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Dissolution de la Cour Constitutionnelle : Manassa Danioko y voit une violation de la Constitution et accuse le Chef de l’Etat de « Haute trahison »
Publié le jeudi 23 juillet 2020  |  aBamako.com
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© aBamako.com par fousseyni
Journée nationale des Communes du Mali
Bamako, le 22 décembre 2017 le président IBK a présidé la Journée nationale des Communes du Mali au palais des sports. Photo: Manassa Dagnoko. Président de la Cour Constitutionnelle du Mali
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Sera t-elle entendue ou définitivement sacrifiée sur l’autel de la préservation de la paix dans notre pays ? Seule la providence connait le sort de celle qu’on pourrait appeler par la tenace dame de fer du Mali. Mais le moins que l’on puisse dire pour l’heure est que Manassa Danioko, la présidente de la défunte Cour constitutionnelle ne s’avoue pas pour autant emportée par le vent de la contestation en cours.

Alors que l’on croyait que l’épisode relatif à la Cour constitutionnelle était définitivement clos à la suite de sa « dissolution de fait » décidée par le président IBK dans son adresse à la Nation du 11 juillet dernier, Manassa Danioko et ses deux collègues non démissionnaires de leur institution contestée, sont sortis de l’omerta pour donner de la voix à l’endroit de qui de droit. En effet, dans une lettre confidentielle adressée au président de la République à la date du 11 juillet 2020 ; lettre dont une copie nous est parvenue, Manassa Danioko et les siens ont déploré au Décret du Chef de l’Etat portant abrogation des décrets de nomination des membres non démissionnaires de la Cour Constitutionnelle, un certain nombre de vices de forme. Ils ont ensuite accusé le président IBK de « haute trahison » pour avoir violé notamment l’article 37 de la Constitution. Lisez plutôt.



Son Excellence Monsieur le Président de ,la République, Chef de l’Etat
KOULOUBA
Réf. : BE n00594jSGG du 13 juillet 2020 transmettant
le Décret n02020-0312j P-RM du 11 juillet 2020.

Objet : Recours.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Il est de principe que dans la République le Chef de l’Etat demeure ’ le
Gardien de la Constitution.
En outre, le Constituant malïen, tirant avantage de ce principe, fait
obligation à tout citoyen « de respecter en toutes circonstances la
Constitution » (article 24 de la Constitution). Malheureusement, le Décret n02020-312jP-RM du 11 juillet 2020 portant abrogation de la nomination de certains membres de la Cour constitutionnelle a du mal à s’adapter à ces exigences. Soucieux du respect de la Constitution et des lois de la République, nous soussignés, Madame Manassa DANIOKO, Messieurs Baya BERTHE et Bamassa SISSOKO, successivement, en l’état, Président et Conseillers, tous Membres de la Cour constitutionnelle, formons par la présente un recours gracieux contre le décret susvisé.

Excellence Monsieur le Président de la République,

En effet, dans votre adresse à la Nation, le 11 juillet 2020, vous avez
décidé de procéder à la «dissolution de fait» de la Cour constitutionnelle, par abrogation des décrets de nomination de ses Membres non démissionnaires.

Le 13 juillet 2020, nous avons constaté, via les réseaux sociaux, la
publication de fait du Décret n02020-312jP-RM du 11 juillet 2020 portant abrogation desdits décrets alors que le Secrétaire général de la Cour constitutionnelle n’a reçu notification du Décret que le 14 juillet 2020, suivant Bordereau d’envoi n00594jSGG du 13 juillet 2020 du Secrétariat général du Gouvernement.

Excellence Monsieur le Président de la République,

L’histoire des démocraties nous enseigne que chaque Peuple a vécu une crise sociale. Et le règlement de toute crise, dans une société démocratique, s’inscrit dans un cadre légal. C’est dans un contexte d’intérêt légal que, le 8 juillet 2020, lors de votre adresse à la Nation, vous avez justement honoré le serment que vous avez solennellement prêté lors de votre entrée en fonction en rappelant que « vos actions ne peuvent s’inscrire que dans la limite de vos prérogatives constitutionnelles ». Dans le respect des limites fixées aux prérogatives qui sont les vôtres, vous avez indiqué à l’attention de l’opinion nationale et internationale que vous ne pourriez violer la Constitution en accédant à la demande de dissolution de la Cour constitutionnelle et de l’Assemblée nationale. On ne saurait attendre moins de vous en tant que «Gardien de la Constitution» et, à ce titre, chargé de «veiller au respect de ses dispositions» (article 29 de la Constitution).

Excellence Monsieur le Président de la République,

Pour les besoins du recours, nous entendons rappeler que la
Constitution, norme suprême dans la République, consacre des garanties juridiques à chaque Institution pour assurer non seulement «sa permanence» mais surtout «sa continuité ». Ces garanties, dont la
protection nous incombe tous, sont de nature à préserver le fonctionnement régulier des pouvoirs publies et des institutions. C’est dans cette optique que le Constituant malien a pris le soin de définir le mandat des Membres de la Cour constitutionnelle en précisant «sa durée» par l’article 91 de la Constitution.

En effet, l’article 91 susvisé dispose que «La Cour constitutionnelle
comprend neuf membres qui portent le titre de Conseillers avec un
mandat de sept ans renouvelable une fois ». Cette disposition est reprise par l’article 1er de la Loi organique qui, déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle, complète la Constitution.
Si votre Décret a le mérite de comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constitueraient sembie-t-il ses fondements, il apparait, au visa des faits de la cause que c’est au prix d’une «erreur d’appréciation» qu’il a été mis fin aux fonctions des Membres non-démissionnaires de la Cour.
Sur ce point, il est fait grief au Décret d’avoir rapporté les décrets de
nomination des Membres de la Cour alors que, d’une part, l’exercice d’un tel pouvoir de révocation ne figure nulle part dans les prérogatives constitutionnelles du Président de la République et, d’autre part, les considérations de fait et de droit y évoquées à tort procèdent d’une violation de la loi.
En effet, le décret querellé appelle de notre part les observations
suivantes:

Les visas du Décret d’abrogation tentent de faire application des
dispositions des articles 8, 9, 10 et 24 de la Loi n097-010 du 11 février 1997, modifiée, portant loi organique déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle, alors que l’examen des faits de la cause atteste une erreur d’appréciation ; Ce qui constitue une violation de la Constitution par fausse interprétation de la Loi organique susvisée.

A cet égard, les motifs de fait tirés des deux premiers considérants de
votre décret sont de nature à mettre en cause l’autorité et la force de chose jugée qui se rattachent aux arrêts rendus par la Cour constitutionnelle au visa de l’article 94 de la Constitution alors qu’aux termes des dispositions de l’article 29 vous êtes « le Gardien de la Constitution ».

D’ailleurs, ces motifs sont dépourvus de lien juridique avec les articles de la Loi organique auxquels le Décret d’abrogation fait référence pour mettre fin à notre fonction.
Le troisième considérant qui évoque la recommandation de la CEDEAO invitant à la reprise des élections législatives partielles dans les
circonscriptions où les résultats définitifs ont été contestés doit s’inscrire dans un cadre strictement légal.

Les quatrième et cinquième considérants du Décret d’abrogation tentent de constater, en lieu et place de la Cour, la démission d’office d’une part et d’autre part de donner effet immédiat à la volonté des Membres de la Cour qui ont présenté leur démission alors que:

Aux termes des dispositions de l’article 9 in fine de la Loi organique
susvisée la démission présentée par les Membres concernés ne «prend effet qu’à compter de la nomination» de leur «remplaçant»; Dans
ces conditions de droit ces Membres sont censés être en fonction et leur mandat n’est pas suspendu.
L’article 8 visé par le Décret n’est soutenu par aucune considération de fait et de droit. Ce qui constitue un vice de motivation qui affecte la légalité du Décret.
La Cour n’a «constaté» aucune démission d’office conformément à
l’article 10 de la Loi organique susvisée. La démission, qu’elle soit «d’office» ou «volontaire », ne conduit pas immédiatement à la cessation de la fonction. Conformément à l’article 13 de la Loi organique susvisée: « A vant l’expiration du mandat, il ne peut être mis fin à titre temporaire ou définitif aux fonctions de membres de la Cour constitutionnelle que dans les formes prévues pour leur nomination et après avis conforme de la Cour statuant à la majorité des 2/3 de ses membres. L’intéressé qui ne participe pas au vote est dans tous les cas entendu par la Cour et reçoit communication de son dossier. » ;

S’agissant de la considération de fait et de droit, tirée de l’article 24 de
la Loi organique susvisée, elle procède d’une «inexactitude matérielle de constatation et de qualification juridique des faits ».
En raison des conditions juridiques, procédurales et cumulatives, tirées de «l’exigence de Constat et d’avis conforme de la Cour, l’exigence de remplacement des Membres démissionnaires pour donner effet à leur démission », imposées par les articles 9, 10 et 13 de la Loi organique susvisée, le motif tiré de «l’impossibilité pour la Cour de délibérer» ne peut prospérer. En l’absence de remplacement des Membres démissionnaires et, conformément à la logique institutionnelle, prise en charge par la permanence et la continuité de l’Institution, la matérialité juridique des démissions présentées n’est pas établie.


Excellence Monsieur le Président de la République,

Le dernier considérant du Décret d’abrogation rappelle votre Statut qui fait de vous «le Garant de l’Unité nationale» ainsi que votre Mission qui consiste à « veiller au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et d’assurer la continuité de notre Etat », conformément à l’article 29 de la Constitution ; Cependant, le Décret d’abrogation nous parait contraire au but recherché par votre mission.
Par conséquent, l’interprétation empruntée par le Décret d’abrogation fait obstacle « au fonctionnement régulier de la Cour
constitutionnelle» et à «la continuité de l’Etat ».
Une telle pratique constitue une violation manifeste de l’article 37 de la Constitution. Par votre serment vous avez juré, notamment, «de respecter et de faire respecter la Constitution et la loi ».
En rompant l’ordre constitutionnel, vous rompez la légitimité qui garantit votre propre mandat et celui des membres des autres Institutions de la République.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Il revient à la Cour constitutionnelle de vous rappeler que la violation de votre serment dans l’exercice de vos fonctions est constitutive de «haute trahison» prévue par l’article 95 de la Constitution.
Dans ces conditions, la mission de garantie de la Constitution qui
incombe aux membres de la Cour constitutionnelle ne leur permet
aucunement de laisser s’appliquer une mesure aussi manifestement
inconstitutionnelle et illégale. Par ailleurs, est-il équitable que le juge de l’élection présidentielle soit placé sous la menace permanente d’une destitution par le Président de la République? Créer un tel précédent vous fera léguer aux générations futures du Mali les germes conflictuels d’une contestation permanente de l’indépendance de la justice.


Excellence Monsieur le Président de la République,

En effet, comment garantir aujourd’hui que la nomination de nouveaux membres de la Cour que vous envisagez à l’issue de l’abrogation évoquée sera acceptée, sans contestation ? Ensuite, vous semblez concéder la remise en cause de l’élection de certains députés dont le Président de l’Assemblée nationale que vous avez pourtant appelé, dans votre discours, à designer de droit trois (3) Membres de la Cour. L’exécution de ce Décret entrainera, sans nul doute, un lendemain inconstitutionnel et instable pour le Mali, une crise pire que celle que nous traversons aujourd’hui.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Nous demeurons reconnaissants des efforts des États frères et amis qui accompagnent notre pays dans sa sortie de crise. Mais il est de votre devoir de veiller à ce que cette sortie de crise soit conforme à la volonté souveraine constitutionnellement affirmée.
Votre propre légitimité découle de l’ordre constitutionnel, s’il s’effondre, c’est l’État qui s’écroule.

Excellence Monsieur le Président de la République,

De tout ce qui précède, nous vous exhortons à revenir à l’ordre
constitutionnel et légal, à prévenir l’effondrement de l’État de droit et à garantir la continuité de celui-ci en trouvant des moyens politiques idoines pour résoudre cette crise. En ce sens, contrairement à la destitution des membres non-démissionnaires, nous restons convaincus que le remembrement de la Cour constitutionnelle, qui était déjà envisagé pour répondre aux cas de démission, constatés mais non effectifs, reste le préalable.

En dignes et loyaux Magistrats, nous restons liés par notre serment,
Conformément, à l’article 93 de la Constitution. Nous avons juré de remplir consciencieusement les devoirs de notre charge. Conformément aux valeurs républicaines, nous restons disponibles pour assurer la permanence et la continuité de la Cour jusqu’au terme de notre mandat et nous vous invitons à réfléchir avec l’ensemble des acteurs impliqués dans le processus de sortie de crise à une autre «solution politique», juridiquement réalisable et plus bénéfique à la préservation ainsi qu’à la consolidation de l’Etat de droit.
En espérant que le présent recours gracieux retiendra favorablement votre attention, nous vous prions d’agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.

Madame Manassa DANIOKO
Grand Officier de l’Ordre National


Baya BERTHE
Conseiller
Bamassa SISSOKO Conseiller
Chevalier de l’Ordre National Chevalier de l’Ordre National



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