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Déclaration du procureur de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, à l’ouverture du procès dans l’affaire contre M. Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud
Publié le mercredi 15 juillet 2020  |  aBamako.com
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© Autre presse par DR
Le procureur de la CPI Fatou Bensouda
Le procureur de la CPI Fatou Bensouda et son équipe à l`ouverture du procès dans l`affaire Al Hassan le 14 juillet 2020 © ICC-CPI
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Monsieur le Président, Mesdames les Juges,

Aujourd'hui, commence le procès tant attendu des crimes inimaginables qui ont été commis au Mali.

Tombouctou a vécu pendant presqu’un an, d’avril 2012 à janvier 2013, dans la violence physique et morale infligée par les groupes armés Ansar Dine et Al Qaeda au Maghreb Islamique. Tombouctou, « la perle du désert », où la population vivait en paix depuis des années, a été soumise à leurs diktats. Tombouctou a subi leur tyrannie.

Dès qu’ils ont pris la ville, les membres d’Ansar Dine et d’AQMI ont créé des organes de contrôle et de répression. Ils ont notamment créé le tribunal islamique et la Police islamique dont M. Al Hassan a été le commissaire incontournable et zélé.

Ce faisant, les membres de ces groupes ont exercé une emprise implacable sur Tombouctou, sa région et la population civile impuissante. Leur plan et dessein était d’assujettir les Tombouctiens et Tombouctiennes à leur control et pouvoir.

Leur plan et dessein était de les soumettre à leur vision idéologique et religieuse personnelle. Et ce, au forceps, à grand renfort de brutalités et d’exactions constitutives de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre au regard du Statut de Rome.

C’est là le cœur de la présente affaire : le recours à la violence, la commission de crimes sur des habitants rabaissés, humiliés, violentés et, pour tout dire, soumis à une véritable persécution pour des motifs religieux et sexistes dont ils ne voyaient pas la fin et dans laquelle Al Hassan, l’âme pensante et agissante de la police islamique, a joué un rôle central.

Monsieur le Président, Mesdames les Juges,

Je souhaite clarifier d’emblée le point suivant: cette affaire n’est aucunement dirigée contre l’Islam; cette affaire n’est dirigée contre aucune religion ou système de droit ou de pensée.

C’est simplement une affaire pénale impliquant des crimes graves. Vous êtes saisis du cas d’un homme, Al Hassan, dont nous allons démontrer au-delà de tout doute raisonnable qu’il est responsable de crimes relevant du Statut de Rome commis contre les habitants de Tombouctou et de sa région – des crimes commis contre les Maliens, contres ses propres compatriotes. Ni plus ni moins.

Il reviendra à votre Cour de poser que des individus comme Al Hassan ne peuvent pas rejoindre des groupes armés, quels qu’ils soient, occuper une partie d’un Etat souverain ayant choisi son système de gouvernement, et imposer par les armes et la violence à toute une population des préceptes et interdits, sous prétexte de mettre en œuvre leur vision idéologique et religieuse. Cela vaut quels que soient les idées, les principes ou la religion qu’on prétend suivre. Cela vaut quelles que soient les règles qu’on allègue vouloir appliquer.

C’est la nature même des actes criminels et la violence pure contre la population civile qui justifient la poursuite d’Al Hassan devant votre Chambre. La variété des nouveaux interdits et règles n’avait d’égale que la cruauté avec laquelle les institutions mises en place par Ansar Dine et AQMI et les hommes comme Al Hassan ont puni impitoyablement les habitants de Timbuktu qui, exerçant tout simplement leurs droits fondamentaux, ne se pliaient pas aux nouveaux diktats.

Monsieur le Président, Mesdames les Juges,

Permettez-moi de citer les paroles d’un Tombouctien, tant elles traduisent et résument la douleur et le désarroi des habitants. Il déclara, je cite: « la ville est devenue une ville fantôme. Morte en ce sens que toutes les populations étaient terrées dans leur maison, de peur d’être réprimées, de peur d’être humiliées, de peur d’être brutalisées, de peur d’être violentées […] ».

Le mot « peur » revient à quatre reprises dans cette phrase, comme un leitmotiv. Il décrit parfaitement le calvaire que les Tombouctiens ont vécu au quotidien pendant toute la durée de l’occupation.

Vous verrez l’exemple de Dédéou Maiga, qui est malheureusement décédé à ce jour. Il a été attaché à une chaise en place publique, devant toute la population. Sa main a été amputée de la manière la plus brutale qu’il soit au moyen d’une sorte de long couteau. Qui l’a jugé coupable ? Le tribunal islamique irrégulièrement mis en place par Ansar Dine et AQMI à Tombouctou pour donner une apparence de légitimité à leur régime tyrannique. Sa vie a irrémédiablement basculé. A ses yeux, sa vie était terminée.

L’objectif de ce châtiment public était double.

· Premièrement, démontrer l’absence de limite aux pouvoir des groupes armés à Tombouctou; démontrer que personne ne peut s’opposer à eux, même lorsqu’ils commettent les actes les plus extrêmes et violents; et pour cause, Ansar Dine et AQMI avaient les armes pour eux.

· Deuxièmement, faire un exemple, frapper les gens de stupeur, répandre la terreur. Et, partant, soumettre et contraindre davantage la population à respecter les nouvelles règles et interdits imposés.

Qui selon vous avait arrêté Dédéou ? C’est Al Hassan en personne. Vous verrez aujourd’hui Al Hassan dans une vidéo; il y assume sans état d’âme l’emploi de cette mutilation criminelle et brutale.

En fait, comme mon Bureau le prouvera, Al Hassan a été directement impliqué dans les violences et tortures infligées aux populations, aux hommes, aux femmes, et aux enfants de Tombouctou. En tant que commissaire, il occupait une fonction névralgique. Il œuvrait de manière proactive au cœur du système oppressif, répressif et persécuteur dans lequel les crimes poursuivis dans la présente affaire ont été commis. Notamment, la preuve montrera:

· qu’ Al Hassan assurait l’organisation, le management et le fonctionnement de la police islamique ;

· qu’ Al Hassan arrêtait et détenait les personnes ;

· qu’ Al Hassan conduisait les enquêtes sur les prétendues violations des règles imposées par les groupes, au cours desquels les suspects étaient torturés et menacés pour obtenir des confessions ;

· qu’ Al Hassan renvoyait les affaires au tribunal islamique;

·qu’ Al Hassan participait personnellement à la mise en œuvre des châtiments corporels au niveau de la police et ceux décidés par le tribunal islamique irrégulièrement constitué, et ce en public ou au siège de la police islamique.

Etant précisé qu’ Al Hassan a œuvré avec les groupes armés Ansar Dine et AQMI pendant toute l’occupation de Tombouctou.

Le jour même de l’arrivée de ces groupes à Tombouctou début avril 2012, un témoin a vu Al Hassan et des membres des groupes armés à la banque qui allait vite devenir le siège de la police islamique. On a la preuve qu’il enquêté et écrit au moins un rapport de police dans une affaire qui fait partie de celles entendues par le tribunal islamique lors de sa session du 7 mai 2012. Il est resté le commissaire de la police islamique, véritable pilier de cette organe, jusqu’au départ des groupes armés de Tombouctou en janvier 2013.
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