Face à la crise sociopolitique que traverse notre pays, l’équipe du journal Le Démocrate Mali a tendu son micro au Dr Siriki Bagayoko, Maître assistant à la Faculté des sciences administratives et politiques de Bamako, Fsap. Au cours de cet entretien, ce spécialiste en sciences politiques a décrypté la crise sociopolitique tendue au Mali, tout en indiquant des pistes de sortie de crise. Lisez plutôt !
Le Démocrate Mali : Le Mali traverse une crise politique aujourd’hui ; quelle analyse en faites-vous ?
Dr Siriki Bagayoko : La crise politique que traverse aujourd’hui notre pays est l’expression d’un cumul de frustrations, de mécontentements, de malaise au sein de nombreuses couches de la société face à la gestion du pays de manière générale. Cette gestion du pays concerne la gouvernance politique, la gouvernance économique, la situation sécuritaire, la situation sociale. Ces mécontentements ont atteint une telle ampleur qu’un mouvement hétéroclite comme le M5-RFP s’est formé. Ce mouvement est formé de religieux, de politiques, de syndicats, d’organisations de la société civile, d’organisations de jeunes, etc. Ce qui les unit fondamentalement, c’est une sorte de ras-le-bol face au régime quant à sa gestion à laquelle je faisais allusion tantôt. En plus de ce premier facteur, je pense qu’on peut évoquer la relation entre la politique et la religion dans notre pays depuis le début des années 2000. Les deux sphères, la politique et la religion, du moins une frange de la religion, ont été si proches l’une de l’autre qu’elles ne se ménagent plus pour se livrer à des conflits. Si le principe de la laïcité avait été strictement appliqué dans notre pays, on se retrouverait dans une autre situation aujourd’hui.
La manifestation contre le président de la République n’est-elle pas surréaliste, selon vous ? A votre avis, son départ profite-t-il au Mali à l’état actuel des choses ?
Surréaliste ou pas surréaliste, je trouve que fondamentalement nous sommes en face de rapports de forces entre ces deux protagonistes. Rien n’est joué ou perdu d’avance. Tous les scénarios restent possibles. Le M5-RFP qui a cru bon, vu le fonctionnement du pays, de poser les doléances que nous connaissons au président IBK. Chacun peut apprécier cette exigence selon sa position, selon ses convictions. L’issue de cette affaire nous dira si c’était surréaliste ou pas.
Vous demandez à qui profite l’état actuel des choses, j’espère que le pays entier réussira à « positiver » ce conflit. Un dicton dit : ‘’à quelque chose malheur est bon’’. Jusqu’ici, dans le sillage de ce conflit, la lancinante question de la crise scolaire a trouvé une issue plus rapidement que nous le croyions. Au-delà, j’espère qu’au bout, beaucoup de choses bougeront sur le plan de la gestion politique, économique, etc.
Les manifestants prétendent revendiquer au nom du peuple. En quoi ils représentent le peuple ? D’où est-ce qu’ils tirent leur légitimité ?
Vous savez, en matière de revendications, les protagonistes peuvent souvent tomber dans la surenchère, dans l’exagération, ou simplement dans le fait de se montrer comme celui qui a le plus de légitimité. J’inscris le langage du M5-RFP dans cette logique. Mais cela n’entame en rien le fait que le mouvement semble être porté par de larges couches de la population et qu’il exprime des préoccupations que beaucoup de nos compatriotes partagent.
On a vu que la dernière manifestation du M5 s’est soldée par des morts et de nombreux blessés, sans compter les dégâts matériels. Quelle appréciation faites-vous de cette manifestation ?
Je pense honnêtement qu’il faut déplorer les débordements qui ont eu lieu après la marche. Je pense que personne ne cautionne les violences, la destruction des édifices publics. Ces scènes ternissent un peu l’action et l’image du mouvement M5. Peut-être que des éléments malintentionnés ou pas contrôlés ont pu être à l’origine de ces actes. Sinon, j’ai suivi les discours des responsables du M5 et ceux-ci n’ont pas appelé les manifestants à commettre de la violence.
La désobéissance civile, telle que prévue dans la constitution, est-elle synonyme de violence comme on peut le constater avec le M5 ?
Non, clairement, non. Comme je viens de le dire, à ma connaissance, les dirigeants du M5 n’ont pas appelé à commettre de la violence. Toutes les actions des manifestants devaient être pacifiques. Il y a peut-être des individus malintentionnés ou pas contrôlés qui ont commis ces actes. Mais lorsqu’on entend certains responsables du M5, il y aurait eu provocation de la part des forces de l’ordre. Mais cet état de fait renvoie tout de même au fait qu’il est souvent difficile de faire ces genres d’action dans le cadre de la désobéissance civile sans observer ces genres de débordement.
Avant la crise politique actuelle, le pays vivait déjà une insécurité sans précédente depuis 2012, qui a affecté presque tout le territoire. Que pensez-vous de la gestion de cette insécurité qui persiste malgré la présence des forces étrangères ?
Je pense parler pour beaucoup de Maliens que la question même du Nord n’a pas été bien gérée depuis la fin de l’opération de reconquête des trois régions du Nord. Maintenant nous ne gérons que les conséquences. L’insécurité persiste et gagne du terrain, cette situation est due à plusieurs facteurs : les partenaires internationaux ne jouent pas franc avec le pays, le rôle de la Minusma n’est pas adapté aux réalités sur le terrain, nos forces de défense et de sécurité ne sont pas dans les conditions pour assurer au mieux leur rôle.
Pour résoudre la crise politique actuelle, quelles solutions proposeriez-vous aux protagonistes, si vous devez les conseiller ?
Dans cette situation exceptionnelle de crise que notre pays a rarement connue, je pense qu’il est souhaitable que les protagonistes travaillent à obtenir une solution politique. Les problèmes posés, les doléances posées sont d’ordre politique. Alors, il faut une solution politique. Au début de la crise, du moins jusqu’ à la première voire la deuxième marche du M5 et après les recommandations de la mission de la Cedeao, si le président avait fait des concessions en vue de prendre en compte les exigences de ce mouvement, une solution souhaitable aurait été à portée de main. La situation était, au début, crispée. Ensuite, le M5 a joué à la décrispation mais la situation est actuellement à nouveau crispée. Les concessions faites par IBK dans son adresse à la Nation le 11 juillet (la mise en œuvre des recommandations de la délégation de la Cedeao et la dissolution de la Cour constitutionnelle, la mise en place d’un gouvernement consensuel) sont maintenant rejetées par le M5. Il exige maintenant la démission pure et simple. Une solution semble actuellement lointaine. Le mouvement de désobéissance civile est en cours et provoque la paralysie de la vie économique, sociale à Bamako.
La question est maintenant comment amener le M5-RFP à renoncer à son exigence de démission d’IBK ?