Le 1er février 1883, le colonel Borgny- Desbordes entre à Bamako, sans tirer un seul coup de fusil. Parti de Kita, l’officier sorti de Polytechnique, à coup d’intrigues et de menaces, double Samori Touré sur le fil du rasoir, faisant ainsi de Bamako le promontoire de l’aventure coloniale française.
Le Guinéen Ibrahim Khalil Fofana nous offre un éclairage d’un type nouveau sur cette période dans son ouvrage intitulé « L’Almami Samori Touré. Empereur, Récit historique » (Présence Africaine, Paris, Dakar, 133 pages, 1998). Fofana est un instituteur diplômé de l’école normale William Ponty, promotion 1949. Féru d’histoire, il a, pendant quarante ans, collecté, à la manière d’un entomologiste, tout ce qu’il a appris sur Samori. Il a rencontré les descendants directs et des témoignages de première main de certains compagnons du stratège dont le destin a été brisé par l’agression coloniale. Il a aussi écouté les griots et procédé à des recoupements d’une grande rigueur. Son travail est donc un matériau de première main, un matériau qui tranche d’avec les grandes œuvres de Yves Person et de Suret Canale sur le même sujet.
La mémoire d’un griot
Diéli Kaba Soumano est l’un de ces informateurs que Fofana a découverts en 1954 au cours d’une veillée culturelle sur Samori, un modeste homme parti de rien et qui a fini par se trouver à la tête d’une organisation politique très structurée.
Nous passons sur les détails de sa construction sociale et politique pour nous arrêter sur son face-à-face avec les officiers français les plus valeureux. Pendant quasiment vingt ans, Samori a tenu tête dans un mouvement d’ensemble qui doit retenir l’attention des spécialistes de la chose militaire. Sur cette période, Samori a alterné confrontation brutale et diplomatie. En attestent les différents traités : Niagassola (1884), Kéniéba coura (le 28 mars 1886), Bissandougou (23 mars 1887), Niako (21 février 1889), … Samori a même accepté, que son fils aimé, Diaoulé Karamoko se rende en France, en septembre 1886.
Ce voyage de Karamoko, dont nous avons parlé déjà dans une de nos parutions, intervenait après que les Français eurent pris la pointure de l’adversaire. Le 26 février 1882, est le jour de la première confrontation entre Samori et les Français. Samaya est situé sur les bords du Niger, à quelques coudées entre Bamako et Badougou Djoliba. Le village existe de nos jours. Mis à mal, par la portée des fusils automatiques français, Samori y perdit beaucoup d’hommes. Il se ravisa et changea de tactique en imposant à son vis-à-vis un combat à travers des escouades légères mettant à profit leur connaissance du terrain. L’armée coloniale est obligée de faire un « repli tactique » pour échapper au harcèlement des troupes de Kéma Bréma, alias Fabou, le frère et intrépide général de Samori. Malgré ses pertes, Samori sortit victorieux dans l’imaginaire des peuples de la contrée.
Cette passe d’arme était d’autant plus épique qu’elle faisait suite à un autre fait majeur de Samori dont voici les détails. En 1881, le capitaine Monségur, à la tête d’une compagnie de tirailleurs, tenait une garnison à Kita. Monségur se crut fort d’envoyer à Samori, une ambassade à la tête de laquelle il plaça le lieutenant Alakamessa, un officier indigène tout dévoué à la France. En plus de cette qualité, Alakamessa avait une bonne connaissance des us et coutumes, avec une très bonne maîtrise de la langue malinké, vecteur qu’il partage avec Samori.
Le message dont Alakamessa était porteur tenait en deux points essentiels : d’abord que Samori renonce à ses prétentions sur le territoire de Kéniéran, nouvellement devenu un protectorat français ; ensuite que Samori, lui-même, accepte de se mettre sous le protectorat de la France ! Monségur était plus qu’un provocateur. Alakamessa, malgré sa témérité, a eu la peur de sa vie. Du reste, s’il a pu regagner sa base, c’est bien parce que dans la tradition des malinkés, et depuis la mémorable charte fondatrice de l’empire mandingue, à Kouroukan fougan, le messager, quel que soit la teneur de son message, ne risque rien. Inutile de dire que le marché proposé à Samori était inacceptable.
Quelques jours après, presque immédiatement après le départ mouvementé de Alakamessa, Samori dépêcha des troupes pour « châtier » la localité de Kéniéran, le 21 février 1882.
Ce haut fait ajouté à la portée de la bataille de Samaya ne laissa aucun doute sur la personne et les ambitions de Samori qui n’acceptait toujours pas que les Français aient pu s’installer à Kita, un os qui l’empêchait de progresser vers Bamako, dont il avait très tôt compris l’intérêt topographique : une ville au carrefour des pistes caravanières et des échanges avec le sud. Mais ses adversaires en savaient autant sur Bamako, sinon plus. Plus qu’une place commerciale, ils voyaient le fleuve Niger et l’ensemble des potentialités, surtout la possibilité de naviguer de Bamako à Tombouctou.
Voilà pour le contexte.
Samori, connu pour la brutalité de ses méthodes, ne voulut pas attaquer militairement Bamako, devenue subitement l’enjeu d’un intense jeu diplomatique. Pourquoi Samori n’a-t-il pas déclaré la guerre à la ville ? Ceci reste un point d’une grande intrigue. Tout laisse croire qu’il en savait le potentiel. Au moins commercialement, il était en lien d’affaire avec la cité dont certains commerçants étaient parmi ses fournisseurs de chevaux. Les commerçants de Bamako, les Maures, dont le leadership était au sein de la famille des Touré, ont pensé qu’il fallait traiter avec Samori, un musulman comme eux. à cet effet, Tiécoro Touré, un des patriarches, envoya un de ses émissaires rencontrer Kéma Bréma.
Au même moment, Borgny-Desbordes entre en action. De Kayes, l’officier français, fit lui aussi des avances pour désamorcer le dispositif qui allait se refermer sur lui. Dans l’expectative, les Niaré, les chefs politiques, eux, ont préféré envoyer un émissaire, un des enfants de Titi Niaré, pour « entendre Borgnis-Desbordes ». Apparemment, l’un et l’autre ne mirent pas assez de temps à s’entendre car c’est Niaré qui va indiquer à Desbordes le chemin pour arriver à Bamako, à travers le Bélédougou.
La bataille de Woyo Woyanko
C’est dans ce contexte que Borgny-Desbordes entre à Bamako. Nous sommes le 1er février 1883. Samori est pris de court. Kéma Bréma eut du mal à accepter le fait accompli. Il chargea. Le 2 avril 1883, il sonne ses tambourins contre l’adversaire. C’est la mémorable bataille de Woyo Woyanko dont les échos nous sont parvenus. Les minutes de cette geste nous sont contées par Mamadi Oulen Cissé, cité d’après Ibrahim Khalil Fofana : « Ce 2 avril 1883, les fantassins de l’armée coloniale avaient franchi le marigot Woyo-Wayankô, soutenus par l’artillerie qui pilonnait les positions samoriennes. Face aux tirs meurtriers de l’ennemi, Kèmè Bréma fit faire le vide au centre et les sofas débordèrent les flancs de l’ennemi. Les tirs de canons devenant inopérants, un combat au corps-à-corps particulièrement violent s’engagea aussitôt.
La situation devint bientôt critique pour les troupes coloniales, harcelées qu’elles étaient par la cavalerie qui semait la panique par ses manœuvres enveloppantes. Borgnis-Desbordes fit former le carré et ordonna le repli. C’était en fait une nouvelle défaite pour les troupes coloniales, une sanction sévère des erreurs d’appréciation sur la valeur combative de l’armée samorienne. Encore quelques escarmouches çà et là, puis ce fut le calme sur le front nord. »
Ce récit de Ibrahim Khalil Fofana est recoupé par l’historien malien, le Professeur Idrissa Diakité, dans « Origines et histoire de Bamako » (école normale supérieure, Collection « Pays enclavés » ; N° 6, Centre de Recherches sur les espaces Tropicaux, Institut de Géographie, Université de Bordeaux III, en 1993).
En plus de confirmer la version de base de Fofana, Diakité nous donne les détails de l’arrivée de Borgny-Desbordes à Bamako en exploitant les grandes lignes de la thèse de doctorat soutenue par Mamadou Sarr (Bamako et Banconi son quartier illégal, Thèse de doctorat troisième cyle, p. 130, Paris I, 1980). Citant Alkaw Sissoko, il indique que c’est Dramane Touré, qui sera connu sous le nom de « Toubab Dramane » qui serait allé de son propre chef rencontrer les Français à Kita. Dramane trahissait de la sorte une entente de la grande famille Touré qui attendait Samori. Il fut tancé pour cela. « Samori est un chef musulman qui ne peut faire aucun mal aux Maures musulmans de la ville ; à la rigueur il peut s’en prendre aux Niaré, fétichistes », disaient les Maures. De quoi surprendre quand même quand tout concourrait à dire que les monothéistes musulmans et les fétichistes bamaman vivaient en symbiose. Le déplacement de Dramane à Kita précipita les évènements. Les Français quittèrent Kita, le 7 Février 1881. Ils passeront par le pays bambara, le Bélédougou. Ils livrèrent une rude bataille à Daban avant de se présenter devant Bamako, le 1er Février 1883. Les Maures en étaient ébahis.
La punition des maures
Desbordes ne tarda pas à faire payer aux Maures leur choix. Le 2 février, soit le lendemain seulement de son arrivée, il fit fusiller, trois notables de la communauté sur une place qui correspondrait aujourd’hui à « Malitelda », entre le « Carrefour des Jeunes » et le « Soudan- Ciné ». De ces exécutions sommaires, Borgny-Desbordes donne l’explication suivantes : « alors que le chef des Bamakois fétichistes, Titi Niaré nous accueillit comme des libérateurs, les Maures marchands d’esclaves (…) avaient fait alliance avec Samori, (…) et entretenaient avec lui des relations suivies. » (Bamako, hier, aujourd’hui et demain) in : Les Annales sénégalaises de 1854 à 1885, Bamako, Archives Nationales du Mali, Koulouba).
Trois jours après, il commençait la construction d’un fort, à l’emplacement de l’actuelle « Place de la Liberté ». Bamako ne comptait que 600 habitants.
Tel était le tableau au moment de l’intrusion coloniale.
Compléments d’informations sur le Canton du Bourra, Ansongo
Dans notre article sur les Cantons, (L’Essor du 12 juin) nous avons survolé dans l’actuel cercle, mais ancienne, Subdivision d’Ansongo, l’existence d’un seul canton, celui dit du Bourra. Nous avons reçu du doyen Mahamane Salia Maïga, de Tassiga, les compléments d’information suivants.
à la période coloniale, le canton comptait les villages suivants : Tonditihio, Lellehoy, Kounsoum, Golingo, Gassi, Tassiga, Younoi, Algadane, Assaler,Inazati, Ezab Zab Awa wa, Alkouts, Tazidert, Almerdas, Assitakal, Amadou Talatou, Banganbé, Boubacar Alamine, et Ousseye Ixanane.
Les chefs de cantons successifs sont au nombre de treize : Moussa keyko, Sékou Moussa, Yeydji Sékou, Moulaye Tiné, Sinna Moulaye, Barry Hamalzouma, Soumana Sinna, Binkani Sinna, Madiou Seyda, Issa Soumana, Drissa Barim Amirou, Issa Amirou, Barry Issa. Sur ces treize chefs, il y a une femme, en la personne de Bikani Sinna qui a régné pendant treize ans. Elle a pris les affaires à un moment où l’héritier proposé était jeune. Elle a donc assuré la régence. De quoi faire dérouter ceux qui continuent à soutenir que la femme a toujours été au rang des subalternes dans nos sociétés.
Si les dates, la période exacte de la création et les règnes des différents chefs, de ce canton doivent faire l’objet d’une recherche poussée, il y a une forte probabilité de trouver un lien avec Askia Mohamed, renversant la dynastie de Sonni Ali, dans un contexte d’une grande révolution sociale et politique
Il n’y a pas donc de doute sur cette légitimité traditionnelle très tôt reconnue par le colonisateur français.
Le premier chef de canton investi de cette époque est M. Drissa Barim Amirou. Cette contrée avait une certaine homogénéité politique par rapport au reste de la Subdivision qui était constituée par des « villages indépendants », directement administrés par le chef de la Subdivision. Les villages indépendants étaient les suivants : Ansongo, Monzonga, Seyna Bella, Seyna Songhoy, Goléa, Labezanga, Karou, Bentia, Fafa, Ouattagouna, Bara, Tabango, Badji Gourma, Badji Haoussa.
L’ensemble de cette Subdivision était composée de Peul, Songhoy, Bellas, Arabes.