, n’est jamais interrompu, rien ne justifie le recours à la désobéissance civile.
Le recours à la désobéissance civile n’est pas sans conséquences judiciaires pour les désobéissants, surtout quand il a été mené pour la seule défense d’intérêts privés, comme c’est le cas aujourd’hui au Mali avec des actions de pillages et de vandalisme perpétrées par certains ici et là. C’est sans haine et sans colère que les désobéissants agissent contre leurs adversaires. L’action non violente est une dimension fondamentale de la désobéissance civile. Elle rappelle que nous appartenons tous à une commune famille, l’Humanité, et que la société qui pousse le frère contre le frère et la sœur contre la sœur est seule responsable du conflit.
L’abrogation du décret de nomination des membres de la Cour constitutionnelle devrait être précédée par le recours par le président de la République à ses pouvoirs exceptionnels prévus à l’article 50 de la Constitution qui mettraient en parenthèse la Constitution pour précipiter le départ des membres de la Cour constitutionnelle, et cela pour la stabilité politique et sociale du pays. En revanche, ce décret d’abrogation au-delà de son caractère fortement controversé sur le plan juridique, reste tout de même juste et légitime, car il correspond aux aspirations d’une large partie de la population.
Pour la résolution définitive de cette crise politique et sociale, il est particulièrement important pour tout Malien de mettre l’intérêt supérieur de la Nation au-dessus de toute préoccupation partisane et personnelle, de mettre le Mali au-dessus de tout et rien au-dessus du Mali. Pour cela, il faut que chaque partie fasse preuve d’abnégation et de responsabilité autour de l’essentiel : la paix. Pour y parvenir, aucun sacrifice ne serait de trop. Et on ne peut pas s’inscrire dans une dynamique de dialogue et prétendre obtenir tout ce qu’on veut. De part et d’autre, il faut des concessions pour le bonheur exclusif du peuple malien.
Mamadou Oumar Sidibé, président du Parti pour la restauration des valeurs du Mali (PRVM FASOKO) : « La désobéissance civile est faite pour protéger la République»
Ce n’est pas une désobéissance civile, ce qui vient de se passer. Une désobéissance civile est pacifique et encadrée. Une désobéissance civile, ce n’est pas la casse. Certes, les contestataires sont frustrés, mais c’est tout sauf une désobéissance civile ce qu’ils ont fait. La désobéissance civile est faite pour protéger la République et non vandaliser la République. On n’est pas dans le cadre de la désobéissance par rapport à ce qui s’est passé vendredi. Il va falloir qu’on mette de l’ordre aussi dans les choses.
Étant dans la crise multidimensionnelle, s’ajoute une crise institutionnelle découlant de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. La situation est très grave. Le pays est presque au bord du gouffre. Ce qui s’est passé vendredi laisse à désirer. Toutes mes condoléances aux familles endeuillées de cette crise qui dure depuis plus d’un mois. Aux blessés, nous leur souhaitons prompt rétablissement et demandons toujours que le Mali soit un pays de paix. Nous demandons à ce que les Maliens se donnent la main pour aller à l’essentiel. L’essentiel aujourd’hui, c’est la sauvegarde de notre pays. L’essentiel aujourd’hui, c’est la sauvegarde de l’intégrité nationale et la cohésion dans un pays fracturé et fragilisé.
Étant de la majorité présidentielle, nous avons fait des propositions de sortie de crise par rapport à tout ce qui avait été dit par le M5-RFP depuis le 5 juin. Ils avaient demandé la démission du président de la République, la première institution. La majorité a dit que cela est une ligne rouge à ne pas dépasser. La démission du président de la République est hors de question.
Nous avons dit qu’on pouvait tout négocier, sauf la démission du président de la République. Et on avait réussi à faire cela parce qu’ils étaient tombés d’accord de ne pas toucher à la première institution. Le président nous a donné mandat à discuter avec les responsables du M5-RFP, ce qui n’a pas été fait parce qu’on n’a pas été entendu par eux.
La situation s’est envenimée avec le mémorandum qu’a fait le M5-RFP qui demandait un certain nombre de choses qui ne sont pas compatibles avec la Constitution, dont un Premier ministre de ‘’pleins pouvoirs’’ et une transition avec un président de la République élu. Toutes choses qui ne trouvent pas de fondement dans la Constitution. Ceci dit, c’est dans le dialogue qu’on peut trouver toutes les solutions et le président de la République avait demandé au M5 de se rapprocher de la majorité présidentielle pour trouver les voies de sortie de cette crise.
Est-ce qu’il y a des voies de sortie de crise ? La Cedeao nous en a donné une très bonne piste à laquelle la communauté internationale et tous ce qui nous aident se sont accommodés. Je pense que cette piste est à prospérer et à faire valoir parce qu’elle peut permettre aux Maliens de s’entendre sur l’essentiel. Aujourd’hui, l’épicentre de la crise est l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Une bonne partie des Maliens pense que cette Cour ne peut plus rendre service au peuple. Donc, il y a lieu de la renouveler.
Aujourd’hui, l’essentiel c’est de trouver une solution pour que ceux qui se sentent lésés puissent avoir ce qui est de droit. Ou encore aller vers l’organisation des élections législatives partielles, si possible. Au pire des cas, aller vers une nouvelle Assemblée nationale.
Les voies et moyens existent et le président de la République a tous les moyens pour y parvenir. Nous ne pouvons que l’aider dans ce sens pour avoir un apaisement. Il a fait trois sorties pour pouvoir apaiser la tension. L’article 39 a été résolu. Toute chose qui, dans un pays normal, est une bonne sortie de crise.
Cependant, vu l’état de la nation, vu le sentiment de la population, il faut partager la poire en deux pour qu’on arrive à une solution médiane. Tout le monde s’attendait à ce que les membres de la Cour constitutionnelle démissionnent. Cela diminuerait en grande partie la tension pour aller de l’avant.
C’est une partie du peuple qui est sortie. Mais, une bonne partie de la population est d’accord avec ceux qui sont en train de sortir par rapport au problème de la Cour constitutionnelle et des députés. C’est ce qu’il faut voir.
La goutte qui a fait déborder le vase, c’est l’arrêt de la Cour. Il y a d’autres problèmes qui sont réels et qui sont partagés par la majorité et l’opposition. Donc, je pense que le président de la République a compris et a dit qu’il prendra les bonnes décisions dans les prochains jours pour qu’enfin le Mali puisse se retrouver.
Propos recueillis par
Massa SIDIBE et
Bembablin DOUMBIA